• Le onze douze treize, un mercredi de particules fines à Paris

    Fraîcheur et soleil assuré pour ce mercredi à Paris que je commence à neuf heures et quart les doigts gourds dans les livres à vingt centimes de Boulinier. J’en tire Ballade américaine d’une certaine Elvire de Brissac, un récit de voyage publié en mil neuf cent soixante-seize chez Stock. Après un passage chez Gibert Joseph, un peu plus haut sur le même boulevard Saint-Michel, j’enfile la rue des Ecoles, tourne à droite vers la Montagne Sainte-Geneviève, frôle les cerveaux de Polytechnique et d’Henri le Quatrième, atteins la Contrescarpe et descends la rue Mouffetard jusqu’au Verre à Pied. Je m’installe près du poêle Godin qui a tôt fait de me réchauffer et me plonge dans le livre d’Elvire qui aurait aussi bien pu s’appeler Une bourgeoise en Amérique. Cette dame à œillères y fait étalage tout au long de sa supériorité d’Européenne. Pire, elle ne tire rien d’intéressant de ses rencontres avec Henry Miller à Pacific Palisades et Marguerite Yourcenar à Petite-Plaisance. Ça se termine ainsi, à son retour en France : Les McDonald’s me font rêver ; il y en a un, au coin du boulevard Saint-Michel, que je regarde comme une beauté. Arrivant à Lyon, un soir de mai, par un orage furieux, devant l’enseigne d’un Holiday Inn, je me suis déraidie d’un coup : avec beaucoup de tonnerre, un instant j’ai cru y être. Vingt centimes, c’est le juste prix.

    Au comptoir, des habitué(e)s soliloquent, dont la comédienne. Elle nourrit un nouveau projet, envisage de faire venir Agnès Varda mais pas Jean-Pierre Mocky :

    -C’est une grande gueule. On va pas l’inviter, il foutrait la merde.

    Elle aimerait bien quelqu’un de la Nouvelle Vague mais il n’y a plus que Godard de vivant et il est en Suisse.

    -Eric Rohmer, lui il fréquentait l’église Saint-Médard. Il était malsain, coincé comme un catholique.

    Dans la cuisine, la patronne s’active. Accompagnant ses mains de sa voix, elle interprète des cantates hollandaises. A midi moins dix, je retrouve la rue et vais déjeuner japonais à volonté au Pot d’Or, rue du Pot de Fer. On y diffuse le Journal de France Trois, ce qui pourrait faire croire qu’on est en province. Il est question des particules fines qui flottent dans l’air débarrassé de nuages et rongent les poumons. Il faudrait arrêter les voitures diesel et les poêles Godin, mais on n’en fera rien. Un reportage sur la Roche-Guyon où j’ai des souvenirs me serre un peu le cœur (comme on dit). Je me soigne au petit vin blanc.

    Il fait toujours aussi beau quand je sors de mon Pot. Je vais donc à pied par les Gobelins jusqu’à la place d’Italie où le métro m’emmène au Book-Off  de la Bastille. De là je rejoins l’autre à l’Opéra où je trouve, entre autres, pour un euro, Boby Lapointe c’est bon pour c’que t’as, un abécédaire de Chloé Radiguet, avec un préambule peu inspiré de Brigitte Fontaine, un ouvrage paru en deux mille treize au Cherche Midi. Mon exemplaire est dédicacé par l’auteure : « Pour vous, Thierry Clermont, en clin d’œil amical –et au loin de Raymond R.–, cette plongée dans l’univers de l’ami Boby, raconté de Absurde à Zéro. Avec ma vive sympathie »

    Le soir, gare Saint-Lazare, mon train est annoncé avec dix minutes de retard, en cours de préparation au garage (c’est pire pour celui de Gisors, annulé pour cause d’absence de matériel).

    Durant le trajet, je lis l’abécédaire consacré à Boby. Il est décevant, empli de banalités, de psychologisme et d’interprétations à côté de la plaque, exemple à l’article Sœur : Dans La fille du pêcheur, il raille : « Heureusement pour moi, y a ta petite sœur/ Qui a grandi », avec une cruauté sans doute née de son chagrin… Je comprends pourquoi le journaliste du Figaro Littéraire n’a pas voulu garder ce livre.

    *

    Arrivé à Rouen, j’apprends qu’à l’heure où j’attendais mon train, la photographe Kate Barry, fille aînée de Jane Birkin, s’est jetée par la fenêtre de son appartement du seizième arrondissement et en est morte à l’âge de quarante-six ans. Il y a maintenant bien longtemps et bien accompagné, j’ai vu l’une de ses expositions dans une galerie de la rue de Verneuil, presque en face de la maison de Gainsbourg, après la mort de celui-ci. On y voyait de jolies filles nues.

     

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