• Marseille dans le désordre et pas complètement

                Marseille, j’y arrive par la gare Saint-Charles, sous le soleil, le vingt-trois octobre, descendant les marches de l’escalier monumental suivi de ma valise à roulettes (une concession faite à ma clavicule gauche), tout de suite saisi par le désordre ambiant, voitures garées n’importe où, quidams traversant quand ils veulent, chantiers plus ou moins protégés, commerces de trottoir, agitation perpétuelle, ce qui fait le charme de la ville, ce qui fait que j’y reviens avec plaisir, ce qui plait aussi à celle qui n’y est plus étudiante et me rejoint le lendemain, dont une amie dit « Marseille, ce n’est pas la France » et nous d’accord avec elle, aussi bien peut-on dire « Marseille, c’est la France car ce n’est pas la Sarkozie ».

    J’avance suivant la pente, tourne à droite sur la Canebière, arrive au Vieux Port, là-haut Notre-Dame-de-la-Garde résiste à un vent qui fait choir les scouteurs. Deux tombent près de moi, l’un garni d’un conducteur qui se relève un peu surpris. Je passe devant la mairie du Gaudin et tourne à droite vers la Vieille Charité. La valise commence à peser, c’est que je monte vers le Panier.

                Là se trouve notre logement, un studio baptisé César (celui de Pagnol), ancien atelier d’artiste perché au dernier étage de la Maison du Petit Canard, chez Youssef et Stefanie, au bout de la rue Sainte-Françoise, dans ce quartier à la mauvaise réputation où se greffent désormais (près de chez nous) le Cinéma et la Boutique de la stupide série télévisée Plus belle la vie.

    De bien bons petits-déjeuners pris en terrasse nous attendent chaque matin dans la Maison du Petit Canard où la conversation avec nos sympathiques hôtes et les autres hébergé(e)s est alimentée par les nouvelles locales, un match de foute contre Paris annulé et La Provence qui titre pour quelques heurts avec les Céhéresses « Jour de guerre », les ordures qui s’amoncellent suite à une grève des éboueurs et la patronne de la boutique du feuilleton niais qui peste car poubelle la vie.

                Quoi raconter encore de cet été marseillais de la Toussaint deux mille neuf, le vent tombé et le soleil chaque jour (« vingt-cinq degrés ici c’est comme au Sénégal » se réjouit l’Africain qui nous montre le chemin de Cassis où il se rend tous les jours pour vendre des vaches dansantes en peluche), l’exploration des calanques en bateau, la balade sur les îles du Frioul, celle au port de l’Estaque sur les traces de Cézanne et des autres, toutes les rues parcourues, de la Belle de Mai à la Plaine, du vallon des Auffes à Belsunce, nos repas et nos nuits, et la perte de sa carte bancaire, heureusement retrouvée et conservée par le vigile du Marché Plus de la Canebière, suis obligé de résumer.

                Quand même : ce repas chez Mama Africa, rue d’Aubagne. Nous attendons sur le trottoir d’en face qu’ouvre cet Ivoire Restaurant recommandé par tous les guides Let’s go, Lonely Planet et celui du Routard. C’est écrit sur la vitre mais suite à une erreur d’oreille le dernier est rebaptisé Guide du Retour. Nous imaginons Sarkozy, Hortefeux et Besson rédigeant cet ouvrage pratique, tout en contemplant avec deux Africains l’enlèvement d’une voiture mal garée dans ce quartier qu’aucun des trois cités plus haut ne traversera jamais. La fourrière est là ; pour la protéger, la police et pour protéger la police, quatre soldats comme on voit dans les gares, mitraillette au point :

                -L’hélicoptère va bientôt arriver, plaisante-t-on ensemble.

                -Ils sont jeunes et c’est eux qu’on envoie à la guerre pour tuer des enfants, dit l’un des Africains.

                -Parfois ce sont eux qui se font tuer, lui dis-je.

                -Bon allez je vais cherche la fille, nous dit-il.

     Il se rend dans un appartement pas loin, d’où arrive une des cuisinières. Nous entrons et buvons en apéritif un alcool local tandis que passe sur la plateforme de la fourrière une voiture cabossée. Les soldats se replient en bon ordre. Le déjeuner est succulent, bien qu’elle regrette d’avoir choisi le manioc comme accompagnement plutôt qu’à mon exemple la banane plantain. Une carafe de jus de gingembre nous fait dessert.

    Quand même : cet autre repas chez les Deux Sœurs, rue Pautrier, près de la friche de la Belle de Mai désormais dévolue aux artistes. Les deux sœurs et la tata et encore une autre femme de ces âges sont en pleine forme. L’une me reproche de la regarder de travers et que ça va pas se passer comme ça. On a intérêt à tout manger. Ce n’est pas difficile : les alouettes sans tête et les pieds-paquets sont délicieux.

    Les sœurs sont partout : en cuisine, au service en salle, à l’engueulade dans la rue et au bar où un verre est réservé à chacune, qui se remplit régulièrement. Nous ne sommes plus seuls dans la petite salle. Les habitué(e)s arrivent dont l’un qui se plaint de ne pas avoir assez. La réplique est sans appel :

    -Commence donc par finir ton assiette, non mais t’as vu comme t’es maigre, conaud.

    Entre une mince jeune femme qui rejoint trois déjà là :

    -Ah, c’est à cette heure-là que tu arrives toi l’enculée.

    Les sœurs nous offrent un digestif en s’excusant de leur langage, mais non c’était parfait leur dis-je cependant que celle qui m’accompagne se roule une cigarette.

    A peine dans la rue, réjouis comme il faut par cette aventure, on entend l’une des sœurs qui nous court après : Hey la gonzesse, t’as oublié ton mégot!

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