• En lisant le premier tome des Journaux de Léon Bloy, suite (Quatre ans de captivité à Cochons-sur-Marne et L’Invendable)

                En mil neuf cent, Léon Bloy, de retour du Danemark où il s’était momentanément exilé, s’installe à Lagny-sur-Marne avec sa femme et sa fille Véronique. Les habitant(e)s de cette bourgade apprécieront particulièrement la parution du nouveau volume de son Journal, intitulé Quatre ans de captivité à Cochons-sur-Marne :

                22 mars 1901 Lettre de Charles Morice m’annonçant un numéro prochain de La Plume, à la gloire de Tolstoï qui va crever, espère-t-on, et me demandant « une page de prose » pour contribuer à l’apothéose du célèbre crétin moscovite.

                12 août 1901 Nous sommes, depuis trois jours, au Pouliguen, chez les Martineau qui nous donnent l’hospitalité du Ker Saint-Roch, loué pour y passer, tous ensemble, une quinzaine. C’est la première fois que je vois l’Océan. –La dernière, peut-être, les pauvres n’ayant pas le droit de contempler les œuvres de Dieu.

                19 août 1901 Il y a aussi les automobiles. Espèce de délire homicide et démoniaque. Aucune sécurité. Ce matin, le cocher de notre voiture me montrait une de ces machines qui a tué récemment une vieille femme et qui semble prête à recommencer. Aucun châtiment. L’écraseur a donné un peu d’argent et tout est dit.

                1er février 1902 Insolence et crapulerie de nos épiciers male et femelle. Ma parole ne suffit pas à ces vermines, il leur faut des « garanties ». –C’est un grand malheur, me disait Barbey d’Aurevilly, de vivre à une époque où on ne peut plus donner de coups de bâton au-dessous de soi.

                10 mai 1902 Premières nouvelles de l’immense catastrophe de la Martinique. Trente mille morts en quelques secondes, à l’heure précise de la première communion de Véronique ! Le hasard n’existant pas, cette extermination était indispensable pour que fût contrebalancé, dans l’infaillible Main, l’acte prodigieux de notre enfant.

                12 septembre 1902 On peut être un imbécile et pratiquer tout de même l’imparfait du subjonctif, cela s’est vu. Mais la haine de l’imparfait du subjonctif ne peut exister que dans le cœur d’un imbécile.

                11 septembre 1903 Commencement d’exécution de Paris, condamné depuis longtemps à périr par le feu. Vaste incendie du Métropolitain, au lieu-dit les Couronnes ! Les journaux annoncent la trouvaille de 85 morts.

                15 mars 1904 Paris. Mon premier voyage en métro. Travail gigantesque, j’y consens, et même non dénué d’une certaine beauté souterraine ; mais bruit infernal, danger certain, mort probable –et quelle mort !

                Le quatrième volume couvre les années mil neuf cent quatre mil neuf cent sept. Il est lucidement nommé L’Invendable :

                4 mai 1904 Envoi du Fils de Louis XVI à mon huissier : « En haine de la bicyclette, de l’automobile, des propriétaires, des créanciers, du suffrage universel, de la procédure prétendue civile et de beaucoup d’autres saletés ou hideurs qui me font désirer le chambardement prochain et universel. »

                17 juin 1904 Visite de l’abbé Mugnier, prêtre mondain, vicaire à Sainte-Clotilde, admirateur et propagateur de Huysmans. Que vient faire chez moi ce serviteur de Mammon, à figure de vieux renard qui retrousserait sa soutane, pour entrer dans l’étable de Bethléem ? Ai-je donc mérité l’opprobre de cette bienveillance ? Jamais entrevue n’a pu être plus vaine. Sentant l’espion je me suis fait impénétrable, et le domestique des esclaves du Démon, désorienté dans mon pauvre gîte, a bafouillé lamentablement.

                Qu’il retourne à ses chiennes de Sainte-Clotilde ! Sa place n’est pas parmi les chrétiens.

                1er juin 1906 Le petit roi d’Espagne, au retour de l’église où on venait de le marier, a failli être réduit en petits morceaux avec sa reine. Une bombe a tué sept personnes et deux chevaux sans l’atteindre. Parole magnanime attribuée à ce jeune monarque : Ce n’est rien. Puis il serait rentré en pleurant, sans regarder les éventrés.

                18 août 1906 On m’offre des journaux aussi intéressants que L’Univers ou Le Peuple français, ou bien encore La Croix de l’Isère, les seuls qu’il soit possible de se procurer ici.

                Réponse : « Quand je veux savoir les dernières nouvelles, je lis saint Paul. »

                8 octobre 1906 Pour gagner du temps, je fais usage, une première fois, de l’autobus. Ah ! je n’échapperai pas aux inventions modernes. Il est vrai que c’était pour courir à la Nouvelle Revue où mon Epopée byzantine est acceptée.

                26 décembre 1906 Lutte contre notre vieille femme de ménage, une vierge bardée de médailles et scapulaires et, par conséquent, salope avec immunité. Cette gueuse antique a pour spécialité de détester les pauvres et les enfants. Une espièglerie insignifiante l’a mise en fureur contre ma fillette que j’ai aussitôt défendue en imposant silence à la sorcière. Dévote belge, elle ne manquera pas de me vouer aux flammes éternelles.

                31 mars 1907 Dimanche de Pâques. Grand’messe à la basilique. Décidément ces concerts ne me réussissent pas. Il m’a fallu entendre une horrible musique de foire, à faire danser les animaux savants, sous prétexte d’une fugue de Bach.

                24 août 1907 Saint Barthélemy : Personne à massacrer. C’est à dégoûter de la Liturgie.

                8 septembre 1907 On me trouvera les poings rongés dans une citadelle sans porte ni barbacanes qui se nomme le Manque d’argent et qu’on ne peut ni prendre ni défendre, étant bloquée par une circonvallation et une contrevallation de charognes.

                Le second volume des Journaux de Léon Bloy, ce sera pour plus tard.

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                C’est toujours un plaisir de croiser le cher abbé Mugnier, certes assez mal reçu par Léon.

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                La commerçante à ses collègues : « Comme je dis toujours, vendre c’est facile, le plus dur c’est de savoir acheter ».

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                Les mecs des quartiers populaires entre eux, ceux qui s’appellent « mon frère », ceux qui s’appellent « mon père » ou « ma couille ».

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              Celles et ceux qui parlent de figure quand d’autres parlent de visage, révélant leur origine sociale. « Va te laver la figure », me disait ma mère.

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