• Quasiment bredouille

                Samedi matin, très tôt, direction le département de l’Eure où se tient l’énorme vide-greniers des Andelys, « le plus ancien de France » se glorifient les organisateurs qui annoncent mille cinq cents exposants sans préciser que les trois quarts ou même les quatre cinquièmes sont des professionnels et que ce vide-greniers ressemble tout à fait à une foire commerciale, comme il en existe une fois par an dans les petites villes où l’on s’ennuie. Je le fréquente depuis plus de trente ans, je sais où se concentrent les vrais videurs de greniers et c’est vers eux que je me dirigerai.

                A l’entrée d’Heudebouvlle, je suis alarmé par de nombreux gyrophares et, arrivé à ce niveau, je découvre ce que les journalistes appellent « un terrible face-à-face », deux voitures détruites, des pompiers qui s’affairent, les gendarmes pas encore là, des automobilistes qui font la circulation, je passe en regardant devant moi, trop effrayé par ce que je pourrais voir à l’intérieur des deux voitures, me disant que si j’étais parti un peu plus tôt, si je ne m’étais pas arrêté à Igoville pour prendre de l’essence…

                Et pendant les kilomètres qui me restent à parcourir pour arriver aux Andelys, c’est d’un œil inquiet que je surveille la moindre voiture venant vers la mienne.

                Un monde fou bien sûr dans les rues dévolues à l’étalage des marchandises, je les parcours sans tarder, bien vite conscient que ce n’est pas jour de bonne pêche pour moi. Jamais vu autant de gendarmes dans ce vide-greniers. J’en croise des groupes de deux ou  trois tous les cinquante mètres, le maire sarkoziste a bien fait les choses. A quelques fenêtres, des drapeaux et des ballons bleu blanc rouge, un ornement très Sarkolène Royal, c’est pour fêter la défaite de la France à la Coupe de Rugby.

                Je pars de là avec quelques livres à revendre, qui me permettront d’en acheter d’autres ailleurs, et, dans son emballage, tout neuf, le Pamplemousse mécanique des Fatals Picards qui fera bien plaisir à celle qui m’attend à la maison.

                Dimanche matin, encore plus tôt et avec elle, direction Isneauville à quelques encablures de Rouen, pour la même raison, et là aussi je suis déçu de ne rien dénicher, la plupart des étalages sont tenus par des familles se débarrassant de leurs vêtements de marque.

                Une demoiselle s’inquiète :

                -J’aimerais bien avoir vendu ce pull avant que ma mère arrive.

                -Ah bon, c’est à elle ?

                -Non, c’est un cadeau qu’elle m’a fait ; je l’ai jamais mis.

                A l’étalage voisin, Etre la fille d’Emile Louis, un livre signé Maryline Vinet. Pas facile, c’est sûr d’être la fille d’un tueur en série, cela lui a permis néanmoins de gagner quelque argent en racontant son histoire.

                Je n’achète pas ce livre. Celle qui m’accompagne n’achète pas le pull. Nous partons pour un deuxième vide-greniers à Amfreville-la-Mivoie.

                Pas d’achat mirobolant là non plus mais j’y croise Albert Amsallem que je vois toujours avec plaisir. C’est le directeur du Théâtre des Chalands à Val-de-Reuil.

                -Ah j’ai vu que tu fais venir les Fatals Picards, lui dis-je. J’aime beaucoup mais comme je les ai déjà vus deux fois cette année, je n’irai pas.

                Il me vante sa programmation théâtrale : Embedded, qui dénonce le rôle des journalistes dans la guerre d’Irak et Elf, la pompe Afrique. Deux pièces au contenu trop politiquement arrêté pour qu’elles m’intéressent, rien de ce qui est démonstration bien pensante ne me tente, je n’aime que l’ambivalence ou le contradictoire, l’incertitude.

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