• Vides, une rétrospective, au Centre Pompidou

                J’écoute le vent souffler en tempête dans la nuit de mardi à mercredi, même pas prévenu par une alerte orange, et dès potron-jacquet, un peu endormi, je prends sous la pluie le chemin de la gare de Rouen où on avise le voyageur et la voyageuse que de trains pour Dieppe nenni, un obstacle est tombé sur la voie, il faut prendre le car. Je vais à Paris, donc en train, suis en avance et furète à la Maison de la Presse avec l’intention de ne rien acheter. Philosophie Magazine pose un peu tard la question « Pourquoi fait-on des enfants ? ».

                J’arrive dans la queue de tempête. Boulevard Saint-Michel, mon parapluie bien dézingué depuis Lyon se transforme en une chiffe molle. Près de la fontaine où nagent ce matin trois canards, j’en achète un autre, qui ne me plaît guère, au kiosque à journaux. S’il est une chose que je ne supporte pas, c’est bien d’être mouillé par la pluie.

                Dépité par le foutu temps, je me rends au plus vite à Beaubourg où le Centre Pompidou m’accueille, qui dort un peu depuis le début d’année, petites expos par-ci par-là, dont l’une de dessins d’Asger Jorn, venus du Silkeborg Kunstmuseum, présentation bien moins intéressante que la rétrospective vue le jeudi six mars deux mille huit à la Maison du Danemark sur les Champs Elysées.

                Le plus captivant du moment est au quatrième étage, sous le titre Vides, une rétrospective, où se trouvent neuf salles toutes blanches  Cinquante ans après la bien connue exposition dite du vide organisée par Yves Klein à la galerie parisienne Iris Clert, le Centre Pompidou, Musée National d’Art Moderne, montre à nouveau huit expositions d’artistes n’ayant rien montré, augmentée d’une, faite pour l’occasion

                Cela commence donc par Yves Klein (mil neuf cent cinquante-huit), dont le titre exact est La Spécialisation de la sensibilité à l’état matière première en sensibilité picturale stabilisée et va jusqu’à la création de Stanley Brouwn Un espace vide dans le Centre Pompidou (deux mille neuf) en passant par les reprises du groupe Art & Language The Air-Conditioning Show (mil neuf cent soixante-six/ soixante-sept), de Robert Barry Some places to which we can come, and for a white « be free to think about what we are going to do » (Marcuse) (mil neuf cent soixante-dix), de Robert Irwin Experimental Situation (mil neuf cent soixante-dix), de Laurie Parsons, sans titre, sans cartel (mil neuf cent quatre-vingt-dix), de Bethan Huws Haus Esters Piece (mil neuf cent quatre-vingt-treize), de Maria Eichhorn Money at the Kunshalle Bern (deux mille un) et de Roman Ondák More Silent Than Ever  (deux mille six), chacun(e) avec sa démarche propre. Pour Robert Barry et Robert Irwin, c’est l’envie de mettre le visiteur, la visiteuse, face à soi-même, mais à Beaubourg pour ce qui est du silence il y a des progrès à faire, comment réfléchir avec la nuisance sonore des visites guidées et celle des téléphones.

                Dans l’une des neuf salles blanches vides, une femme vêtue d’une couverture, genre prof d’arts plastiques à la retraite, se répand téléphoniquement. Je la contemple d’un air narquois, sort mon carnet de notes et l’y inscrit ostensiblement jusqu’à ce qu’elle ne sache plus où se mettre. Elle coupe précipitamment la communication « écoute, je te laisse, à demain, on se racontera tout. » et prend l’air inspiré qui convient au vide environnant.

                Malgré ces bruits fâcheux, je me sens chez moi ici, bien en accord avec Robert Barry « Rien me semble la chose la plus convaincante au monde. ».

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