• La triste rentrée des jeunes professeur(e)s

                Il y a quelque temps, je croise cette jeune voisine devenue professeure d’anglais et je lui demande où elle est nommée pour sa première rentrée, m’attendant à une mauvaise nouvelle pour elle et effectivement c’en est une.

                -A Créteil, me dit-elle. Dans un collège de la zone sensible.

                Sensible, elle l’est aussi et ses yeux se mouillent.

                -Je n’aurais jamais cru que ça se passait comme ça, ajoute-t-elle. Quand j’ai appris ça, j’étais prête à démissionner. Maintenant, j’essaie de m’y faire. J’ai trouvé un appartement à Champigny-sur-Marne et je reviendrai ici chez mon copain chaque fin de semaine.

                Elle m’explique que si elle avait su, elle se serait pacsée, au moins elle serait restée dans l’académie. Je lui réponds que ça ne lui aurait pas évité le collège difficile. Et peut-être même loin de chez elle, Le Havre est à peine plus proche de Rouen que Créteil.

                Combien naïfs sont ces jeunes hommes et ces jeunes filles qui, après des études erratiques, ne rêvent soudain que d’une chose : passer le Capesse et vivre une belle vie de professeur(e) avec plein de vacances à la clé.

                Quand je préviens celles et ceux de ma connaissance, surtout ne fais pas ça, tu vas te retrouver face à des élèves qui te haïront, t’insulteront, te lanceront des craies dans le dos, crèveront les pneus de ta voiture et pire encore, aucun(e) ne me croit.

                Je me souviens de l’une me répondant :

                -Oui, mais avec moi ce ne sera pas la même chose, ils verront que je les aime, que je suis là pour les aider.

                Elle a vu en effet.

                Aujourd’hui, celle qui fut ma voisine et qui est devenue professeur(e) doit être morte de peur face à ceux et celles à qui elle va devoir faire face toute l’année scolaire, un gros nœud au creux du ventre, sans avoir dormi de la nuit.

                C’est comme cela dans l’Education Nationale, les classes les plus difficiles, c’est pour les plus jeunes, les inexpérimenté(e)s, les moins bien payé(e)s, qui devront dépenser une partie de ce maigre salaire en allers et retours lointains.

                Qu’on ne compte pas sur les ancien(ne)s, mieux loti(e)s, pour dénoncer cette iniquité. A l’abri dans la petite planque qu’ils et elles se sont constituée au fil du temps, ils ont la réponse toute prête : Nous aussi, on est passé par là autrefois.

                La belle excuse.

                Moi aussi je suis passé par là. Nommé, après deux années à l’Ecole Normale destinées à faire de moi un enseignant en école primaire, dans un collège, et précisément dans une Classe Préparatoire à l’Apprentissage, face à des laissé(e)s pour compte qu’il m’aurait fallu transformer en garçons bouchers ou en champouineuses, dans un bâtiment préfabriqué au fond de la cour, avec des collègues (comme on dit) tout à fait satisfait(e)s que je les débarrasse de leurs pires élèves.

                Je me souviens du jour où, après avoir erré longtemps en voiture, je me suis arrêté à Acquigny, près du château, pour faire le point, et que la solution la plus réaliste me semblait être le suicide.

                (Je me suis sorti de là. Grâce à deux médecins. Le premier, médecin scolaire, me connaissant depuis l’enfance, qui m’a convaincu de reprendre ma lettre de démission déjà sur le bureau de l’inspectrice. Le second qui, de mois en mois, m’a complaisamment fourni des arrêts de maladie.)

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