• Le Palais Idéal du Facteur Cheval

     

                Après l’orage, la veille au soir, sur l’aire naturelle de campigne de Montchenu, la tente pliée mouillée dans la voiture aux pieds de celle qui fait copilote, je me gare sur la place de Hauterives. Pas loin se trouve le Palais Idéal du Facteur Cheval, abordable par une rue spécialement aménagée, entre deux rangées de petits commerces qui profitent de l’aubaine (dans l’un d’eux nous goûtons la pogne, sorte de brioche locale). Bien enclos, le Palais est invisible de la rue et de quelque endroit du village que ce soit. Pas moyen de le voir sans payer mais il y a assez à voir pour payer sans rechigner.

                Nous sommes les premiers. Nos billets portent pour heure : neuf zéro deux, et pour date, trois fois zéro huit : huit août deux mille huit.

                Entrés derrière nous, un couple et ses enfants ne m’empêchent pas de faire de bien jolies photos de celle qui m’accompagne, devant le Palais et à l’intérieur d’icelui, vite avant que n’arrivent en nombre les navrantes familles et autres touristes en goguette qui viennent ici comme on va dans un parc d’attraction. A leur décharge, je dois dire qu’à l’entrée, on distribue aux moutards un questionnaire jeu de piste qui les encourage à courir partout.

                Un sacré bosseur, Ferdinand Cheval, et un grand artiste, catho bigot un peu fou, architecte bâtisseur de l’idéal palais L’appareil photo rangé, j’en fais lentement avec elle le tour et l’exploration intérieure, couloir sombre et plate-forme supérieure, cachette à brouette et escaliers colimaçonnés, notant sur mon petit carnet une des fortes pensées du Facteur :

                La vie est un océan plein de tempêtes/ Entre l’enfant qui vient de naître/ Et le vieillard qui va disparaître.

                Je photographie pour elle quelques éléments du Panthéon personnel de Ferdinand (César, Vercingétorix, Archimède, Socrate et la reine des grottes), des animaux de son bestiaire hétéroclite et les lieux revisités par son imagination (temple hindou, chalet suisse, maison blanche, maison carrée, château du Moyen Age et mosquée) tandis qu’elle note pour moi sur son carnet à dessin, les réflexions subtiles de la foule qui nous entoure maintenant :

                -Attention, Françoise, c’est escarpé par là ; tu devrais monter de l’autre côté.

                -Ah la vache, c’est haut !

                -Pfft, c’est du solide quand même.

                -C’est lui qui a marqué tout ça ?

                -Eh bah, ça devait vraiment être quelqu’un de bien.

                -Eh dis donc, c’est beau en haut.

                -C’est sympa quand même. En plus, il fait pas trop chaud.

                -T’as vu les cactus qu’il a mis dans les pots, c’est joli ça aussi.

                Pas peu fier de lui, monsieur Cheval, d’avoir fait tout ça, il l’a écrit partout sur les murs de son Palais, j’en prends note :

                En créant ce rocher/ J’ai voulu montrer/ Ce que peut la volonté.

                A la source de la vie/ J’ai puisé mon génie/ De ce breuvage/ Mon âme a pris courage.

                La vie est un rapide coursier/ Ma pensée vivra avec ce rocher.

                Ma volonté a été aussi forte que ce rocher.

                Cette merveille dont l’auteur peut être fier/ Sera unique dans l’univers.

                Nous redirons aux générations nouvelles/ Que toi seul a bâti cette merveille.

                Bravant la chaleur, la froidure/ Et même l’outrage du temps/ Je forçais la nature/ Je triomphais des éléments.

                D’un songe, j’ai sorti la reine du monde.

                Au champ du labeur/ J’attends mon vainqueur.

                Dix mille journées/ Trente-trois mille heures/ Trente-trois ans d’épreuves/ Plus opiniâtre que moi se mette à l’épreuve.

                Ce n’est pas moi qui vais relever le gant, comme on dit. Je me contente d’admirer, elle à mon côté, du belvédère construit à cette fin par le Facteur, un lieu trop petit pour contenir tous ses visiteurs du jour, on se marche dessus. Je lui propose de quitter les lieux pour rendre visite au Facteur dans sa dernière demeure, construite par ses soins au cimetière de Hauterives, la municipalité d’alors lui ayant refusé la permission d’être enterré dans son Palais Idéal.

                Le cimetière est à la sortie du village. C’est en voiture que nous y allons, suivant la flèche « Tombe du Facteur ». Celle-ci se trouve à l’entrée, en angle, et rend ses voisines bien ternes. Ferdinand Cheval y a mis ses dernières forces, dans un style aussi luxuriant que celui de son Palais mais en plus abstrait. Plusieurs membres de sa famille sont enterrés là avec lui, certains depuis assez peu, dans le « Tombeau du silence et du repos sans fin ».

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