• Venise Paris Rouen, un retour mouvementé

    Samedi vingt-huit février, dernière journée à Venise, le ciel est bleu, nous laissons nos valises en garde à l’hôtel Città di Milano, reparcourons le Grand Canal en vaporetto et les quartiers de San Polo Santa Croce et du Dorsoduro à pied en tous sens, allant prendre le soleil le long des Zattere.

    A midi, nous déjeunons en terrasse et en chemise à la trattoria bar Pontini au bord du canal de Cannaregio ; le soir venu, valises récupérées, prenons quelques cicchetti et un verre de vin dans un café du Ghetto, il est temps de rentrer en se promettant de revenir. L’arrivée à Paris est prévue dimanche un peu après huit heures.

    Deux couples calmes nous tiennent compagnie dans le compartiment à couchettes. Je dors plus que prévu et elle bien aussi. A sept heures, en nous réveillant, nous constatons que le train est immobilisé en Suisse à Saint-Maurice (Canton de Vaud).

    -Cela fait plusieurs heures qu’il ne bouge plus, me dit-elle.

    Je me renseigne au wagon-restaurant. Il y a eu du vent fort pendant la nuit, des lignes sont tombées, on va repartir quand on pourra.

    Nous prenons un petit-déjeuner basique à neuf euros puis trouvons place assise au bar devant une fenêtre, ce qui nous permet quand le train reprend vie d’admirer le lac Léman et les montagnes enneigées. Nous voici à Montreux, ville de Nabokov, puis à Vevey, ville de Chaplin. Là, nous restons bloqués devant un bâtiment industriel que celle qui m’accompagne entreprend de dessiner. On attend un mécanicien ou un machiniste, je ne sais plus. Un homme à gilet jaune est dans le train qui informe en diverses langues. Le bar ne désemplit pas. Le Français râleur trouve à s’exprimer : « C’est inadmissible » « Je vais me plaindre » « Je veux la facture de mon petit-déjeuner pour me faire rembourser par mon assurance » et tutti.

    Un groupe de branlotin(e)s travaillé(e)s par la libido fait le grumeau près de nous, puis le troupeau s’ébroue, remplacé par un père trop vieux qui fait vomir son moutard dans un sac en plastique. Nous mangeons des petits gâteaux vénitiens et des clémentines.

    Le train repart, passe Lausanne, va comme il peut, nous voici dans la neige du Jura, eaux limoneuses et courantes des rivières, eaux gelées des étangs. A Dole, nouvel arrêt, nous sommes ravitaillés en eau minérale. Elle fume sur le quai. Les toilettes sont de plus en plus dégoûtantes.

    On repart cahin-caha jusqu’à Dijon où nous trouvons refuge dans un compartiment rien que pour nous deux après le départ de celles et ceux pour qui le voyage s’achève dans la capitale de la moutarde. Il est quinze heures. On nous distribue des coffrets-repas. Ce qu’on y trouve est fort bon et nous fait du bien. Il n’empêche que, peu après, nous nous découvrons elle et moi bien plus fatigués que nous le pensions.

    Le train de nuit poursuit son long périple. Il est dix-sept trente heures quand il arrive à Paris Bercy. L’accompagnateur nous dit au revoir. Pour lui l’aventure continue : dans quatre heures, il repartira dans l’autre sens et travaillera toute la nuit.

    Je quitte trop vite celle qui doit rester à Paris. Elle m’embrasse chaudement à l’entrée de la ligne Quatorze. Muni de mon billet valable uniquement pour le train Paris Rouen de dix heures seize dimanche matin, je saute dans celui qui se trouve en gare et part dans cinq minutes, A Mantes-la-Jolie, je crois voir un vaporetto, ce n’est qu’un misérable bus. Sans avoir à m’expliquer avec un contrôleur, j’arrive chez moi à dix-neuf heures.

    Vingt-quatre heures de train, ça ne fait pas que du bien. C’est la faute à Xynthia, fichue tempête, comme je l’apprends juste avant qu’elle ne me téléphone pour savoir si tout va bien. On se dit des mots d’amour, bien tristes de ne plus y être, bien tristes d’être séparés.

    *

    Titres des journaux de Venise la semaine dernière : « Collision de deux vaporetti dans le brouillard » «  Tentative de suicide d’une jeune fille dans son école suite à une désillusion sentimentale ».

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    Rouen lundi matin. La grue à forte mâchoire commence à boulotter les ruines du Palais des Congrès. Une lance dont le jet n’atteint que le deuxième étage tente d’abattre la poussière. La télévision régionale est là. Le conducteur de l’engin grignoteur est la vedette du jour. Comme ce doit être jouissif de détruire ce que d’autres ont construit, me dis-je, faisant le badaud.

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