• Galerie Duchoze, antépénultième

                Un peu en avance hier soir pour le vernissage de l’exposition Jean-Michel Solvès chez Duchoze. Je referme mon parapluie sous le porche au moment où Daniel Duchoze sort de sa galerie.

                Je lui dis bonjour et il me répond qu’il va chercher de l’eau puis me confie, à moi qu’il ne connaît pas, dont il ignore tout des activités, avec juste l’envie de passer ses nerfs :

                -C’est fini la galerie, C’est vendu. Terminé les vernissages où il me faut nourrir trois cents personnes et où il n’y a plus rien à manger quand arrivent mes vrais clients, ceux qui me font vivre. Je suis un privé moi. Je n’ai pas de subventions ; Alors c’est fini, j’en ai marre, j’arrête. C’est signé. Le nouveau propriétaire prendra possession des lieux en juin. Je garde juste la petite galerie à côté pour les vrais clients. Soixante-cinq ans, il est temps de se mettre en semi-retraite.

                Il file chercher son pack d’eau. Arrive celle que j’attends à qui j’apprends la nouvelle. Ça nous attriste, on aime tellement les vernissages chez Duchoze. Celui d’aujourd’hui et encore deux ensuite et c’en sera terminé, la seule véritable galerie d’art de Rouen sera en demi-sommeil.

                Ce jour, pas énormément de monde, bien moins que trois cents personnes, en raison des vacances et puis les oeuvres de Jean-Michel Solvès, empreintes à l’africaine et sculptures en terre cuite sur le même thème, munies de bougies chauffe-plat, pas très intéressant, décoratif, sans véritable raison d’être.

                Peu importe, on est bien dans le profond canapé, à observer les déambulations des vernisseurs, parmi lesquels une très jolie jeune fille asiatique.

                Hélas, plus de cendrier sur la table basse, constate celle qui m’accompagne. La loi médico-puritaine s’exerce ici aussi. Les fumeurs sont contraints d’aller se livrer à leur plaisir sous le porche.

                Voici qu’arrivent les cubes de vin et les saladiers colorés, l’heure de la dînette a sonné et comme le dit une ex-responsable de l’ancienne librairie L’Armitière « il faut en profiter, c’est bientôt fini. »

                Du piano, sis dans la réserve au milieu de centaines de toiles de dizaines d’artistes qui vont bien regretter la mise en veilleuse de la galerie, proviennent quelques notes, nous nous approchons. Au clavier se trouve la jolie jeune fille asiatique, couvée du regard par celle qui doit être sa mère adoptive.

                -Je peux ? demande timidement  la demoiselle.

                -Oui, lui dis-je, vous avez le public alors il faut y aller.

                Elle se lance, et nous éblouit du brio avec lequel elle joue.

                -Vous avez vu, elle ne demandait que ça, nous dit la maman. Un petit verre de vin, ça aide bien.

                D’autres vernisseurs arrivent, attirés par la mélodie, et entourent le piano. La pianiste d’un instant achève sa prestation sous les applaudissements.

                Dire que bientôt on ne pourra plus jamais vivre des moments comme celui-là.        

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