• La guerre de Quatorze/Dix-Huit de grand-père Jules en quatre épisodes (quatre)

    Après avoir dit la tristesse que lui inspire le sort des chevaux, grand-père Jules en revient à la permission donnée pour le décès de son frère dont il n’évoque pas l’enterrement :

    … c’est chez mes Parents à Ourville-en-Caux que je passais cette permission qui se terminait le 11 Novembre et c’est dans la matinée de ce jour que comme une traînée de poudre la nouvelle se répandit dans la Commune, l’armistice sera signé à 11h, partout ce fut une immense joie…

    J’étais le seul permissionnaire dans le pays (…) les plus aisés payaient le champagne, ce qui me valut de me sentir un peu vaseux le lendemain matin, mais après avoir déjeuné gaiement avec mes parents, je suis parti dans l’après-midi rejoindre mon régiment en Belgique.

    En arrivant à ma batterie qui se trouvait dans la région de Audenarde, je retrouvai mes camarades, tous heureux de voir la guerre finie (…) quelques heures seulement avant la cessation d’un combat, l’un d’eux avait eu un bras arraché.

    La démobilisation n’est pas pour tout de suite, les troupes avancent vers l’Allemagne :

    … le 1er décembre nous défilons à Bruxelles devant le roi Albert 1er, puis après avoir séjourné dans la région de Liège, puis passé à Verviers, nous sommes rentrés en Allemagne, à la première halte de bonne heure le matin, dans un petit village, les habitants venaient curieusement nous regarder, puis ils nous ont offert de leur café, ersatzcafe comme ils disaient (il y a longtemps qu’ils n’en avaient plus de vrai)…

    Le voici donc occupant pendant un moment l’Allemagne à Eschweiler (entre Aix-la-Chapelle/Aachen et Duren) où l’on ne trouve plus ni chiens ni chats, ils ont été mangés, puis il retourne en Belgique à Beyne-Heusey près de Liège où il loge chez l’habitant et prend ses repas avec une douzaine d’autres chez deux institutrices, et là dans son texte grand-père Jules fait une très longue digression au sujet d’un guérisseur qu’il y rencontre et qui jure-t-il fait des miracles, retrouvant le frère disparu de l’un d’eux, rendant la vue et la mobilité à la grand-mère d’un autre. De retour en France, il cantonne à Remiremont, puis à Saint-Amé où il est hébergé par la famille Coolus, enfin à Guebwiller qu’il quitte le quinze août mil neuf cent dix-neuf avec l’ordre de se faire démobiliser à Rouen, quartier Richepanse, ce qu’il fait le dix-neuf ;

    Comme tous ceux qui avaient combattu je touchai, ce que la nation nous donnait en récompense des services rendus, quelques dizaines de francs de pécule et un costume (dit Clemenceau) d’un modèle standard.

    A 27 ans, je me retrouvais donc dans la vie civile, avec une santé un peu altérée, particulièrement les voies digestives, et un peu handicapé par les séquelles de la blessure, m’empêchant de reprendre mon métier de garçon d’hôtel.

    Grand-père Jules est ainsi resté six années à l’armée dont quatre à faire la guerre. Ayant retrouvé sa liberté, il passe le permis pour faire chauffeur d’auto, conduisant d’abord des camions puis des voitures de maître.

    Pour moi comme pour beaucoup, le régiment et la guerre ne furent plus alors qu’un souvenir, conclut-il sobrement.

    *

    Si chauvins de France et chauvins d’Allemagne réussissaient à jeter les deux nations l’une contre l’autre, la guerre s’accompagnerait de violences sauvages qui souilleraient pour des générations la mémoire des hommes. Jean Jaurès dans L’Humanité (douze juin mil neuf cent treize)

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