• Exposition Vanités (C'est la vie) au Musée Maillol

    Mercredi matin, en avance à la gare de Rouen, je furète avec les yeux dans la Maison de la Presse devenue Boutique Relay, titre de Science et Avenir « Vaincre le stress », titre de Management « Surmontez votre stress ». Un homme feuillette cette dernière, il est le portrait craché (comme on dit) de celui qui figure en photo sous le titre. Je quitte la boutique sans savoir s’il l’achète.

    Train (où je lis Un cabinet d’amateur de Georges Pérec) puis métro, me voici place du Châtelet. Sur différents supports, une affichette s’inquiète de la disparition de Johanne, quinze ans et demi, il y a environ un mois le jour de mon anniversaire. Parmi les publicités défilant sur les panneaux Decaux, un message du maire Delanoë annonce fièrement « Rafle du Vél d’Hiv, Paris se souvient ». Il fait beau enfin.

    De librairie en librairie, j’emplis mon sac à dos de livres d’occasion à petit prix. C’est un jour faste, je trouve L’étreinte fugitive de Daniel Mendelsohn, l’auteur des Disparus, un des meilleurs livres que j’ai lu ces derniers mois (Flammarion), Pâle sang bleu d’Alizé Meurisse, J’aimerais tant te jeter mon cœur à la figure (Allia), Les Miroirs et les chaînes de François Garnung, « chronique rêveuse de la passion d’un homme de quarante ans pour une gamine qui n’en a pas quinze » (Phébus), Montevideo, Henri Calet et moi de Christophe Fourvel qui évoque le Henri Calet d’avant la littérature piquant dans la caisse en Amérique Latine (La Dragonne), Mes inscriptions de Louis Scutenaire, celles des années mil neuf cent quarante-trois et quarante-quatre (Allia) et La grande fugue suivie du Dictionnaire du second degré d’André Frédérique, pharmacien, farceur, poète et suicidé (Le Cherche Midi), vingt centimes pour ce dernier ouvrage, c’est donné. J’ajoute à ce butin, pour celle que je dois retrouver à dix-sept heures, Le design industriel (Taschen) et le Journal de l’Abbé Mugnier (Le Mercure de France).

    Un kebab et je me dirige à pied vers le Musée Maillol afin d’y visiter Vanités, exposition sous-titrée C’est la vie. Une première idée La mort, et alors ? a été abandonnée pour cause qu’il ne faut pas effrayer le public. Je n’ai pas peur de voir à quoi je ressemblerai quand j’aurai du vent dans mon crâne comme l’écrivait Boris Vian. Je paie mes onze euros (c’est cher, c’est privé), traverse la librairie qui précède l’exposition (c’est privé) et tente ensuite d’éviter les deux groupes qui visitent collectivement avec des casques sur les oreilles.

    Les grands noms de l’art moderne et contemporain sont là, en vrac : Damien Hirst, A. R. Penck, Keith Haring, Marc Quinn, Jean-Michel Basquiat, Michel Journiac, Douglas Gordon, Pierre et Gilles, Cindy Sherman, Christian Boltanski, Robert Mapplethorpe, Pablo Picasso, Paul Delvaux. Je suis loin d’être exhaustif. C’est presque trop. Toutes ces têtes de mort s’affaiblissent les unes les autres.

    Je m’assiérai bien pour regarder la mort en face. C’est impossible, rien n’est prévu pour cela dans les trois niveaux de l’exposition assez mal foutue. Les visiteuses de groupe casquées y perdent leur conférencière et la cherchent partout bruyamment, à qui je fais aimablement remarquer qu’on n’est pas là pour jouer à cache-cache.

    Avant qu’elles ne me réduisent à l’état de squelette, je retourne voir à l’étage des glorieux ancêtres, la superbe trilogie : San Francisco arrodillado de Francisco de Zurbaran, Saint François en méditation du Caravage, Extase de Saint François de Georges de la Tour, puis à l’étage supérieur le fascinant tableau de Clovis Trouille La complainte du vampire (guillotine au tranchoir sanglant, tête de mort mitrée, sein pendouillant, jeune femme éplorée, cracheur de feu foudroyé).

    Duchamp est requis, sous la forme d’une projection lumineuse de son funéraire « D’ailleurs c’est toujours les autres qui meurent » et l’autre pour l’instant ce n’est pas moi.

    Je regarde la vie dehors, m’assois sur un banc d’un jardin ensoleillé. A mes pieds, une pigeonne se fait sauter par un pigeon pressé.

    Un peu avant dix-sept heures, je retrouve en son école celle que je n’ai pas vue depuis trop longtemps.

    Au Quatre-Vingt-Seize, le café libertaire de Charonne, nous buvons un kir cependant qu’elle me raconte ses aventures et mésaventures lettones, puis mangeons pas loin entrée plat dessert pour neuf euros.

    Il me faut bien rentrer à Rouen. A l’arrivée, je suis surpris par une animation inhabituelle. Des groupes de branlotin(e)s errent, zigzaguant et parlant fort. Une affiche sur un bar m’en rappelle la raison. C’est la Saint-Patrick (ainsi appelle-t-on la Fête de la Bière en Irlande).

    *

    « C’est quoi cette histoire de petite fille que tu avais trouvé au concert de Jean Ferrat ? » me demande-t-elle. Je lui raconte.

    -Elle doit avoir quarante-cinq ans maintenant, me fait-elle remarquer. L’âge de ma mère. C’était peut-être elle.

    J’en doute un peu.

    *

    Je reçois un message du service juridique d’Overblog. Une mécontente demande le retrait de deux de mes billets. « Merci de faire le nécessaire si cette demande est justifiée » me dit-on. Je réponds. « Cette demande n'est pas justifiée. Ces textes ne sont ni diffamatoires, ni injurieux. Je les maintiens. »

    *

    Musée : adjectif dans « Rouen, cette ville si jolie, si musée ». (André Frédérique : Dictionnaire du second degré)

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