• En lisant la Correspondance amoureuse de Balthus avec Antoinette de Watteville (deux)

    Lire la correspondance du peintre avec Antoinette, c’est aussi découvrir la pauvreté matérielle du débutant Balthus, son inlassable confiance en soi, et connaître son état d’esprit à l’époque de ses premiers grands tableaux La Rue, Alice, La Toilette de Cathy (pour lequel pose Antoinette nue, ce qui lui vaut quelques soucis avec ses parents) et le sulfureux La Leçon de guitare, l’un de mes préférés.

    Je prépare une nouvelle toile. Une toile plutôt féroce. Dois-je oser t’en parler ? Si je ne peux pas t’en parler à toi - C’est une scène érotique. Mais comprends bien, cela n’a rien de rigolo, rien de ces petites infamies usuelles que l’on montre clandestinement en se poussant du coude. Non, je veux déclamer au grand jour, avec sincérité et émotion, tout le tragique palpitant d’un drame de la chair, proclamer à grands cris les lois inébranlables de l’instinct. Revenir ainsi au contenu passionné d’un art. Mort aux hypocrites ! Ce tableau représente une leçon de guitare, une jeune femme a donné une leçon de guitare à une petite fille, après quoi elle continue à jouer de la guitare sur la petite fille. Après avoir fait vibrer les cordes de l’instrument, elle fait vibrer un corps, écrit Balthus à Antoinette le premier décembre mil neuf cent trente-trois, ajoutant : Tu vois que je m’expose à être proprement insulté. Propos qu’il développe ainsi : Non, il faut aujourd’hui hurler très fort si l’on veut encore se faire entendre. Il faut des choses très violentes. Il faut arriver avec des pics, des pioches, des perceuses mécaniques pour perforer l’artificiel, pour retrouver la terre –la bonne terre. C’est pourquoi je veux faire, moi, des toiles érotiques (cet érotisme doit naturellement être de la plus haute qualité –et le sera puisque c’est moi qui le fais). Il faut atteindre l’instinct.

    Quelques mois après, Balthus passe à l’acte, ce qu’il raconte à Antoinette dans une lettre datée du dix février mil neuf cent trente-quatre : Après deux mois de recherches désespérées et après avoir mobilisé tout le monde (dès que je paraissais quelque part, les gens avaient des sourires équivoques), j’ai fini par trouver une petite fille chez une concierge d’un quartier pauvre. Elle est venue poser trois fois accompagnée de sa mère. Elle louchait terriblement mais se déshabillait avec une magnifique impudeur d’enfant, tandis que sa mère, une malheureuse Luxembourgeoise, affreusement victime de la vie, tricotait dans un coin. Il n’ y a donc pas eu détournement de mineure.

    Bien plus tard, Balthus répudia La Leçon de guitare ainsi que l’explique son fils Stanislas Klossowski de Rola dans la préface écrite en mil neuf cent quatre-vingt-seize au Balthus publié cette même année par les Editions de La Martinière : « Ce magistral tableau fut peint par défi afin de conquérir tout de suite fortune et renommée. Il fut relégué dans une arrière-salle de la galerie Pierre, et on ne le montra qu’à certaines personnes. J’ai vu cette toile à New York, et j’aurais souhaité la voir reproduite dans le présent ouvrage, mais mon père s’est toujours opposé à sa divulgation. Elle a cependant été reproduite plusieurs fois et ce ne fut jamais avec son autorisation. »

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