• La maman bohême et Médée au Théâtre de la Foudre à Petit-Quevilly (Automne en Normandie)

                Dario Fo (prix Nobel de Littérature en mil neuf cent quatre-vingt-dix-sept) et Franca Rame au programme du Théâtre de la Foudre, avec deux courtes pièces cousines La maman bohème et Médée, un spectacle du festival Automne en Normandie, mardi soir, salle comble évidemment, avec pas mal de lycéen(ne)s dont certain(e)s venu(e)s de Dieppe, à ma droite s’installe un jeune homme venu seul.

                -Je crois que je vous ai déjà vu quelque part, me dit-il. Vous n’êtes pas prof au lycée Jeanne-d’Arc ?

                -Ah non, j’ai été enseignant mais en maternelle. On s’est peut-être croisé dans une salle de spectacle. Je suis abonné à l’Opéra, par exemple.

                -Non, me dit-il, c’est peut-être dans une manifestation.

                -C’est possible aussi. Ce matin par exemple.

                -Non, pas ce matin.

                -Alors l’autre semaine, dans la manif de droite.

                -Ah oui, c’est ça. C’était bien.

                Il se plonge dans le programme. J’écoute ce qui se dit derrière. Un homme et une femme discutent de littérature. Il lui parle des poèmes de Maupassant puis elle lui demande :

                -Tu connais Nicole Estienne, une nana du seizième ?

                -Non, qu’est-ce qu’elle fait dans le seizième ?

                -Mais non, je te parle du seizième siècle ! C’était la fille de l’imprimeur Estienne. Elle a écrit des choses très intéressantes.

                Une voix enregistrée s’adresse au public. C’est Didier Bezace, le metteur en scène qui situe dans le temps la double pièce de Dario Fo et Franca Rame. Cela se passe au siècle précèdent dans ces années où l’on voulait l’imagination au pouvoir.

                Déboule alors du fond de la salle Ariane Ascaride tirant son Caddie à fleurs. C’est elle la maman bohème. Elle est vêtue comme une lycéenne de Jeanne-d’Arc, version sexy, et est poursuivie par les carabiniers. Le rideau s’ouvre lui offrant la possibilité de se réfugier dans une église. Un curé est là, endormi dans son confessionnal. S’ensuit une confession monologuée de la dame, ancienne communiste pratiquante, passée à l’extrême-gauche puis chez les hippies afin de ne pas perdre de vue son fils. C’est bouffon et subversif, non sans rapport avec l’actualité.

                Cette insoumise, à la fin de la pièce, se voit ramener dans le droit chemin, celui qui mène à la cuisine et aux travaux domestiques, et cela par son fils devenu costume cravate (c’est lui qui la fait poursuivre par les carabiniers) avec la complicité du curé et par le moyen d’une porte communicante et du décor tournant.

                Quatre minutes d’entracte, le temps qu’Ariane Ascaride change de tenue, et on la retrouve dans sa cuisine, Médée moderne, en ménagère prisonnière de son Jason qui la délaisse pour une bien plus jeune qu’elle : « Si encore il m’avait laissé tomber pour une de quatre-vingt-cinq ans, je comprendrais, on peut avoir eu une enfance difficile et avoir besoin d’une grand-mère.» En attendant le retour de Jason, elle lui prépare un frichti de sorcière, tout en apprenant par cœur la Médée d’Euripide, maudissant la gent masculine dans son ensemble. Je ne raconte pas tout, il faut voir et entendre.

                C’est tout à fait réjouissant et Ariane Ascaride se paie un gros succès, ravie d’être acclamée par tant de jeunes filles qui ne s’en laisseront pas compter, c’est sûr.

                Un homme en sortant dit à sa femme :

                -Bon, si je comprends bien, il faut que je fasse la vaisselle demain.

                De retour à la maison, je me renseigne sur cette Nicole Estienne, femme du seizième, et apprend qu’elle a écrit Misères de la femme mariée, un ouvrage réédité pour la dernière fois en mil huit cent cinquante-cinq dont le titre aurait parfaitement convenu aux deux pièces ravageuses de Dario Fo et de sa femme Franca Rame, laquelle, en mil neuf cent soixante-treize, fut kidnappée, torturée et violée par un groupe de néo-fascistes, pour prix de son insubordination.

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