• En lisant Dits et contredits de Karl Kraus

    Vraiment je n’arrive plus à lire les romans, au point que je suis en train d’en revendre un grand nombre (d’essayer du moins), des livres de poche achetés pendant de nombreuses années, empilés sur le muret de mon escalier, que je n’ai plus envie d’ouvrir. Dernier essai en date, Milo de David Bosc, publié chez Allia, ce n’est pas que ce soit inintéressant, ni mal écrit, mais arrivé au milieu, j’en ai eu assez. J’en sauve ceci : L’escargot ne saurait avoir du caddie une vue d’ensemble. J’ai le goût des aphorismes.

    Ce pourquoi, je suis allé jusqu’au bout de Dits et contredits de Karl Kraus (dramaturge, poète, essayiste, satiriste et pamphlétaire autrichien mort à Vienne en mil neuf cent trente-six), un recueil d’aphorismes publié en mil neuf cent quatre-vingt-six aux Editions Gérard Lebovici (prolongation des Editions Champ Libre après la mort de Lebovici assassiné de quatre balles dans la nuque en quatre-vingt-quatre).

    Cela a vieilli, est empli de truismes et de partis pris, de généralisations abusives et de paradoxes faciles. Les femmes n’y sont pas gâtées : « La femme, ceci » « La femme, cela ». Nonobstant, j’y trouve de quoi me satisfaire :

    Aucune frontière n’incite plus à la contrebande que celle de l’âge.

    Le surhomme est un idéal prématuré qui suppose l’homme.

    Qui ne creuse pas de fosse à autrui y tombe soi-même.

    Ces conversations de coiffeur sont la preuve irréfutable que les têtes sont là à cause des cheveux.

    Le monde est une prison où la détention individuelle est préférable.

    Un poète qui lit : le même spectacle qu’un cuisinier qui mange.

    Mieux vaut qu’on ne vous vole rien. Car alors, on n’a du moins pas d’ennuis avec la police.

    L’aphorisme ne coïncide jamais avec la vérité : il est soit une demi-vérité soit une vérité et demie.

    Malheur à la loi ! La plupart de mes contemporains sont la triste conséquence d’un avortement omis.

    Aussi celui-ci, trop long pour mériter le nom d’aphorisme au sens strict mais plus que jamais valable aujourd’hui :

    Au commencement il y avait le service de presse, et quelqu’un le reçut, envoyé par l’éditeur. Puis il écrivit un compte rendu. Puis il écrivit un livre, que l’éditeur accepta et qu’il transmit au service de presse. Le suivant, qui le reçut, fit de même. C’est ainsi que s’est constituée la littérature moderne.

    Un dernier qui me plaît particulièrement :

    Les pensées sont libres. Mais on a quand même des ennuis.

    *

    Des romans au format de poche à vendre donc. J’en emporte un lot au Rêve de l’Escalier :

    -Bonjour, je vous apporte une série de lampes de poche.

    Ce lapsus au moins n’est pas sexuel. Ni autobiographique. Jamais, durant mon enfance et mon adolescence, je n’ai lu en secret sous les draps avec une lampe de poche.

    *

    Pourtant je ne cessais de lire, tout ce qui me tombait sous la main, même les Martine de ma sœur. Marcel Marlier, leur auteur, vient de mourir. Je me souviens avoir lu dans Libération, il y a quelques années, un article dans lequel on racontait que certains des dessins de ses albums avaient été refaits lors d’une réédition, au nom du nouvel ordre moral, pour la raison que chacun aurait pu avoir pour titre Martine montre sa culotte.

    *

    Dommage que Briseur de Feux, le Ministre de l’Intérieur, ait cédé si vite aux Céhéresses en congé de maladie contre la fermeture de deux de leurs casernes. « Je ne comprends pas, on a de plus en plus de travail » ai-je entendu l’un de ces solides policiers dire au micro de France Culture. Ils envisageaient des manifestations. J’aurais bien aimé voir les uns taper sur les autres.

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