• Expositions Alex Katz chez Ropac, Claude Viallat et Ben Vautier chez Templon

                Une journée à Paris entre deux trains qui partent et arrivent à l’heure, c’est mercredi et nous nous retrouvons, celle que je viens voir et moi, dans la rue devant son école. Elle est épuisée, trop de travail en ce moment. Cependant, nous décidons de visiter quelques galeries du Marais et nous commençons par deux déceptions chez Xippas et Yvon Lambert, rien qui mérite de s’en souvenir.

                En revanche, nous nous attardons chez Taddaeus Ropac où sont exposées sous le titre Fashion des œuvres récentes d’Alex Katz, né en mil neuf cent vingt-sept à New York, connu pour avoir influencé en son temps Andy Warhol et dont les toiles figuratives présentées au rez-de-chaussée, portraits sur fond monochrome (souvent orange), donnent à penser, elle me le fait remarquer, qu’il est aussi l’une des influences de Djamel Tatah. A l’étage, du même Katz, sont visibles des œuvres de petits formats dont certaines peuvent évoquer Peter Doig, que je découvris en solitaire au Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris, l’an dernier.

                A pied, nous gagnons Beaubourg et je pousse la lourde porte sous l’enseigne lumineuse marquée Templon. Là, je sais qu’il y a de quoi nous plaire. Claude Viallat, né en mil neuf cent trente-six à Nîmes, membre fondateur du groupe Supports/Surfaces, expose sous le titre Raboutages, agrafées aux murs, ses bien connues empreintes sur tissus de récupération divers. Ces raboutages, montrés dans les deux premières salles, rompent avec la forme rectangulaire dont Viallat est coutumier, rectangles que l’on retrouve dans la troisième salle pour un hommage à Claude Monet et à Jean-Pierre Pincemin (autre membre de Supports/Surfaces, mort en deux mille cinq). Nos lourds sacs posés au centre de la salle numéro deux, nous tournons conjointement sur nous-mêmes pour un peu mélanger les couleurs et je lui rappelle les vitraux signés Viallat vus ensemble dans la Cathédrale de Nevers.

                On traverse la rue pour en face dans l’impasse toujours chez Daniel Templon visiter l’exposition Ben, né en mil neuf cent trente-cinq à Naples, membre fondateur du groupe Fluxus. Ben Vautier y présente une installation essentiellement composée de photos et de textes écrits de son écriture benesque (qu’il ne galvaude pas toujours dans la publicité). Le thème en est le suicide, et plus généralement, une réflexion sur l’art et la mort : « La mort est simple », « La mort est partout », et cætera, sans oublier en guise d’avertissement correctement politique : « Cette exposition n’est pas une incitation au suicide mais une réflexion sur la mort dans l’art. »

                Ben est allé chercher sur Internet, via Gougueule, des photos de suicidé(e)s connu(e)s qu’il légende en narrant leur façon d’en finir : Mark Rothko (par le rasoir), Nicolas de Staël (par la fenêtre), Vladimir Maïakovski (par balle), Guy Debord (idem), Ernst Ludwig Kirchner (par un moyen non précisé), Vincent Van Gogh (par balle), Diane Arbus (par barbituriques), Pierre Molinier (par balle), Archille Gorky (par pendaison), Ray Johnson (par saut dans la rivière), Bernard Buffet (par étouffement), Jackson Pollock (par accident de voiture mystérieux), Sigmund Freud (par euthanasie amicale) et Virginia Woolf (par noyade).

                Je dois dire en toute modestie que ce Ils se sont tous suicidés m’amène à songer à un mien texte intitulé Entre autres (qu’il est loisible de lire en cliquant sur le lien concernant mes écritures, quelque part à gauche).

                Il règne dans cet endroit un curieux climat de recueillement que nous rompons en faisant tourner la roue fixée sur le plateau d’un meuble à tiroirs que la charmante employée de la maison Templon nous dit provenir d’un ancien cabinet de dentiste. La flèche s’arrête sur un numéro. Dans le tiroir correspondant se trouve, décrite et écrite par Ben, la façon dont nous mourrons.

                Pour elle : « en vomissant vos tripes ».

                Pour moi : « poignardé par un artiste aigri et jaloux ».

                C’est tout à fait plausible et nous amuse un moment.

                Dans le restaurant chinois où nous dînons peu après, c’est la tristesse qui l’emporte quand je lui apprends le suicide de Mathilde, dix-sept ans, élève du lycée Flaubert à Rouen, qui s’est jetée la veille ou l’avant-veille du quatrième étage de l’établissement.

                Nous parlons de ce qui peut donner envie de se tuer quand on a cet âge et du lycée Flaubert où elle était elle-même élève quand on s’est vu pour la première fois.

                Comme elle est exténuée, je lui suggère d’aller un peu dormir et, avant que le train ne me ramène à Rouen, je baguenaude entre rive gauche et rive droite. Devant le Théâtre de la Ville, des jeunes filles de l’âge de Mathilde, désireuses d’assister au spectacle de Pina Bausch, brandissent des feuilles blanches sur lesquelles est écrit « Je cherche une place », ce qui me paraît être un bon résumé de l’inquiétude adolescente.

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