• Lisant les Histoires sans morale d’Alfred Polgar

                Je termine la lecture d’Histoires sans morale d’Alfred Polgar, livre publié autrefois chez Anatolia/Editions du Rocher, actuellement vendu deux euros quatre-vingts chez Mona Lisait. En couverture, un bourgeois glisse la main entre les cuisses d’une femme assise sur ses genoux dont il a relevé haut la robe. C’est la reproduction d’un tableau de Cosimo Privato Les Caresses interdites.

                Je ne connaissais pas Alfred Polgar, feuilletoniste viennois qui dut quitter son pays en mil neuf cent trente-trois. Le titre, l’image de couverture et le prix sont les raisons de mon achat, également le fait qu’ouvrant l’ouvrage au hasard je suis tombé sur Une fille de seize ans :

                Une fille de seize ans s’est pendue en prison. Elle était allée à la police et avait demandé un « livret de santé », comme en a besoin la jeunesse féminine pour pouvoir mettre les joies du sexe que son corps recèle en vente libre dans la rue. J’aime bien cette formulation.

                Si cette demoiselle se pend, c’est que les policiers la trouvent trop jeune pour l’activité :

                A seize ans, les filles de chez nous ne reçoivent encore aucun livret de santé. A quatorze, elles ont droit à l’usine, à dix-sept seulement, à la prostitution, à vingt ans, au vote.

                C’est l’un des meilleurs textes du livre.

                L’affaire Loos a aussi retenu mon attention, qui commence ainsi :

                L’architecte Adolf Loos a été arrêté à Vienne, parce que deux enfants qui posaient pour lui ont raconté à leurs mères que Loos avait commis sur eux des attouchements et même les avaient contraints à prendre un bain.

                Quand Vienne apprit que l’architecte Loos, sous la charge de tels soupçons, avait été mis en prison, écrit un peu plus loin Alfred Polgar, un gargouillement étrange parcourut la ville : c’était le bruit de l’eau venant à la bouche des Viennois.

                Polgar pense que si Loos a de tel ennuis c’est qu’il est mal vu étant l’ami fanatique de Peter Altenberg et autres mauvais sujets et ayant souvent et violemment heurté le goût viennois dans les choses de l’art et de la vie. Il ne lui vient pas à l’esprit que l’accusation puisse être fondée : L’architecte lui-même dit qu’il est accusé à tort. Qui le connaît sait qu’en parlant ainsi il ne dit que la pure vérité. L’affaire Loos sera classée sans suite.

                Un dernier échantillon avec le début d’Assassin de bas niveau, un texte qui démarre plein pot :

                Hirth, voleur et assassin, pesait quatre-vingt-quinze kilos à son entrée en prison. Sur le banc des accusés, quelques mois plus tard, il n’ y avait plus que soixante kilos de Hirth. La justice estima que c’était encore soixante kilos en trop et condamna le voleur assassin à mort.

                Les Histoires sans morale sont préfacées par Robert Musil qui présente ainsi Alfred Polgar :

                Cet homme rebelle aux influences n’a jamais ressenti le besoin de se départir de son ironique sérénité, il a tenu sa maison en ordre mais n’a jamais balayé au-delà de sa porte.

                (…/…)

                Il habite dans un atelier, au sixième étage, avec une chambre attenante de la taille d’une gondole. On voit des toits, des précipices, des dos de maisons, le ciel ; un paysage pour ramoneurs, chats et cubistes.

    *

                Deux aphorismes signés Alfred Polgar :

                Toute la gaîté du monde provient de sa tristesse.

                Je crois qu’il y a du bon chez l’homme mais je conseille de compter plutôt sur le mauvais.

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                Rouen, magasin Faïences Saint Romain, rue du même nom, devant la porte une carpette bleue sur laquelle est écrit « Faïences de Rouen, fabriquant ». On peut s’y essuyer les pieds sur l’orthographe.

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                Celui qui va perdre l’élection présidentielle n’a pas seulement une forte affiche, il a aussi une martiale musique, laquelle a été enregistrée à bas coût à Sofia, capitale de la Bulgarie (les musicien(ne)s pensaient qu’il s’agissait d’une musique de film).

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