• L’esprit de Satie à l’Hôtel de Ville de Rouen

    Pour l’ultime moment du cycle Satie confié à Hélios Azoulay, je suis à l’Hôtel de Ville de Rouen, ce mercredi midi, l’un des premiers à attendre l’ouverture des portes de la Salle du Conseil. A ma droite une vitrine contenant divers objets dont ce qui n’est pas une tête de Maori mais un masque de la Commedia del Arte offert lors du jumelage avec la ville de Salerne.

    Il nous est permis d’entrer, je trouve une place au premier rang avec vue sur le piano près de la dame à cheveux blancs que je côtoie souvent. Un jeune homme venu de l’arrière-salle distribue le programme de Rouen Impressionnée, l’opération municipale greffée sur le festival Normandie Impressionniste de Laurent le Fabuleux, non merci je l’ai déjà, puis Hélios Azoulay donne encore une chance à celles et ceux qui ont un grand salon de gagner un concert privé avec livraison de piano, de pianiste et de cantatrice interprétant Chopin en polonais. Je pense avoir la réponse aux cinq questions mais ne peux jouer étant logé petit. Je lis pendant ce temps, face à moi, la liste des maires depuis mil huit cent. Juste en dessous se trouve le buste du plus pesant d’entre eux, le Canuet.

    Hélios évoque ensuite les courtes œuvres de la première partie du concert : Petite ouverture à danser, Rêverie du pauvre, Les trois valses du précieux dégoûté, Avant-dernières pensées, Sonatine bureaucratique et le Rag-Time Dada issu du ballet Parade, tout cela joué par Beata Suranyi qui fit ses études à l’Académie Liszt de Budapest.

    En seconde partie, c’est Le piège de Méduse « comédie lyrique en un acte de M. ERIK SATIE avec musique du même monsieur », pièce de théâtre loufoque en quoi, nous dit Hélios Azoulay, on peut entendre une préfiguration du théâtre de Ionesco, dont les scènes sont entrecoupées de petites parties musicales jouées avec un piano sur les cordes duquel sont placées des feuilles de partition, préfiguration des pianos préparés de John Cage. Beata Suranyi est toujours au piano et Florient Azoulay joue seul tous les rôles de la pièce : le baron Méduse, sa fille Frisette, le prétendant Astolfe et le valet de chambre Polycarpe. Il donne également vie au singe empaillé Jonas qui danse quand joue la pianiste. Le buste du Canuet est promu accessoire de théâtre, ce qui pouvait lui arriver de mieux (peut-être un jour servira-t-il à caler une porte).

    Cela dégénère un peu plus quand le comédien lance l’animal à Hélios, qui me le lance, je le relance à son manipulateur, qui le relance dans la salle. Le singe empaillé vole au-dessus des têtes pendant un moment et l’on sent que l’esprit de Satie est vraiment là, loin de l’ennui habituel des conseils municipaux.

    La pièce s’achève par la fuite de Méduse et du récitant. Ce dernier revient et se fait applaudir comme il le mérite avec Beata Suranyi et Hélios Azoulay qui ensuite pulvérise l’urne en carton et donne le nom du gagnant du concours Chopin à la maison, lequel habite la rive gauche où il est grandement logé.

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    Vous reviendrez dans dix minutes. Je ne serai plus là. Erik Satie (Le piège de Méduse)

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