• En l'honneur (comme on dit) de Marcel Duchamp, avec la Foirce et Hélios Azoulay

                Un samedi en deux temps pour elle et moi, il s’agit, à l’invitation du service culturel de la mairie de Rouen, de fêter Duchamp dont c’est les quarante ans de la mort.

                A dix-huit heures, nous sommes en plein vent, avec de nombreux autres, face aux trois loustics de la Foirce dont le meneur entend soulever le bâtiment situé dans son dos, cette Cathédrale de plusieurs tonnes de haut. C’est du théâtre de rue avec ses défauts, ce comique de télévision un peu démago qui m’empêche de me laisser entraîner, et avec ses qualités, qui me font sourire et même parfois rire. Après pas mal de péripéties, la Cathédrale finit par bouger, puis est remise à sa place, et c’est quand même cela qui compte et qui aurait peut-être fait plaisir à Marcel (je ne recule devant aucune familiarité avec les morts, car c’est parmi eux que je trouve mes amis).

                A vingt heures trente, nous sommes à l’abri dans l’église Saint-Maclou où Hélios Azoulay et son Ensemble de Musique Incidentale donnent Musiques pour Marcel Duchamp. L’entrée est libre dans la limite des places disponibles, selon la formule rituelle. Des places disponibles, il en reste beaucoup mais Hélios Azoulay aime l’idée d’officier « pour les happy fews » dans cette circonstance particulière. Il rejoint ainsi Octavio Paz qui écrivait (je trouve ça dans ma boîte à citations) L’art pour Duchamp est un secret qui doit être partagé et transmis comme un message entre conspirateurs.

                Dès l’ouverture, l’esprit de Duchamp descend sur les conspirateurs et les conspiratrices avec une pièce pour orgue des mieux venues. Puis Hélios Azoulay exécute (il ne peut en être autrement) Porte-bouteilles, avant qu’Arnaud Kientz, baryton, et Laurent Wagschal, pianiste, donnent un bien réjouissant poncif L’Air du toréador de Carmen.

                Trois Gnosiennes suivent, gnosées par Hélios Azoulay qui « joue du piano comme un clarinettiste ». Entre chaque point du programme, à l’aide d’un micro qui donne à sa voix une sonorité d’outre-tombe, celui-ci se livre à de divertissants propos, évoquant Marcel Duchamp et ses amis (Erik Satie, John Cage, et cætera).

                Un Marcel Duchamp, nous apprend-il, qui meurt quelques minutes après avoir lu Alphonse Allais (je me souviens alors de mon grand-père m’affirmant, quand il me voyait trop longtemps en compagnie d’un livre, que la lecture est une activité dangereuse pour la santé). C’est l’occasion pour l’Ensemble de Musique Incidentale de jouer la Marche funèbre (composée pour les funérailles d’un grand homme sourd) d’Alphonse Allais, une œuvre qui prouve que chaque écrivain peut être un musicien.

                « N’importe qui, même un mauvais amateur, peut être un artiste et c’est là la vraie subversion » affirme Hélios Azoulay, reprenant implicitement Marcel Duchamp, et, après l’exécution du poncif des Nocturnes de Chopin, il nous montre quel brillant musicien était Marcel Duchamp lui-même (qu’il n’appelle jamais par son prénom, détestant ce genre de familiarité) en nous offrant par la voix d’Arnaud Kientz, en première mondiale, l’unique composition du susdit, intitulée Michel Cadoret.

                C’est le moment de l’Entr’acte, film de René Clair, au générique duquel figurent Marcel Duchamp, Man Ray, Erik Satie et Francis Picabia, projeté sur grand écran et dont la musique signée Erik Satie est jouée, au piano et avec brio, par Laurent Wagschal.

                Je ne raconte pas tout, les conspirateurs et les conspiratrices ne peuvent évidemment pas tout dire. J’ajoute juste que vers la fin de la cérémonie, il y a Music for Marcel Duchamp (pour piano préparé) de John Cage (celle qui est assise à ma droite note dans son carnet des premières fois que c’est la première fois qu’elle entend un piano préparé). Pour finir Word Event de George Brecht donne à Hélios Azoulay l’occasion de faire une belle sortie.

                Les conspirateurs et conspiratrices d’un soir se séparent sur le parvis de l’église Saint-Maclou et je me réjouis, bien que n’ayant pas forcément le goût des anniversaires, que la ville de Rouen n’ait pas oublié Marcel et ait fait autour de son nom, en ce début d’octobre deux mille huit, un peu de mousse, cela fait quand même quarante ans que Duchamp point.

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