• La mort solitaire de l'écrivain Tony Duvert

                L’une de mes connaissances me demande si je connais Tony Duvert. Oui, lui dis-je, j’ai dans ma bibliothèque deux de ses livres parus aux Editions de Minuit dans les années soixante-dix, Le Bon Sexe illustré, critique narquoise et sulfureuse de l’Encyclopédie de la vie sexuelle publiée à cette époque par Hachette, et le récit intitulé Journal d’un innocent. Et je songe à la mort en solitaire de l’écrivain l’été dernier, son corps retrouvé un mois après, dans un état de décomposition avancé, comme on dit.

                C’est que Tony Duvert, politiquement à l’extrême gauche et amateur de jeunes garçons (c’est le sujet de ses ouvrages), passe en quelques années de l’assentiment d’une grande part des intellectuel(les) et d’une partie du public, avec Prix Médicis en mil neuf cent soixante-treize, au rejet quasi général. Gabriel Matzneff, politiquement bien à droite et amateur de très jeunes filles, connaît le même destin. L’un et l’autre, remarquables stylistes pensant être bien assis dans le paysage littéraire, se retrouvent brutalement sur le cul.

                Gabriel Matzneff sursoit à la parution de la suite de son Journal. Tony Duvert, lui, arrête d’écrire en mil neuf cent quatre-vingt-dix et se réfugie dans le Loir et Cher à Thoré-la-Rochette, où il mène, d’abord auprès de sa mère puis seul, une vie d’ermite misanthrope et désargenté.

                Pendant l’été deux mille huit, un de ses voisins constate que le courrier s’accumule dans la boîte à lettres. Le vingt août, il prévient les gendarmes qui découvrent le corps de l’écrivain, mort semble-t-il de mort naturelle plusieurs semaines auparavant, à l’âge de soixante-trois ans.

                Les Editions de Minuit sont restées fâcheusement discrètes lors de cette disparition (comme on dit), mais sur le blog des Editions Léo Scheer, je lis : « Les conventions sexuelles sont essentiellement restées les mêmes : frontières solides et surveillance constante. Mais la ceinture s’est resserrée d’un cran, aucune échappatoire fût-elle imaginaire n’est plus acceptable, aucune voix autre ne peut être entendue, et la littérature doit s’aligner comme le reste sur les normes de la vie courante. Tony Duvert n’était pas (comme il a pu penser l’être) le héraut et prophète d’une libération plus grande, qui rendrait tolérable ce qui était monstrueux, il n’annonçait pas le temps radieux de l’amour universel, il écrivait des livres, lieu où, pour peu qu’ils sachent irradier, tout est permis, parce qu’en eux tout se recrée sur un autre plan que celui que les surveillants surveillent, et qu’ils font beauté de tout. »

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