• Montrant mon œil droit au Centre Hospitalier Universitaire de Rouen

                Lundi à huit heures je me décide enfin à consulter mon ophtalmologiste. J’explique mon problème à sa secrétaire et lui demande si je peux consulter entre deux rendez-vous. Elle me répond que non, la médecin est en vacances pour la semaine. « Je reviendrai lundi prochain » lui dis-je, mais elle me conseille d’aller plutôt me montrer au Céhachu, non pas aux urgences mais directement en ophtalmologie.

                J’y vais à pied en demandant mon chemin deux fois, me présente à l’anneau central, attends mon tour pour remplir la fiche d’admission, trouve le service d’ophtalmo où une secrétaire se demande si elle doit m’accepter. Elle appelle un interne à qui j’explique mon cas. Oui, on va me prendre entre deux rendez-vous. Je m’apprête à attendre longtemps, mais non, au bout de dix minutes une voix appelle mon nom, c’est celle d’une interne que j’espère aussi compétente qu’elle est jolie.

                Elle me fait entrer dans une salle de consultation sans fenêtre semi obscure dont la particularité est d’être collective. S’y trouvent une demi-douzaine de patient(e)s, au moins autant d’internes, des médecins en titre, des secrétaires et du matériel qui date.

                Je raconte ce qui m’arrive à celle qui m’a en charge. Elle vérifie ma vue, me dit qu’apparemment rien de grave, m’envoie le jet d’air destiné à mesurer la tension puis me colle des gouttes dans les yeux, retour à la salle d’attente le temps que ça fasse effet. Quand elle me rappelle, elle m'examine longuement. Je vois trouble, suis de plus ébloui par le rectangle lumineux qu’elle déplace devant mes yeux. Je sens qu’il y a une inquiétude. Au bout d’un long moment, elle me dit qu’elle va demander l’avis d’un confrère. J’attends, observant ce qui se passe pour les autres patients.

                Le confrère est d’accord avec elle, j’ai les pupilles très petites. Il faudrait savoir si c’est héréditaire ou pathologique. De plus, la tension est au maximum de la normalité, pas loin de l’anormal donc. Le risque est celui du glaucome, que surveille déjà en temps normal mon ophtalmologiste, vu mes antécédents familiaux.

                Mon interne me fait une ordonnance pour des gouttes dans l’œil à chaque fois que j’ai mal et me dit de prendre rendez-vous pour un examen approfondi chez mon ophtalmo ou ici à l’hôpital. « Ce n’est pas urgent », me dit-elle. Je lui dis que j’ai déjà un rendez-vous en décembre. Non, ça ne peut pas attendre jusque-là. Quand alors ? « Faites-le cet été » me répond-elle. Je la remercie et lui souhaite une bonne journée.

                Je rentre cher moi dans le flou dû aux gouttes, m’arrête chez mon ophtalmo et obtiens un rendez-vous pour juillet, puis je passe à la pharmacie, à moitié rassuré, à moitié inquiet.

    *

                Aucune confidentialité dans cette consultation collective. Je peux y prendre connaissance des problèmes de mes semblables, plus graves que le mien et me mets à leur place dans ce qui pourrait m’arriver un jour.

    *

                Ce que l’on doit à ses parents, héritage qu’on ne peut refuser, ses tares physiques. Une des raisons pour lesquelles je n’ai jamais voulu faire d’enfant.

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