• Récital Matthias Stier à la Halle aux Toiles (pour l'Opéra de Rouen)

    L’attente est interminable mercredi soir aux portes de la salle de la Halle aux Toiles qui accueille le récital Matthias Stier programmé par l’Opéra de Rouen. Un accordeur de piano n’en finit pas de mettre au niveau celui sur lequel Raffaella Iozzi va promener ses doigts. Je suis l’un des premiers de la file qui s’allonge. Les moins chanceux sont en (dés)équilibre dans le monumental escalier. Près de moi, des dames parlent des premiers films qu’elles ont vus au Nordique (petit nom du Festival du Cinéma Nordique que je ne fréquente pas) et les deux ouvreurs d’un match de foute avec Lyon (ce qui m’intéresse encore moins).

    Le ténor Matthias Stier a vingt-sept ans, m’apprend le livret programme. L’âge de la pianiste Raffaella Iozzi n’est pas précisé (à l’Opéra, on a de bonnes manières). Elle est vraisemblablement plus jeune que lui, ayant terminé ses études de littérature moderne en deux mille sept. L’accordage terminé, tous deux font une répétition express, lui chantant en tournant autour du piano d’elle.

    Le public à bout de nerfs peut enfin entrer. Je me place là où j’aime être. Il reste des places libres quand ça commence. Raffalela Iozzi s’installe. Elle déplie les partitions en accordéon qui lui permettent de se passer de tourneur ou tourneuse de pages. Matthias Stier se case dans le creux du piano. Il chante Robert Schumann pour commencer avec les Dichterliebe (Les amours du poète). Le poète, c’est Heinrich Heine. Etrangement, personne ne tousse ce soir, ce qui me permet de mieux entendre le scouitch scouitch des chaussures frottant sur le parquet d’une nerveuse anorexique ainsi que le bruit des pages tournées par les nombreuses et nombreux qui suivent le texte sur le livret (dans le genre : je me mets à l’allemand ce soir).

    Il n’y a pourtant pas de quoi s’exciter sur les poèmes de Heine (de la tisane). Avec le premier vers de chaque (traduits par Jacques Fournier) et sans en changer l’ordre, je compose mentalement la petite histoire en prose qui évite de les lire tous :

    Au merveilleux mois de mai, de mes larmes jaillissent la rose, le lys, la colombe, le soleil, lorsque je regarde dans tes yeux. Je veux plonger mon âme dans les ondes du Rhin. Je ne t’en veux pas, mon cœur se briserait-il, et si les fleurs, les petites fleurs savaient aux accents des flûtes et des violons quand j’entends la chanson « Un jeune homme aime une jeune fille » par un radieux matin d’été (J’ai pleuré en rêve). Toutes les nuits, je te vois en rêve, de vieux contes de fées, les vieilles chansons méchantes.

    A l’entracte, derrière moi, on s’interroge pour savoir s’il y a encore des poètes. On croit savoir qu’il n’y en a plus (les derniers étaient Mallarmé et Desnos). Tout au moins chez nous, car au Japon on fait toujours des haïkus (« ma belle-fille est japonisante, elle m’en a montré »).

    Arrivent de nouveau le ténor et sa pianiste pour Chanson triste, Extase et Phidylé d’Henri Duparc, en français donc mais incompréhensible, textes de Jean Lahor et Lecomte de Lisle, puis on passe à Francesco Paolo Tosti. C’est la Chanson de l’adieu (texte d’Edmond d’Haraucourt : Partir, c’est mourir un peu et cætera) que Matthias Stier semble prendre au mot car il sort soudain. Il revient avec un pupitre et les textes et partitions des suivantes en italien. Le concert s’achève avec Sole e Amore de Giacomo Puccini, suivi de beaucoup d’applaudissements pour le ténor et la pianiste.

    Ceux-ci saluent, raides et empruntés, encore débutants mais l’air déjà si vieux. Ils donnent en rappel À la musique et La Sérénade de Franz Schubert. Je rentre par le tunnel du chantier de destruction du Palais des Congrès, frôlant la pelleteuse géante grimpée sur son énorme tas de gravats en une étreinte silencieuse et spectaculaire.

    *

    Après Rouen érotique, Patrice Quéréel prépare un nouvel ouvrage : Rouen scatologique, m’apprend Paris Normandie. Il fait appel au peuple pour l’aider dans sa tâche. Voici ma modeste proposition, trois extraits de la Correspondance de Gustave Flaubert, trouvées dans l’Art parodic’ d’Arnaud Labelle-Rojoux (Editions Zulma).

    Un : Je ne voudrais pas crever avant d’avoir déversé encore quelques pots de merde sur la tête des bourgeois

    Deux : je désire cracher encore des cuves de bile sur la tête des bourgeois

    Trois : il me monte de la merde à la bouche… j’en veux faire une pâte dont je barbouillerai le dix-neuvième siècle

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