• En train pour Paris, lisant Les juins ont tous la même peau (rapport sur Boris Vian) de Chloé Delaume

    Malgré un pied douloureux et une pluie annoncée, je prends le chemin de la gare de Rouen ce mercredi à l’heure où les rues de l’hyper centre, quasi désertes, sont parcourues par les laveuses qui réveillent au carchère les touristes et les autres et par des voitures de police à la recherche de je ne sais qui.

    Place des Carmes, un employé municipal décolle une affichette des anarchistes sur laquelle ils se plaignent des misères que leur fait la socialiste Fourneyron, maire de la ville où l’affichage libre est sévèrement réglementé, allez hop, quinze euros de plus à payer pour ces rebelles (qu’ils ne paieront pas).

    Dans le train, je lis Les juins ont tous la même peau (rapport sur Boris Vian), mince livre de Chloé Delaume, dans l’édition de poche Points Seuil. Chloé y raconte comment adolescente elle fut sauvée par la lecture de L’Ecume des jours, précisément par cette phrase : Il n’est pas malheureux, dit la souris, il a de la peine.

    Les années quatre-vingt à Houilles, Yvelines (78) : j’ai rencontré un homme dit Boris Vian Boris. Et il m’a révélé en quoi ça consistait, ça consistait en vrai, le mot littérature. Celle qui peut sans abus s’emmitoufler première de pleins et de déliés dès l’amorce majuscule. Celle qui ne parle pas mais dit. Celle qui sait que son sang se tarit endémique si seule la narration s’y tapit aux globules, celle qui ne délègue pas son pouls à la fiction. écrit Chloé Delaume qui a ensuite tout lu de lui et tout su de lui.

    Les années soixante, à Louviers, Eure (27) : j’ai rencontré le même homme par le même livre qui m’a sauvé également, bien que ma vie d’alors fut moins tragique que celle de Chloé Delaume sous ses yeux de qui, quand elle avait neuf ans, le père tua la mère puis se suicida.

    Cela se passait un trente juin et Boris Vian est mort un vingt-trois juin, d’où le titre.

    J’ai tout lu de Boris Vian pendant mon adolescence, tout su de lui et comme Chloé Delaume fut déçu de ne pas aimer le jazz comme lui. Aujourd'hui, j'ai toujours du Vian dans mon crâne.

    Ma lecture du rapport sur Boris Vian est terminée depuis longtemps quand après être passé à Houilles le train arrive à Saint-Lazare. Dix minutes de retard pour cause de risque de chutes de pierre dans le tunnel de Rolleboise, puis dix minutes de retard pour cause de problème de signalisation aux Mureaux, ça ne fait que vingt minutes de temps perdu selon la définition qu’en donnait le Bison Ravi, cité par Chloé Delaume : Le temps perdu c’est le temps pendant lequel on est à la merci des autres.

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    Il écrivait aussi (cité par elle) : Je veux une vie en forme de toi. ce qui me fait songer à celle qui est en stage à Paris où je ne la verrai pas.

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    Dans le métro, comme ailleurs, je n’entends parler que de la Coupe du Monde. C’est reparti avec le foute, cette peste émotionnelle, pour reprendre le titre du livre de Jean-Marie Brohm et Marc Perelman publié chez Folio, cette école du nationalisme, du racisme, de la violence et de la triche, cette infantilisation permanente pour toutes les classes d'âge, toutes les générations, toutes les catégories sociales.

    L’apéro géant (avec écran de même grandeur) organisé chaque soir par la Mairie de Rouen se tiendra cette année place du Vieux, et non plus place de l’Hôtel de Ville comme par le passé, d’où l’espoir d’un peu moins de pisseurs de bière dans ma ruelle.

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