• Vernissages des expositions Etre singuliers de Florence Brochoire et J'ai perdu ma tête de Peter Granser (Pôle Image Haute-Normandie)

    Dilemme vendredi soir, vais-je aller au vernissage de l’exposition Explorama de Marc Hamandjian au Frac Haute-Normandie ou à celui (double) des nouvelles expositions du Pôle Image. Je choisis la photo.

    L’acte un se passe à dix-sept heures trente au Pavillon Germont du Céhachu où j’allais dans les années quatre-vingt pour le dépistage anonyme et gratuit du Véhihache. J’y étais un numéro. Ce vendredi soir, j’y suis un inconnu. Florence Brochoire expose dans cet hôpital, sous le titre Etre singuliers, les photos qu’elle a prises à l’Hôpital Psychiatrique de Navarre, sis à Evreux, dans le quartier éponyme.

    Le lieu d’exposition n’est pas très approprié. On y trouve déjà une installation de je ne sais qui composée d’une série de sculptures de têtes d’enfants soclées posées au sol et d’une échelle de corde torsadée reliant le sol à un plafond en miroir. Ça gêne. Le public du vernissage est essentiellement médical et parle boutique. Tiens, voici qu’arrive la Sénatrice. C’est l’heure des discours : félicitations et remerciements. Denis Lucas, chargé de mission régionale Culture à l’hôpital et attaché culturel du Céhachu de Rouen, cite le peintre Robert Filliou « L’art est ce qui rend la vie plus intéressante que l’art ». Robert Filliou n’est pas peintre, mais on ne peut pas tout savoir.

    Florence Brochoire a photographié malades et soignant(e)s en situation, puis a fait le portrait en quatre photos de certain(e)s. Ces portraits sont légendés par les propos des sujets. Me réjouissent ceux de l’un des malades :

    « Je laisse toujours la veilleuse de ma chambre allumée la nuit. Ça évite qu’on vienne me voir. »

    « Je crois en Marie, Joseph et Sainte-Thérèse de l’enfant Jésus mais pas au Christ. Le Christ, c’est un charlatan. »

    « Qu’est-ce que vous emmèneriez comme objet sur une île déserte ? Une femme. »

    L’acte deux se passe à dix-neuf heures à la Galerie Photo du Pôle Image, rue de la Chaîne, où sont exposées les photographies prises à l’Hôpital Psychiatrique de Navarre par l’Allemand Peter Granser sous le titre (repris des déclarations d’un malade mental) J’ai perdu ma tête. Nous sommes là dans la catégorie supérieure. Cadrage, lumière, mise en scène, rien n’est laissé au hasard. Ces images rendent parfaitement la souffrance, que ce soit en montrant un mur où figure la trace d’un coup de poing ou des draps froissés ou un groupe de malades serrés les uns contre les autres sur un immense gazon ou des hommes crispés devant un mur orange ou des visages sidérés en plan rapproché.

    Autres discours mais sans la Sénatrice, Peter Granser conseille aux présent(e)s de revenir un autre jour pour mieux percevoir les images. Je bois un verre de vin blanc et demande à Florence Brochoire si c’est volontairement que dans son texte de présentation au Céhachu elle parle de gens « saints d’esprit ».

    -Ah non, je n’ai pas vu, c’est une coquille.

    Je lui conseille de ne pas corriger et elle en est d’accord.

    Les deux expositions s’attachent à montrer qu’il y a peu entre la santé mentale et la maladie mentale, ce que chacun(e) sait.

    Je me souviens d’une kermesse à l’Hôpital Psychiatrique de Navarre (en soixante-treize ou soixante-quatorze) où j’étais venu en voisin quand j’habitais cette pseudo communauté aux Baux-Sainte-Croix : impossible d’y différencier malades, soignants et visiteurs.

    En Mai Soixante-Huit,  ma grand-mère Eugénie devenue folle est morte à Navarre. Ce fut toute une affaire pour l’enterrer, les employés des Pompes Funèbres étant en grève comme tout le monde.

    *

    Navarre, quand j’étais enfant à Louviers, cela voulait dire chez les fous. « La femme d’Untel est partie à Navarre », « Untel va finir à Navarre », et cætera. Une chose que je ne comprenais pas, c’était comment on pouvait être Roi de France et de Navarre.

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    Samedi matin, j’entre chez King Kong, le monstre des affaires, rue de Crosne. L’été dernier, j’y ai trouvé des vins de bonne provenance, bradés, dont certains se sont révélés imbuvables. Cette fois, j’y trouve le Guide deux mille cinq des restaurants routiers pour un euro quatre-vingt-dix-neuf.  Je demande un sachet à la dame :

    -C’est trois centimes, me répond-elle, vous voyez c’est écrit là en gros.

    Pour l’instant, le ticket de caisse reste gratuit, sur lequel mon achat est appelé gadget.

    *

    L’après-midi, café verre d’eau, je lis Théâtre intime de Jérôme Garcin, acheté le matin même au Clos parce qu’on y croise Georges Perros. La scène se passe au café Le Métropole, rue de la Jeanne, établissement qui se vante sur son mur d’avoir eu comme clients Jean-Sol Partre et la duchesse de Bovouard. Nous sommes une demi-douzaine à l’intérieur. Soudain, on s’y met à ranger les chaises, à passer la toile et à inviter les client(e)s à payer et déguerpir. Il est quatre heures moins le quart. C’est ce qui s’appelle faire la fermeture. Un peu tôt peut-être.

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    Je retrouve ça, noté sur un bout de papier, tiré du Journal de Georg Lukács, écrit par lui le vingt-sept avril mil neuf cent dix : Il va bien se passer quelque chose un jour.

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