• Personnes de Christian Boltanski au Grand Palais (Monumenta deux mille dix)

    Jeudi matin, nous nous séparons à la station Montparnasse-Bienvenüe, elle en route vers ses études et moi vers mon temps libre. Il me ramène d’abord chez les libraires où je trouve dans les bacs du trottoir L’effondrement de Zoltàn Szabo (Editions Exils), texte paru initialement en Hongrie en décembre mil neuf cent quarante (l’auteur alors chercheur en ethnographie à Paris y raconte la débâcle française et l’exode tels qu’il les a vécus) et Ombre des jours, recueil d’aphorismes et de nouvelles d’Umberto Saba (Editions Rivages). J’achète aussi, pour le revendre avec bénéfice, le pavé qu’a consacré François Beauvy à un collaborateur oublié du Mercure de France sous le titre Philéas Lebesgue et ses correspondants en France et dans le monde.

    Ce livre, paru en auto édition chez Awen, est dédicacé par l’auteur en ces termes : « A Claude Duneton, pour redécouvrir une époque littéraire, artistique et politique riche d’évènements. Avec toute ma sympathie. François Beauvy ». L’auteur de Je suis comme une truie qui doute n’en a pas eu. Trouvant l’ouvrage à coup sûr inintéressant, il l’a fourgué chez Gibert Jeunes.

    Après cela, je me rends au Grand Palais où, pour Monumenta deux mille dix, Christian Boltanski présente Personnes. Au vigile qui me demande d’ouvrir mon sac à dos, j’explique qu’il ne contient que des livres. Il me répond que c’est l’alcool qui pose problème.

    Ça fait longtemps que je ne suis entré ici, pas depuis les premiers Salons du Livre. La verrière est aussi impressionnante que dans mon souvenir et l’installation de Boltanski ne l’est pas moins.

    Elle est composée de centaines de vêtements usagés répandus en carrés parfaits entre lesquels il est loisible de déambuler, d’un mur d’urnes numérotées, d’un immense cône de vêtements également usagés dont une grue automatisée va piocher avec sa pince une poignée au sommet, les élevant puis les libérant (ils retombent sur le tas, planant comme feuilles mortes) et du son très amplifié de battements de cœur.

    J’aime me promener dans ce cimetière où je croise des jeunes filles d’écoles d’art qui montrent leurs jambes quand elles s’accroupissent pour dessiner ou faire des photos pendant que des classes, installées à des tables sur le côté, subissent le discours professoral. Des jeunes gens en noir portant au dos l’inscription Médiateur Culturel sont à disposition. Je les esquive.

    Certain(e)s préfèrent voir là l’évocation des charniers des temps totalitaires, évitant de penser à leur propre avenir. Ce n’est pas mon cas. Je me demande quand et où mes vêtements et songe à Pessoa (dont le nom signifie personne, c’est-à-dire quelqu’un), à son poème Bureau de tabac qui commence ainsi Je ne suis rien/ Jamais je ne serai rien/ Je ne puis vouloir être rien/ Cela dit, je porte en moi tous les rêves du monde.

    Dehors, la journée est plus que jamais printanière. Je décide d’aller à pied vers l’Opéra pour un ultime passage chez Book.Off. Devant L’Olympia, je pense à ma grand-mère Jeanne qui, à plus de quatre-vingts ans, passa ici la nuit sur un banc en compagnie d’un clochard. Le concert de Michel Sardou s’était prolongé, plus de transport en commun pour rentrer à Bondy (Seine-Saint-Denis). Elle est morte depuis longtemps.

    Après avoir acheté Libération, je prends le train de quatorze heures cinquante pour Rouen, partageant le voyage avec un rabbin qui organise une bar-mitsva au téléphone et une dizaine d’Américain(e)s obèses. Ils s’amusent des Français qui dès qu’ils savent avoir affaire à des Américains s’écrient Obama ! Obama ! et sachant qu’ils viennent de Chicago ajoutent Bang ! Bang !

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