• Maréchal, te voilà !

                Jeudi, jour du marché à la brocante rouennais place des Emmurées, les brocanteurs déballent, aussi fripés que leurs marchandises, l’air d’avoir dormi dans leurs camions, et depuis plusieurs nuits. Je ne traque que les livres parmi leur fatras, sans y mettre la main, je n’aime pas me salir, je regarde juste ce qui remonte à la surface et aussi ce que fouillent d’autres maniaques encore plus atteints que moi.

                Celui-ci, je n’ai pas à le chercher, il est posé sur le bitume, un joli livre de mil neuf cent quarante-trois, intitulé Philippe Pétain, le « Maréchal » des jeunes publié aux Editions Mame à Tours, écrit par Alain Bussières, préfacé par Georges Lamirand (secrétaire général à la jeunesse de Vichy) et agrémenté de dessins non signés d’un illustrateur anonyme (un type prudent, celui-là).

                Pour trois malheureux euros, m’en voici le propriétaire.

                De retour chez moi, je me plonge dans cet hymne à la belle jeunesse : La jeunesse, c’est avant tout une vertu : la vertu d’espérer, de vouloir, de construire. Cette jeunesse-là, Pétain la possède : c’est elle qui l’anime ; par elle, loin de s’attarder au passé, il est tout entier tourné vers l’avenir. Par elle, il se sent toujours disponible, toujours prêt. Toujours prêt : c’est la devise même de la jeunesse. Tiens, ça me rappelle quelque chose.

                Ça se lit facilement, ça ne fait pas mal à la tête, vers la fin il y a ce passage à tirer les larmes :

                -Vous lisiez les maîtres de la philosophie. Vous étiez vous-même un jeune philosophe. Vous avez écrit un très beau livre. Que faites-vous maintenant ?

                Roland rit encore :

                -Je coupe des arbres, je goûte la soupe…

                -Et vous formez des jeunes hommes.

                Louis, le compagnon, ne lui laissa pas le temps de répondre :

                -Vous avez une fiancée, n’est-ce pas ?

                Roland le regarda, surpris. Il répondit plus bas :

                -J’ai une fiancée.

                -Où est-elle ?

                Une ombre passa sur son visage. Il fit un geste :

                -Là-bas…

                -Vous ne retournez pas là-bas ?

                Il dit simplement :

                -Non.

                Jean-Loup murmura :

                -Vous aviez une semaine de repos.

                -Et vous êtes venu faire notre moisson, dit le jeune paysan.

                Les quatre garçons entouraient maintenant l’assistant et le regardaient dans les yeux. Alors le chœur dit gravement :

                -Don de soi.

                Les Editions Mame, je sais que c’est une maison d’édition catholique, je vérifie via Internet.

                Sur le seul site qui en parle, ricochet-jeunes.org, spécialisé dans les livres pour la jeunesse, je lis ceci : « Les Editions Mame sont le fleuron de l'édition religieuse en France depuis plus de cent cinquante ans. Totalement arrêtées durant la guerre, les éditions reprennent leur activité à partir des années cinquante, avec une usine ultramoderne en mil neuf cent cinquante-deux. La production reprend à un rythme soutenu, proposant entre autre des collections jeunesse. »

                « Totalement arrêtées pendant la guerre », dis-moi Ricochet, tu mens ou tu n’es pas bien informé ?

                Il manque vraiment en France un Musée de la Collaboration, je suis prêt à offrir mon livre, publié aux Editions Mame en quarante-trois, comme première pierre pour cet édifice.

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