• En lisant La passe imaginaire (correspondance avec Jean-Luc Hennig) de Grisélidis Réal

                Voici donc l’ordre moral socialiste qui sort du bois. Najat Vallaud-Belkacem, Ministre des Droits des Femmes, ancienne porte-parole de la Madone du Poitou, veut faire disparaître la prostitution. Ce n’est pas une surprise. Déjà, du temps de Sarkozy, certain(e)s député(e)s de droite et de gauche, main dans la main, s’étaient penché(e)s sur la question avec pour objectif, comme le disait à Paris Normandie Valérie Fourneyron la socialiste Maire de Rouen devenue Ministre des Sports, de pénaliser les clients.

                Grisélidis Réal, écrivaine, peintre, mère de quatre enfants, pute révolutionnaire, dont j’ai lu il y a déjà un certain temps la correspondance avec Jean-Luc Hennig, publiée de son vivant en mil neuf cent quatre-vingt-douze chez Manya sous le titre La passe imaginaire, en serait bien énervée, elle pour qui la prostitution n’était pas toujours une partie de plaisir mais qui s’est battue toute sa vie pour que les femmes (ou les hommes) qui ont envie de la pratiquer puissent le faire librement et officiellement.

                Quelques notes de lecture, illustrant cette vie partagée entre l’accueil des hommes dans le besoin et le besoin d’améliorer le sort des prostitué(e)s :

                Nous ne jouissons pas, ou presque pas ? Aucune importance. Les bourgeoises ne jouissent pas non plus… en plus, elles sont aigries, cocues, flétries, vouées au ménage, ternes, vieillies avant l’âge –et nous, nous sommes belles et scandaleuses, maquillées, ornées, nues, désirées et on nous paie ! (vendredi vingt-neuf août mil neuf cent quatre-vingt)

                C’est vraiment dur, la vie que j’ai à Genève. Depuis 8 ans que je suis plongée dans ces Mouvements de Putes révolutionnaires, je me sens complètement aliénée (…/…) Jean-Jacques Lebel (rencontré à Paris il y a quelques années) avait raison : à force de « militer » on devient con. (mercredi dix-neuf octobre mil neuf cent quatre-vingt-trois)

                Vous savez que les musulmans (Turcs et Arabes) se rasent très régulièrement les poils qui entourent la queue. Donc, hélas, quand ils repoussent, cela vous pique comme une brosse à chien, et régulièrement je suis écorchée, aux endroits les plus tendres, aux abord de la chatte précisément. (dimanche dix-neuf janvier mil neuf cent quatre-vingt-sept)

                Aujourd’hui, je n’ai fait que trois Clients : le Cochon de campagne, le Surmulot hydrocéphale, et le 3ème, un très gentil Monsieur qui m’appelle « Petite Reine ». (dimanche quinze novembre mil neuf cent quatre-vingt-sept)

                Il est trois heures de la nuit ! Ma vie est de la folie, un enfer ! J’ai fait de nouveau des centaines de photocopies, j’ai écrit en anglais au Parlement européen, en allemand à une journaliste de Berlin et à une Courtisane d’Autriche, et encore en italien au Travesti de Zurich. D’énormes enveloppes sont prêtes à être mises à la poste demain, bourrées de documents révolutionnaires. Je n’ai fait qu’un seul client, et encore, c’est un Miracle !

                Un pauvre petit Portugais tout transi, il voulait même rester toute la nuit, il me demandait le prix… ça, pas question, la nuit, c’est ma photocopieuse qui baise !! Et elle me coûte, la salope. (mardi dix-sept novembre mil neuf cent quatre-vingt-sept)

                Laure Adler, qui se veut spécialiste des maisons closes, bien connue à France Culture, en prend pour son grade au détour d’une lettre :

                Que cette dame n’aime pas mes lettres, elle a bien raison. Je m’en voudrais de plaire à toutes ces bourgeoises intellectuelles !! (…/…) Qu’elle vienne se faire tringler chez moi, et elle verra ! Quand il lui faudra faire éjaculer, bander des queues si ramollies parfois, les pauvres, par l’angoisse, l’âge, le manque d’exercice, et sucer, sucer, sucer, avec un poil de Cul d’homme coincé entre les dents qu’on n’a pas le droit de cracher avant la fin… ça , c’est du boulot, Madame !! Et les 80 francs suisses, hein, il faut les gagner, avant de se perdre en divagations érotico-philosophiques ! (jeudi treize avril mil neuf cent quatre-vingt-neuf en écoutant du Frescobaldi)

                Quant à l’Abbé Pierre, dont Grisélidis Réal parle à la télévision dans une émission de Dechavanne, il se voit rappeler quelques souvenirs :

                Quant à mes « excuses » à l’Abbé Pierre, les gens qui me connaissent bien savent que c’était du cinéma (nécessaire, et même indispensable, pour sauver et redorer la cause des Putes). D’ailleurs, attention ! J’ai dit « que je n’avais pas voulu lui faire du mal et que je lui demandais pardon de l’avoir cité », c’est tout. Je ne me suis en aucun cas rétractée. C’est lui qui, en mentant, a ajouté le mensonge au « péché de la chair »… Mais ça, ça le regarde, ça ne me concerne plus.

                J’ai fait, ce matin, des téléphones qui m’ont confirmée dans mes convictions que cet Abbé n’avait pas été vu, en endroit « clos », que par moi !! Et en plus, il était soigné, à l’époque, près de Genève, aux « Rives de Prangins », qui est un asile psychiatrique pour riches… (jeudi vingt-quatre mai mil neuf cent quatre-vingt-dix)

                C’est une vie romanesque que celle de Grisélidis Réal, une vie de lutte incessante, avec ses moments de découragement, comme celui-ci :

                Tout en attaquant une superbe salade, accompagnée par notre cher Jean-Christophe Averty dans Les cinglés du music-hall et arrosée de quelques verres de Vichy –mais n’ayez crainte, je vais incessamment enchaîner au vin rouge –je me rends compte que ces 15 ans de Révolution des Putes m’ont ruinée, exaspérée, et plumé la cervelle, le Cul et le porte-monnaie, ne me laissant qu’amertume, colère, désillusion et désenchantement. (samedi quatorze juillet mil neuf cent quatre-vingt-dix)

                découragement qui ne dure pas, j’imagine que si elle vivait encore, Grisélidis Réal serait vent debout contre les projets de la socialiste Najat Vallaud-Belkacem.

    *

                Jean-Luc Hennig, journaliste, écrivain, je l’ai rencontré il y a bien longtemps à une époque où ma vie professionnelle était mouvementée. J’ai déjà écrit que j’allais raconter ça. Il faut que je tienne ma promesse.

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