• L'inauguration de la salle Marcel Duchamp au musée de Rouen

    C’est moi-même et en ma seule présence qui suis là pour inaugurer, ce dimanche premier avril deux mille sept, la nouvelle salle dédiée en permanence à Marcel Duchamp au musée des Beaux-Arts de Rouen, un projet mené à bien en collaboration avec le Denver Art Museum et le Dallas Museum of Art.

    Je fais un beau discours où j’explique que dans cette salle se confrontent les œuvres de l’anartiste joueur d’échecs (deux tableaux de jeunesse, une valise, des documents autographes et trois disques optiques que l’on peut faire tourner avec son pied) et le cycle d’André Raffray illustrant la vie de Marcel (tirages numériques rétroéclairés). J’ajoute qu’une documentation visuelle et sonore est consultable sur place, fauteuils et table sont offerts à cet usage et que celles et ceux qui aiment être attachés à un mur par un fil pourront écouter au casque une création musicale de Dj Spooky that Subliminal Kid, auteur et artiste conceptuel new-yorkais.

    J’y vais franchement et n’hésite pas à appuyer du pied gauche sur les trois boutons blancs enclenchant les rotations simultanées des trois disques optiques.

    Ça donne le vertige, il est temps pour moi de prendre du champ.

    Ce que je fais en errant dans les autres salles, quasiment désertes, à la recherche de mes tableaux préférés : Rigolette, la bonne sœur à la fleur rouge, la joueuse de cistre, Démocrite et la Jeanne aux yeux exophtalmés.

    Au sortir d’une des salles, je trouve une gardienne au téléphone :

    -Attends, je raccroche, il y a quelqu’un, bisou, s’empresse-t-elle de dire.

    -Désolé, lui dis-je.

    -Non, non, c’est un collègue de l’étage en dessous qui était au téléphone, se justifie-t-elle, on ne se voit pas, alors on se téléphone.

    Je la retrouve un peu plus tard dans une autre salle. Elle vient vers moi :

    -Alors, vous n’êtes pas venu avec votre grande fille aujourd’hui ?

    -Ma fille ?

    -Oui, la grande jeune fille qui vous accompagne quand vous venez ici. Je vous ai déjà vus plusieurs fois ensemble.

    -Ah, mais ce n’est pas ma fille, c’est mon amoureuse.

    -Oh, désolée, j’ai fait une gaffe.

    -Non, non, ce n’est rien, elle va bien s’amuser quand je vais lui raconter ça.

    -Remarquez, me dit-elle, c’est plutôt flatteur.

    -Oui, surtout pour elle.

    Je lui parle alors de l’arrivée prévue à seize heures des lits d’Alain Sonneville et de Pierre-Claude De Castro qui doivent dormir, cette nuit du premier avril, dans le musée, pour ce qu’ils nomment une contre-performance, regrettant de ne pouvoir être là à seize heures pour cause de concert à l’Opéra.

    -Oh, mais les lits sont déjà là, me dit-elle. Ils sont arrivés hier soir. Ils sont dans une petite pièce du musée. Voilà, vous êtes dans le secret. Il ne faut pas le dire.

    Le dire, non. L’écrire, pourquoi pas.

    Et à l’heure où je l’écris, ils doivent y être au lit, les contre-performeurs. Dormez bien les garçons, attention cependant au fantôme de Marcel, depuis aujourd’hui il a une bonne raison de rôder dans ce musée.

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