• Sous un parapluie dans les rues de Rouen toujours manifestant

    Je sais bien que la partie est perdue et que je pourrais rester bien à l’abri chez moi, mais j’y suis quand même et beaucoup d’autres le sont aussi, cours Clemenceau, samedi à quatorze heures, pour encore une fois dire non à la contre-réforme des retraites et aussi dire qu’on en a marre de celui que Monique Pinçon-Charlot et Michel Pinçon appellent le Président des Riches. En chemin doit me rattraper celle qui me rejoint le ouiquennede. « T’as intérêt à me trouver », lui ai-je écrit.

    Deux cégétistes s’approchent de moi. L’un d’eux m’interpelle d’un « Salut Stéphane ». « Erreur » lui dis-je. Je traverse la rue. « Bonjour, comment vas-tu » me dit un autre inconnu. Je lui explique qu’on ne se connaît pas. Il ne veut pas le croire.

    -Je ne sais pas d’où je te connais, me dit-il, mais je suis sûr que je te connais et que je te connais en bien.

    Il pleut dru et cette fois cela ne s’arrête pas avant le départ de la manifestation dont le parcours est plus court que les fois précédentes, moins de monde aussi. Avec pas mal de retard, on démarre et on gagne la rive droite par le pont Corneille au bout duquel se trouvent des jeunes gens qui entendent pousser plus loin la contestation. L’un d’eux crie « La retraite on s’en fout, on n’veut pas bosser du tout ». D’autres portent des pancartes en carton qui vont dans le même sens. L’une d’elle dit « Plus de biens. Plus de liens ». Je suis beaucoup plus proche d’eux que de ceux avec qui je défile qui veulent du boulot pour les jeunes et les seniors et davantage de pouvoir d’achat. Je marche néanmoins jusqu’au bout, place de l’Hôtel de Ville, où j’assiste, grimpé sur un muret, à la dispersion, observant les syndiqués de la Haie Fessue quitter leur camionnette en courant, pisser dans les bosquets, y revenir et en ôter les panneaux aimantés de leur syndicat. Ne reste qu’une camionnette Rent a Car.

    Une jolie fille grimpe sur le muret à côté de moi.

    -Tiens, tu es là, toi ! lui dis-je. Tu en as mis du temps pour me retrouver ou bien tu viens juste d’arriver ?

     La deuxième hypothèse est la bonne. Nous nous embrassons sous nos parapluies puis battons en retraite, direction la maison.

    *

    Dimanche matin, il pleut toujours. « De moins en moins de manifestants dans les rues de Rouen », se réjouit discrètement par son affichette publicitaire la presse rouennaise que je lis parfois mais n’achète jamais. Au Vascoeuil, place Saint-Marc, dont les nouveaux propriétaires n’hésitent pas à proposer un apéro gourmand à neuf euros, nous buvons un thé café. Un inconnu s’approche et me demande si je vais bien. Lui m’a pris pour le directeur d’un établissement pour handicapés.

    *

    Le train d’enfer avance très difficilement en Allemagne après avoir quitté la France sans drame contrairement à l’année deux mille quatre. Combien savent que le sept novembre de cette année-là, Sébastien Briat, vingt et un ans, enchaîné à la voie ferrée à Avricourt en Meurthe-et-Moselle est mort écrasé par le convoi de déchets radioactifs.

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