• Un mercredi à Paris en lisant le Paris de Jean Follain

    Ainsi débarqua-t-il un jour sur l’un des quais de la gare Saint-Lazare, celle qui plonge ses racines dans le terreau fertile de la Normandie… écrit Gil Jouanard qui préface la réédition Phébus Libretto du Paris de Jean Follain, né à Canisy dans la Manche, connu autrefois pour ses poésies, assez oublié aujourd’hui. Je viens de lire dans le train la première moitié de ce Paris datant de mil neuf cent trente-quatre et je débarque dans la capitale juste pour un mercredi. La pluie est au programme ainsi qu’un déjeuner avec celle qui étudie ici.

    Je descends sous terre et ressors près de la fontaine Saint-Michel alors que tombent les premières gouttes. Je prends un petit-déjeuner à deux euros chez Mac Donald puis vais fouiller chez Boulinier et Gibert Joseph (Gibert Jeunes est sinistré pour cause de rentrée scolaire, sur le trottoir des cahiers et des crayons à la place des livres).

    Chargé de deux sacs bien remplis, je reprends le métro pour la place de la Nation et la lecture de Paris dans l’entrée de l’Ecole Boulle. Bientôt, elle arrive et m’invite à la suivre dans la salle où elle travaille déjà, bien que la rentrée soit pour plus tard, occupée à tirer des plans en grand format.

    Un peu avant midi, nous gagnons à pied le boulevard de Charonne afin d’y bien déjeuner pour pas cher chez Sofiane. Elle me raconte sa manif pour les retraites. Il semble que là aussi on s’amuse davantage à Paris qu’à Rouen et que le petit commerce marche à plein pendant le défilé, kebabiers ambulants, marchands de chansons revendicatives et de livres subversifs, et cætera. Elle me donne quelques slogans vus et notés : « Ta réforme, j’en Woerth pas » ou « Je Woerth pas mourir de bosser » (ces jeux de mots seront incompréhensibles dans quelques années, le ministre Woerth oublié), aussi un « Métro, boulot, caveau » démarqué du « Métro, boulot, dodo » de Mai Soixante-Huit, lui-même piqué à Pierre Béarn (poète également un peu oublié). Pour le café, nous comptons sur le Quatre-Vingt-Seize, bar libertaire, mais il est bizarrement fermé.

    Elle retourne travailler et la pluie se faisant bien plus présente, je file d’un coup de métro me réfugier parmi les livres de la maison Book-Off, boulevard Saint-Antoine, où je remplis un troisième sac.

    La pluie redouble, il me faut rester le plus possible à l’abri. Je renonce à aller au Musée Marmottan visiter Monet et l’abstraction. Je n’en peux plus de l’Impressionnisme, Fabius m’en a dégoûté pour longtemps, et puis je le sais bien que Monet est le précurseur de la peinture abstraite, que ses derniers nymphéas y mènent tout droit, aidé qu’il fut par sa mauvaise vue. Ce qui fait que je traîne dans des cafés à lire Paris et puis je finis la journée chez Book-Off, l’autre, près de l’Opéra Garnier, un Opéra en travaux défiguré par une immense publicité pour une grosse voiture rouge « Nouvelle Volvo au diable le classique », un quatrième sac de livres, un kebab rue d’Amsterdam, puis un café A la ville d’Argentan où je termine Paris.

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    Dans mes sacs : six volumes de la collection Les grands classiques de la littérature libertine publiés il y a quelque temps par Le Monde, Les deux amies (essai sur le couple de femmes dans l’art) de Marie-Jo Bonnet (Editions Blanche), Poésies libres de Guillaume Apollinaire (Points Seuil).

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    Très bien écrit le Paris de Jean Follain, sous forme de notations classées par thèmes, un talent dans le choix de l’adjectif et un goût macabre pour le suicide toujours possible ou l’éventuel assassinat. C’est toutefois d’un accident que mourra Jean Follain le dix mars mil neuf cent soixante et onze peu après minuit, renversé par une voiture à la sortie d’un banquet.

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    Nuit aux macfarlanes, nuits sournoises. Une lumière mauve décore l’Opéra. Les passants vont retrouver le lit garni de draps bourgeois à chiffre fignolé. (Jean Follain, Paris)

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    Toutes les filles qui traversent la place de l’Opéra, celles-là qui sont subtiles et belles, celles-là qui sont bêtes avec de si beaux yeux savent cet éternel. C’est la connaissance de leur sang, de leur chair, de leurs muqueuses vouées à d’allègres tombeaux.

    Voilà ce que Paris nous apprend : ils sont pour durer le ciel et la terre. (Jean Follain, Paris)

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    Parfois, Jean Follain est le cousin de Félix Fénéon : Autrefois le parapluie de Lénine s’égouttait au Café de la Rotonde, Lénine qui aimait sa vieille mère, et qui plein de passion et de flair devait émigrer en la Suisse jaboteuse avant de faire sa révolution et de finir icône embaumée.

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