• La Marea, rue du Bec, à Rouen (Automne en Normandie)

                Je suis, avec elle, à neuf heures moins cinq, rue du Bec, ce samedi soir. Déjà sont là quelques personnes qui savent ce qui va avoir lieu. Il en est aussi qui passent par hasard et demandent : C’est quoi ce truc ? Il y a encore les amoindris du cerveau qui déboulent en meute en hurlant : Allez les Bœufs, allez les Bœufs ! Ces derniers vont vers l’Hôtel de Ville où Albert (tiny), maire de Rouen, a installé son écran de télé grandes dimensions, ils sentent le tricolore et la bière, heureusement ils ne font que passer et ne dérangent pas La Marea.

                C’est le festival Automne en Normandie qui occupe l’espace public avec ce spectacle gratuit d’origine argentine, joué pour la première fois en France, à Rouen, après Buenos Aires, Bruxelles, Berlin, Riga et Dublin. Du théâtre de rue donc, avec en parallèle neuf sketches présentant des scènes de la vie quotidienne (rendez-vous raté, couple à la dérive, femme abandonnée, accident de la route, fête dont l’un se sent exclu, jeune fille ne trouvant pas le sommeil, et cætera). Ces scénettes se tiennent dans les magasins (Printemps, Habitat, boutique vidéo), sur un balcon ou sur le macadam. Des surtitrages racontent chaque histoire en donnant accès aux pensées secrètes et aux fantasmes des personnages qui sont interprétés par des élèves du Conservatoire de Rouen et leur professeur. Toutes les dix minutes, les neuf scènes sont rejouées, cela pendant quatre-vingts minutes. On ne peut donc en suivre que huit sur neuf et c’est bon de rester sur sa faim.

                -C’est vraiment réaliste, me dit-elle, et je trouve ça rassurant.

                -Rassurant ?

                -Oui, c’est rassurant de voir qu’on n’est pas la seule à avoir ce genre de pensées et à vivre ce genre de situations.

                Je lui dis que je trouve ça, quant à moi et pour les mêmes raisons, tout à fait désespérant.

                Autant dire que je passe une bonne soirée et celle qui m’accompagne aussi.

                Il y a deux ans, elle était avec moi à Sotteville-lès-Rouen lors du festival de théâtre de rue Vivacité pour une déambulation semblable dans les rues d’un quartier, cela s’appelait Le safari de la vie intime, c’était le même principe, sauf que les comédiens de la troupe Opéra Pagaï se parlaient  et que le quartier était fermé à la circulation. Ici, n’importe quel pleupleu passe et ça donne de bons moments. Ah, les encapuchonnés de banlieue devant la vitrine du Printemps où la demoiselle en nuisette se tourne et se retourne dans son lit !

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