• En lisant Tarnac, Magasin Général de David Dufresne

    C’est au rayon Littérature de chez Book-Off que j’ai trouvé Tarnac, Magasin Général de David Dufresne (Calmann-Lévy). L’employé(e) l’ayant mis en rayon a dû se fier au mot « Récit » figurant sur la couverture noire, en quoi elle ou lui n’a pas eu tort. Comme on disait autrefois, cela se lit comme un roman.

    Je l’ouvre dimanche dernier et ne peux le lâcher avant la fin, le sujet d’abord et puis le talent d’écriture de David Dufresne, son habileté à décortiquer les faits et à dresser les portraits de celles et ceux qu’il rencontre, agrémentant son texte de documents policiers ou judiciaires tirés du dossier d’instruction, sans prendre parti certains parmi les dix inculpés ont peut-être fait ce que les flics leur reprochent, d’autres auraient voulu le faire, et d’autres n’ont rien fait. Dans tous les cas, je me foutais de savoir qui avait fait quoi, on non. Dans tous les cas, tous étaient défendables., mais soucieux de montrer comment l’Etat en ce vingt et unième siècle se comporte avec son opposition la plus radicale ainsi que l’avait prévu Philip K. Dick dans Minority Report :

    Nous arrêtons des individus qui n’ont nullement enfreint la loi.

    -Mais qui s’y apprêtent, affirma Witwer avec conviction.

    -Justement, non, par bonheur… puisque nous les arrêtons avant qu’ils puissent commettre un quelconque acte de violence. Donc, l’acte criminel proprement dit ne relève strictement que de la métaphysique. C’est nous qui proclamons ces gens coupables. Eux se prétendent éternellement innocents. Et, en un sens, ils sont innocents.

    et l’avait compris Guy Debord, écrivant dans Commentaires sur la société du spectacle (mil neuf cent quatre-vingt-huit) :

    Cette démocratie si parfaite fabrique elle-même son inconcevable ennemi, le terrorisme. Elle veut, en effet, être jugée sur ses ennemis plutôt que sur ses résultats.

    Ma lecture s’enrichit du fait que j’ai côtoyé certains des désignés terroristes et leur entourage à Tarnac, Lyon ou Rouen. Si j’en apprends à leur sujet, c’est surtout par ce qui concerne la Police, ses méthodes et ses moyens techniques, que je suis surpris, comment placer une balise sous la voiture de suspects, comment les filmer avec des caméras cachées dans les arbres ou les suivre la nuit avec des voitures capables de circuler les phares éteints, comment enregistrer une conversation en terrasse avec un micro canon situé à une centaine de mètres, etc.

    En revanche, je reste sur ma faim s’agissant des deux principaux désignés terroristes : Yildune Lévy, qui a sans doute refusé la rencontre, et Julien Coupat, qui entendait contrôler collectivement l’écriture du livre en chantier ce que n’accepta évidemment pas David Dufresne (On ne s’est jamais revus), tous deux surveillés par la Police depuis un passage clandestin de la frontière entre le Canada et les Etats-Unis, bien avant la nuit des fers à béton sur les caténaires de novembre deux mille huit.

    Dans cette galerie de portraits, les deux plus surprenants, de mon point de vue, sont ceux des parents Coupat, Gérard, ancien médecin parti de rien ayant fait fortune en travaillant pour les laboratoires pharmaceutiques, bavard, trop bavard (avec la Police notamment) et Jocelyne, proposant à l’auteur de parler de l’affaire dans laquelle est englué son fils autour d’un thé chez Ladurée (c’est Maman qui fera sortir de prison son désigné terroriste de fils, le cachant dans le coffre de sa petite voiture afin qu’il échappe aux journalistes).

    Le récit de David Dufresne, et cela ajoute au plaisir de la lecture, c’est aussi son histoire, celle d’un homme en train de quitter le journalisme et qui se pose des questions sur l’écriture : on n’écrit pas pour celui sur lequel on écrit, mais pour celui qui lit, et, accessoirement, pour soi, pour savoir si l’on tient encore debout.

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    « A titre personnel, je ne trouvais pas ça nul, L’Insurrection qui vient. Je trouvais même ça très bien écrit. » (Alain Bauer, ancien conseiller en sécurité de Nicolas Sarkozy)

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    « Bon, c’est comme ça, écoute, tant que ça va bien… mais ils ont des modes de vie qui sont… hmm… Julien, il croit en la Révolution. Que veux-tu que je te dise ? Qu’est-ce qu’on peut faire ? On a chacun notre petite croix. » (Jocelyne Coupat, retranscription d’une conversation téléphonique enregistrée par la Police entre le dix-huit août et le seize septembre deux mille huit)

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