• Mon voisin rouennais entre deux manifestations parisiennes

                Du Grand Palais à l’Hôtel de Ville en métro, il est presque midi, mercredi, des barrières et de la police partout. Une manifestation en est la cause. J’entends des slogans : « Delanoë, pense à nous dans ton budget » et « Animateurs dans la misère, on veut des vrais salaires ». Les animateurs et animatrices, employé(e)s de la ville de Paris, qui ont à se plaindre de leur maire, sont tenus à distance mais ont une bonne sono. Il doit les entendre Bertrand, à moins qu’il ne soit pas là, occupé avec Martine à comment se débarrasser de la bonne sœur du Poitou.

                Je traverse la Seine, vais fouiller chez Boulinier dans les bacs de livres à vingt centimes. A ma droite, un imperméable attire mon attention, que je crois reconnaître, et c’est bien ça. Je n’en crois pas mes yeux (comme on dit dans ces cas-là). Mon voisin d’en face, dont je connais pas mal la vie et les habitudes, grâce à nos fenêtres en vis-à-vis, sans jamais lui avoir parlé, fouille dans le bac d’à côté. Je choisis de faire comme s’il n’était pas là. Je ne sais pas s’il me voit. Si oui, il fait comme moi et m’ignore, mais dans ce cas, il pourra, si nécessaire, prouver que ce mercredi j’étais bien à Paris, sa profession empêchera quiconque de douter de sa parole.

                Je ne m’attarde pas. Près de la fontaine Saint-Michel, je mange une banane et deux clémentines, ce qu’il faut pour me remettre de mes excès coréens, et puis je me dirige vers Beaubourg, croisant, sur le pont au Change, une dizaine de Céhéresses, boucliers translucides dans une main, en ordre de marche, si besoin est.

                Des slogans s’élèvent à nouveau, les mêmes que j’entends régulièrement à Rouen : « So so so solidarité avec les Sans Papiers » « J’y suis j’y reste, je ne partirai pas ». Les manifestants sont quasiment tous originaires d’Afrique Noire, pas nombreux. Ils occupent quand même toute la largeur de la rue de Rivoli. Deux voitures de police ouvrent la voie. Je regarde un instant puis, quand ils s’assoient sur le macadam, je reprends la marche.

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