• Un mercredi de printemps hivernal à Paris (Cousse, Calet, Gadenne)

    Pas de neige comme il y a deux semaines pour m’empêcher d’aller à Paris, ce qui ne veut pas dire qu’il fasse chaud, l’hiver déborde sur le printemps. Pourtant, le soleil montre ses rayons quand j’arrive à Saint-Lazare d’où je rejoins à pied le quartier de l’Opéra car j’ai au bout du bras les derniers livres que ne veulent pas m’acheter les bouquinistes de Rouen mais que Book-Off appréciera à leur valeur marchande (la valeur littéraire, cette maison s’en fiche). Je traverse le passage Choiseul avec une petite pensée pour Louis-Ferdinand. A son extrémité, rue des Petits-Champs, je prends un café dans un bar dont je ne note jamais le nom mais où il est en salle à un euro quatre-vingts tout en lisant Cousse (Raymond) A bas la critique, livre acheté dans la capitale il y a quelque temps, publié par Cent Pages. C’est le recueil des lettres méchantes que l’auteur mécontent écrivit à Pivot, Ezine, Poirot-Delpech, Rinaldi, Sandier et moins connus, dont Louis Guissard, critique littéraire à La Croix qu’il appelle Monsieur le curé : Je regardais hier à la télévision votre chef polonais officier sans complexe depuis son balcon de la place Saint-Pierre. Il faut un bel aplomb pour se coiffer d’un bonnet d’âne et débiter de telles inepties planétaires. A part quelques chefs des tribus africaines, aucun politicien ne s’y risque plus aujourd’hui, du moins dans cet accoutrement. Telle est la force des épouvantails à moineaux et à brebis. Les punks peuvent s’aligner, le parti communiste aussi, tant que l’habit fera le moine, l’Eglise aura l’avenir devant elle., cela suivi de ce délectable : Sans remuer le couteau dans la plaie, dois-je vous rappeler que vers 1900, à une époque où le clergé avait encore des couilles, La Croix ne redoutait pas de s’autoproclamer « le journal le plus antijuif de France ».

    A dix heures, je suis le premier chez Book-Off où mes sept livres me rapportent six euros, cinq à un, deux à zéro cinquante. Tous sont immédiatement étiquetés à cinq euros et mis en rayons. Ça, c’est du commerce. Je reste dans la boutique un certain temps sans rien trouver à acheter, puis les métros Trois et Sept m’emmènent dans le quartier Mouffetard où je mange tôt au Pot d’Or de sushis et makis à volonté. Le serveuse, dès qu’elle a un moment, se plonge dans un carnet Moleskine et répète à voix basse ce qu’elle y lit. Le vin blanc bu me donne l’audace de lui demander quoi.

    -J’apprends l’italien, me répond-elle.

    Ce n’est pas pour ses études, elle les a terminées. C’est parce que son copain est Italien. Je quitte la rue du Pot de Fer, descends à pied jusqu’au Quartier Latin où je fouille dans les bacs de Gibert Bleu, Boulinier Rouge et Gibert Jaune. Chez le premier, j’achète L’Inadvertance, le recueil de nouvelles de Paul Gadenne publié autrefois par Le Tout sur le Tout, maison d’édition parisienne disparue qui devait son nom à l’un des romans d’Henri Calet. L’Association Henri Calet, m’apprend la dernière page, y publiait une revue dont les trois premiers numéros furent grandement consacrés à cet auteur, intitulée Grandes Largeurs.

    L’après-midi, sous le frais soleil, je pérégrine à Montmartre comme un touriste, songeant à celle qui reviendra bientôt dans le dix-huitième arrondissement. Descendu de la Butte, je prends un café à un euro quatre-vingts à La Fourmi, ce bar que j’aime bien, coincé entre La Cigale et Le Divan du Monde. J’y ai bien des souvenirs. Dans le chaleureux brouhaha de la clientèle de quartier, où sont venus s’oublier une étudiante studieuse et un couple de touristes anglophones n’hésitant pas à commander une bouteille de vin rouge pour fêter Paris, je termine Cousse dont le dernier coup de griffe est pour « Guy des Gares » : Vous, c’est-à-dire la figure légendaire dont vous avez gratifié les Lettres françaises, tant par l’aspect monumental de votre œuvre (que je n’ai malheureusement pas lue) que par votre génie des titres.

    Je rejoins Saint-Lazare à pied et grimpe dans le train de dix-neuf heures trente. C’est l’un de ces trains colorés appartenant à la région Haute-Normandie. On y est tellement secoué qu’on a l’impression qu’il pourrait dérailler à tout moment. Je tente de lire L’Inadvertance de Gadenne malgré la proximité d’un quatuor de femmes retour d’un stage. Après avoir rassuré leurs enfants au téléphone « Maman arrive bientôt, mon chéri », elles entrent en phase régressive, ricanant comme des branlotines pendant tout le voyage et encore plus quand surgit juste avant Rouen le contrôleur.

    -Nous ne sommes que dans le premier tunnel, j’ai encore le temps de m’occuper de vous, dit-il aux pouffeuses.

    *

    « Sur les années 1980, il restera, c'est sûr, l'empreinte des éditions Le Tout sur le Tout, lieu de la relance de Henri Calet, de Raymond Guérin, Paul Gadenne et de plusieurs autres.
                Le Tout sur le Tout, c'est Guy Ponsard, replié à Gouvernes depuis. » (in L’Alamblog, le blog du Préfet maritime)

    Partager via Gmail Yahoo!