• One Day in Paris

    Je descends d’un train à l’heure ce mercredi matin à Paris, cherchant des yeux celle qui m’attend au bout du quai et qui se jette dans mes bras. Le soleil est de la partie (comme on dit) et je lui propose, avant que d’aller au bord du canal Saint-Martin selon son désir, d’explorer certains passages qu’une récente émission de France Cul m’a donné envie de voir ou revoir.

    Nous prenons la ligne Quatorze et descendons à Châtelet. Par la rue Montorgueil, nous atteignons le passage du Grand Cerf à la superbe verrière qui nous mène rue Saint-Denis. Il y a là un café de sa connaissance, le Sans Souci, où nous en prenons un en terrasse. A la table voisine, une femme discute avec un jeune homme. Ils sont dans le cinéma. Elle lui conseille d’essayer plutôt Arte ou Canal, que c’est plus son profil. En face, une femme blonde dont on devine l’ancien métier ouvre le sex-shop.

    Celle qui me tient la main est ravie de son retour à Paris. Cette année, elle a une chambre chez quelqu’une (dont je ne peux rien dire) contre deux promenades de chien par jour. Elle me raconte en détail sa nouvelle vie, aux antipodes de celle qu’elle mène chez ses parents. Depuis hier soir elle sait manger une pêche avec un couteau et une fourchette.

    Nous repartons par le passage du Bourg-Labbé, en cours de restauration, puis atteignons celui à angle droit du Prado, peuplé essentiellement de gens venus d’ailleurs, comme tout le quartier, autant dire qu’on s’y sent bien et on pousse jusqu’au passage Brady, nous souvenant d’un repas pris ici, fâchés de ne pas pouvoir pénétrer dans celui du Désir qui est privé. Nous apercevons une église un peu plus loin, Saint-Laurent, où nous faisons nos dévotions avant de retourner passage du Prado pour déjeuner, tôt, dans l’un des deux restaurants mauriciens, face à un barbier coiffeur à cinq euros. Nous fêtons aujourd’hui un anniversaire particulier.

    A pied toujours, nous rejoignons le canal Saint-Martin. Un imposant matériel attire notre attention. On fait là du cinéma. Est-ce un remaique d’Hôtel du Nord ?

    Je demande à un homme qui fait le badaud. Il ne sait pas de quel film il s’agit mais il connaît l’actrice à la robe bleue, une Américaine dont il me donne le nom qui ne me dit rien. Elle doit être bien connue car des paparazzis la matent de loin avec leurs longs instruments. Nous passons l’un des ponts tandis qu’un bateau franchit les écluses et arrivons juste pour la scène du baiser entre l’actrice à la robe bleue et un acteur en costume beige, baiser filmé avec une caméra perchée en haut d’une grue sur fond de chaland qui passe (so romantic). Une jeune fille de l’équipe nous apprend le titre du film : One Day, mais elle ne sait pas le nom de la réalisatrice dont c’est le premier film, une Danoise.

    Laissant là ce cinéma, nous allons voir quel est le bâtiment là-bas. Il s’agit de l’hôpital Saint-Louis. Nous y entrons et faisons une pause sur l’un des bancs de la cour du Quadrilatère parmi les malades, les médecins et les infirmières qui pique-niquent au soleil. On peut se croire loin de Paris.

    De retour au bord du canal, on a envie de prendre un café chez Prune mais trop de monde. Nous poursuivons notre chemin sur la rive opposée au tournage. Alors que je l’embrasse, un souriant jeune homme intervient :

    -Désolé les amoureux, je ne peux pas vous laisser là.

    -On ne peut pas jouer dans le film, c’est ça, lui dis-je.

    C’est exactement ça, alors on trace et dans une rue qui va vers Belleville, nous prenons un thé à la menthe en terrasse. Il ne faut pas longtemps pour que s’installent deux hommes à la table voisine. L’un porte une caméra, l’autre un micro poilu.

    -Cette journée est vraiment marquée par le cinéma, constate-t-elle.

    A Belleville, nous traînons un peu. Sur les trottoirs, des marchands proposent moult nourritures de Ramadan. Un peu à l’écart, des Roms tentent de vendre des objets hétéroclites tirés des poubelles de la ville.

    En métro, nous gagnons l’Hôtel de Ville et dans les bacs de livres du Quartier Latin puis des Halles, je fouille un peu, et elle aussi pour moi y trouvant un double inédit de Boris Vian Mademoiselle Bonsoir et La Reine des garces publié au Livre de Poche puis, rue Saint-Denis, nous prenons une boisson fraîche pas donnée au Sans Souci, boucle bouclée.

    Un peu plus tard, il est dix-huit heures et nous nous séparons à l’angle d’un sex-shop, elle rejoint le seizième arrondissement, moi le Centre Pompidou.

    *

    Ce mardi de flânerie est le jour de la pré-rentrée des enseignant(e)s. Je pense aux quinze mille débutant(e)s envoyé(e)s cette année, grâce à Sarkozy, dans les classes les plus difficiles sans aucune formation pratique. Combien de démissions, combien de congés de maladie, combien de dépressions, combien de vies gâchées ?

    *

    Dans le train, je lis les délectables nouvelles d’Alice Munro publiées chez Rivages Poche sous le titre L’amour d’une honnête femme. Extrait : Il était possible que les électrochocs subis par Iona après sa dépression nerveuse aient percé une brèche dans sa discrétion : la voix qui passait par cette brèche, une fois déblayé le camouflage de fatras, était maléfique et sournoise.

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