•             Sortie du Jeu de Paume, celle qui m’a rejoint se roule une cigarette puis, par la ligne une du métro, nous gagnons le Centre Georges Pompidou. Elle a une invitation pour le vernissage de l’exposition Jacques Villeglé et je suis celui qui l’accompagne.

                Avant qu’il soit l’heure, nous pique-niquons, pain, rosette, concombre, gâteaux aux amandes et bananes séchées, tournant le dos aux sculptures mouvantes de Jean Tinguely et Niki de Sainte-Phalle quand arrive une bande de joyeux drilles, filles faussement enceintes et garçon à tête de Sarkozy. C’est Agir ici Oxfam France qui se présente comme une association citoyenne, et tout ce qui est citoyen m’exaspère. Ces altruistes dansent au son d’une musique téléphonée Un jour j’irai à New York avec toi pour attirer l’attention sur le sort des femmes enceintes dans les pays pauvres. Heureusement, cela ne dure pas longtemps.

                Comme le froid tombe, nous entrons à Beaubourg et faisons le tour de l’exposition Gourmelin dont je voyais les dessins autrefois quand je lisais encore des revues de bandes dessinées.

                Il est vingt heures, nous prenons la chenille jusqu’au sixième étage avec jolie vue sur Paris dans le soleil couchant. Derrière le rideau rouge, sous le titre La comédie urbaine, se trouvent les affiches lacérées puis marouflées sur toile par Jacques Mahé de La Villeglé, aujourd’hui âgé de quatre-vingt-deux ans, qui explique ainsi sa démarche : « La lacération représente pour moi ce geste primaire, c'est une guérilla des images et des signes. D'un geste rageur, le passant anonyme détourne le message et ouvre un nouvel espace de liberté. Pour moi, les affiches lacérées rapprochaient l'art de la vie et annonçaient la fin de la peinture de transposition… » Cela au passé, Villeglé a arrêté l’arrachage d’affiches lacérées en deux mille trois, l’âge sûrement et puis fini l’affichage sauvage, l’ordre et l’argent sont passés par là et la maison Decaux n’autorise pas la guérilla sans retombées judiciaires.

                Les œuvres présentées le sont chronologiquement et l’on passe d’une salle consacrée à la lettre lacérée à une autre sur la couleur déchirée, des œuvres issues du décollage des affiches politiques des années soixante-huit et suivantes à la série réalisée à partir d’affiches annonçant une exposition de Dubuffet pour finir par les tableaux faits de celles récupérées avec l’atelier d’Aquitaine.

                Sont aussi montrés les films Pénélope (réalisé avec Raymond Hains) et Un mythe dans la ville ainsi que le travail actuel de Villeglé, série d’ardoises d’écolier servant de support à des citations diverses écrites avec son alphabet socio politique (A cerclé des anarchistes, F croix gammée et cætera).

                On se bouscule au vernissage et il n’y a là que de vrai(e)s amateurs et amatrices d’art, pas cette bourgeoisie bourgeoisante qui accapare les vernissages dans les musées de province, à Rouen comme ailleurs. Tout ce monde nous empêche de bien voir et apprécier les œuvres de Villeglé. De plus, mon train part à vingt et une heures vingt.

                -Ce n’est pas grave, on reviendra, me dit-elle avant de m’accompagner à la gare.

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  •             Une file d’attente devant le Jeu de Paume, manifestement l’exposition rétrospective des photos de Richard Avedon est un succès. Je le constate encore mieux à l’intérieur où il y a foule, notamment plein de jolies jeunes filles menées là par des professeur(e)s, certaines bien occupées à remplir des questionnaires ou à rédiger un compte-rendu de visite. Je retiens cette phrase, attrapée au passage « Richard Avedon nous invite à un face-à-face ». D’autres, non moins jolies, sont venues là seules et soudain l’une d’elles me saute au cou, avec qui j’avais rendez-vous ici vers seize heures trente et déjà là car par bonheur son école l’a lâchée plus tôt que prévu.

                Ensemble, nous arpentons les salles. Les photos d’Avedon sont chronologiquement présentées. Cela commence donc par les photos de mode esthétisantes, sans grand intérêt.

                La suite est plus excitante, série de portraits de ce qu’on appelle dans la police des personnalités : W H Auden enneigé, Duchamp fatigué, Giacometti emprunté, Ezra Pound embrumé, Karen Blixen anorexiée, Chaplin amusé, Keaton chapeauté, Carson Mac Cullers imbibée, Dorothy Parker cernée, Marilyn égarée, Armstrong flouté, Stravinsky triplé, Malcom X ixé, Janis Joplin enjouée, et cæteré et cæteré. Parmi tout ce beau monde, un assassin à tête d’assassin et le père de celui-ci.

                Dans la salle suivante se trouve l’immense fresque consacrée à Andy Warhol et aux membres de la Factory, certains nus d’autres vêtu(e)s, image jouxtée par la photo du torse couturé d’Andy.

                Vient la série de photos du père vieillissant d’Avedon, une histoire de naufrage et l’on retrouve quelques images de personnalités (parmi lesquelles un Groucho Marx vieux et méconnaissable) côtoyant celles d’anonymes qui ne manquent pas de personnalité et l’autoportrait de Richard Avedon aux bras levés. C’est l’arrivée du fond blanc.

                Le meilleur à mon goût et au sien, le plus frappant, ce sont les grandes photos sur fond blanc des laissé(e)s pour compte du capitalisme : serveuses, ouvriers agricoles, sans abris, prisonniers, et plus encore de ceux, couverts de crasse, qui en meurent à petit feu : mineurs de charbon, ouvriers de gisement pétrolifère, mineurs d’uranium. Des images terribles auxquelles il me faudrait penser à chaque fois que je mets en route mon ordinateur ou que je remplis le réservoir de ma voiture.

                Après cela, la fin de l’exposition, où l’on retrouve des personnalités, me paraît un peu fade, hormis le portrait de Marguerite Duras en vieille petite fille et surtout les trois autoportraits d’Avedon, prématurément usé, en deux mille deux, deux ans avant sa mort. Je regarde ses mains de vieillard (il n’a que cinquante-six ans) songeant aux miennes qui heureusement n’en sont pas encore là.

                Dans l’escalier entre les deux niveaux, je note l’un de ses propos : « L’inexactitude n’existe pas en photographie. Toutes les photos sont exactes. Aucune d’elles n’est la vérité. »

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  •             Je quitte le Quartier Latin par le pont des Arts, traverse la cour du Louvre, musarde dans le jardin des Tuileries où deux petits malins ont installé une Joconde au visage troué pour léonardiser les touristes avec leur appareil photo. Il fait soleil à Paris et la bonne nouvelle du jour, c’est que Marseille vient d’être élue Capitale Européenne de la Culture pour deux mille treize, ce qui signifie, entre autres choses, la création de deux cent cinquante ateliers d’artiste.

                Par les Champs Elysées et frôlant Matignon, je rejoins la rue du Faubourg-Saint-Honoré où une partie de l’hôtel Le Bristol est toujours bâchée en trompe-l’oeil. De nombreux policiers en tenue d’apparat sont sur le qui-vive. Ils attendent, disent-ils, « une personnalité ». Je ne suis pas là pour ça. Je sonne à la porte de la galerie Eric Coatelem qui expose vingt-cinq dessins de Gustav Klimt.

                L’accrochage est sans fioriture. Certains dessins sont juste posés sur des fauteuils. Klimt se suffit à lui-même. Je ne me lasse pas de ses dessins, faisant quatre fois le tour du rectangle, me tordant le cou pour mieux voir les trois mal placés derrière le bureau.

                Des études pour les portraits d’Adèle Bloch-Bauer, de Johanna Staude et de Marie Henneburg, beaucoup de femmes en toutes positions, souvent déshabillées, « nue levant les bras », « rêvant », « allongée nous regardant », « nue debout nous regardant », « allongée aux longs cheveux », « nue se tenant les seins », «  nue assise nous regardant », « nue penchée en avant », « nue assise », « endormie », « accoudée », un couple enlacé et deux fois « Les deux amies » à l’érotisme ardent., c’est le résultat de dix ans d’achats m’explique la dame qui se trouve là.

                Dans la rue, les policiers s’en vont. La personnalité est passée.

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  •             C’est un train de la région Basse-Normandie (erreur d’aiguillage peut-être) qui m’emmène à Paris mercredi tôt. Il est empli comme d’habitude d’hommes laborieux à cravate. Un certain nombre d’entre eux cherchent dans Les Echos et dans La Tribune des raisons de se rassurer face aux convulsions du capitalisme américain. Dans le carré voisin, trois sont déjà au travail à cause de leur ordinateur, le quatrième lit Le Canard Enchaîné. Les trois besogneux ont la trentaine, le tire-au-flanc la cinquantaine. Dans le carré où je me trouve, deux moins de trente ans dorment, l’un avec une horrible bouche ouverte, l’autre avec une allure de bébé. Sur le siège voisin du mien gît mon sac à dos. A l’intérieur un cédé que je dois changer chez Boulinier, boulevard Saint-Michel.

                Cela se passe bien. Le patron ne discute pas. Celle qui doit me rejoindre vers seize heures trente, a préparé l’affaire. Le Léo Ferré chanté par d’autres qui se plantait dans mon lecteur est avantageusement remplacé par Défloration Treize d’Hubert-Félix Thiéfaine. Avant l’échange, j’ai, avec un plaisir malhonnête, copié les chansons de Ferré reprises par Bashung, Higelin, Dominique A, Brigitte Fontaine, Katerine et Miossec, le dessus du panier.

                Alors que je fouille dans les bacs à livres, une algarade trouble la quiétude de la maison Boulinier. Un sans-abri déçu qu’on ne lui achète pas les bédés qu’il a trouvées je ne sais où, s’énerve. Des coups de béquille sont donnés sur le comptoir. Le patron l’emmène doucement vers la sortie. Cet endroit est bienvenu pour qui veut acheter livres et disques, mais pas du tout pour qui veut les vendre. Côté livres, le prix d’achat c’est dix, vingt ou trente centimes pièce. Un homme considère tristement la haute pile de livres qu’il vient d’échanger contre seulement trois euros, même pas de quoi aller boire une petite bière.

                C’est la même chose chez les Gibert. Devant le Jeune, près de la fontaine Saint-Michel, des trafiquants pratiquent l’achat sauvage sur le trottoir avant que les aspirants vendeurs n’entrent dans la librairie. Je ne sais à quel tarif se négocie le livre mais cela discute rudement, à l’image de ce qui se passe pour d’autres substances dans des quartiers de Paris plus excentrés.

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  •             C’est jeudi, jour de livres potentiels au Marché des Emmurées mais ce matin que dalle. Je rentre sous le soleil matinal. J’aperçois du pont Corneille une énorme gélule blanche qui tourne dans le ciel bleu autour du clocher de la cathédrale, engin télécommandé qui m’intrigue et que je retrouve un heure plus tard coincé sous l’auvent du café Le Bristol, près du Palais de Justice. Deux hommes s’affairent autour de ses appareillages. Je demande à l’un d’eux ce que c’est, à quoi ça sert, et apprends que l’on fait des photos aériennes de Rouen pour le magazine Géo.

                Cependant, cela ne me détourne pas de mon chemin qui me mène encore une fois au Tribunal Administratif, avenue Gustave-Flaubert. Je réponds à l’appel urgent du Réseau Education Sans Frontières et vais soutenir la famille Mamedov, ce jeune couple d’Azéris sans papiers que nous avons déjà accompagné devant le juge des Libertés et de la Détention en août (lequel les a libérés grâce à un certificat médical attestant des risques que faisait courir à leurs deux enfants en bas âge l’emprisonnement au Centre de Rétention de Oissel).

                Nous sommes une demi-douzaine pour accueillir Musvic et Samira Mamedov partis à cinq heures de leur village du Jura et arrivés avec quinze minutes d’avance au tribunal où ils sont convoqués pour onze heures. Hélas, leur avocate n’a pas jugé utile de venir ni de se faire représenter par un confrère ou un consœur de céans (comme on dit en ce lieu).

                Pas d’autres convoqué(e)s aujourd’hui, nous sommes seul(e)s dans la salle d’audience à attendre le tribunal et grâce à l’interprète, venu bénévolement, nous pouvons tranquillement étudier le dossier, notamment les certificats médicaux attestant du traumatisme de la petite Narjiz (qui a vu à Oissel ses parents menottés devant elle) et les trois promesses d’embauche dans le bâtiment (avec contrat à durée indéterminée) pour Musvic. Le temps passe.

                Il est plus de midi. L’impatience grandit, surtout la mienne. Je vais aux renseignements et découvre que l’on a tout simplement oublié la comparution Mamedov. Alerté, le tribunal au grand complet fait une entrée précipitée. Ni excuse, ni explication, l’affaire est vite faite, sans avocate qui plus est. La Commissaire du Gouvernement conclut au rejet, jugement dans trois semaines. Si celui-ci s’avère négatif, les membres du Réseau Education Sans Frontières de Dôle, qui ont empêché la famille Mamedov de quitter son avocate et d’en engager un(e) à Rouen, n’y seront pas pour rien.

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  •             Le beau temps ne dure guère en ce moment en Normandie, je me pèle ce mardi en début d’après-midi alors que je lis en terrasse au Son du Cor Voyages sans but d’Harry Martinson, un livre que j’ai trouvé flottant à la surface de l’immense désordre de la bouquinerie de Joseph Trotta.

                Harry Martinson, écrivain suédois a reçu le prix Nobel de littérature en mil neuf cent soixante-quatorze. Il fut avant cela et avant l’heure une sorte de bite-nique, un routard aux aventures multiples et essentiellement marines. Il les raconte dans ces Voyages sans but, livre  publié en Suède en mil neuf cent trente-deux et que je lis en traduction française, préfacé par Paul Morand, dans la collection rose de la Bibliothèque Cosmopolite chez Stock.

                Ce qu’écrit Harry Martinson vers la fin de son livre de souvenirs me fait songer à la récente Armada de Rouen :

                Maintenant, les jolis croiseurs blancs font le tour du monde comme navire-écoles. Certes, ils sont jolis. On aurait mauvaise grâce à nier leur charme délicat et séduisant. Les croiseurs, notamment les croiseurs à pont cuirassé, sont les charmeurs des flottes. Blanches navettes bien fourbies de la trame militaire du monde.

                Ils ont une popularité prodigieuse parmi les femmes. La visite d’un croiseur signifie toujours un léger accroissement de la natalité. Si les goûts vestimentaires des femmes devaient régner sur le monde, nous sombrerions bientôt dans les uniformes de la marine militaire. Les servantes et les demoiselles de pensionnats ont besoin du frôlement de ces vestes bleues si sportives.

                Mes voisines de table viennent de poser Paris Normandie. J’y lis que le dernier recensement révèle une augmentation de la population rouennaise. Cela devrait se poursuivre dans les mois à venir, me dis-je en refermant mon livre.

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  •             Un ouiquennede ensoleillé, denrée rare, il faut en profiter. Je suis samedi à sept heures aux Andelys pour le quarante-troisième vide-greniers, le plus grand de France après celui de Lille, mille quatre cent cinquante exposant(e)s attendu(e)s, dont beaucoup de professionnel(le)s.

                Je fréquente cet endroit depuis le début des années soixante-dix ce qui me permet de me diriger sans perte de temps vers les secteurs les plus intéressants. Je me souviens y avoir vendu, avec mes semblables, lorsque je vivais dans cette plus ou moins communauté des Grands Baux près d’Evreux. Je ne jure pas que tout ce que nous proposions était à nous. Il y avait à cette époque beaucoup moins de gendarmes qu’aujourd’hui, où ils sont pléthore, arpentant les lieux, bouclant la zone, vérifiant l’origine de telle ou telle marchandise.

                Je fais de bonnes affaires : deux monographies publiées en mil neuf cent soixante-douze par les éditions Filipacchi, consacrées l’une à Paul Delvaux (dont j’ai visité il y a quelques années, avec une mienne nièce, la maison atelier en Belgique) et l’autre à Clovis Trouille (dont j’ai visité la rétrospective à Amiens l’an dernier, avec celle qui doit me rejoindre dans quelques heures). De quoi être satisfait, et plus encore quand je trouve, avant de partir, le très beau Gustave Flaubert, un monde de livres d’Eric Le Calvez, publié en deux mille six chez Textuel.

                Dans le jardin, le soir venu, tout en buvant l’apéritif et en écoutant Zorna qui joue devant la cathédrale et dont la musique se diffuse jusqu’à nous, je feuillette avec celle qui m’a rejoint le Paul Delvaux et le Clovis Trouille, ce dernier bénéficiant des commentaires du peintre sur ses tableaux. Cela donne des choses comme ça : « Dans la mitre de l’évêque, j’avais mis un sexe de femme. Mais devant les réactions, j’ai dissimulé le sexe sous des fleurs. »

                Le lendemain dimanche, à sept heures, nous sommes tous les deux dans le quartier de la Croix de Pierre pour l’un des plus sympathiques vide-greniers de Rouen. Elle fait des affaires de son côté et moi du mien ou bien nous en faisons ensemble (cinq cents enveloppes à se partager) avec des vendeurs et des vendeuses particulièrement aimables. Pour preuve ce qui se passe quand un quidam du pied brise un lustre :

                -Je ne l’ai pas fait exprès, jure ce grand nigaud.

                -Ce n’est rien, lui répond le vendeur en ramassant les morceaux.

                Je fais attention où je mets les miens et trouve enfin de quoi m’exciter avec le Manet publié chez Skira, une monographie signée Georges Bataille. Il est temps de rentrer, de poser nos achats à la maison et d’aller au Clos Saint-Marc pour y entendre de plus près Zorna, la fanfare kabylo-normande dirigée par Jean-Philippe Dambreville, qui joue là chaque mois de ramadan. Hélas, il faut bientôt qu’elle reparte à Paris.

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  •             Vendredi soir à Sotteville-lès-Rouen, c’est vernissage au Fonds Régional d’Art Contemporain de Haute-Normandie et j’y suis, arrivé là par bus bondé. Il s’agit de fêter les dix ans du lieu d’exposition et c’est Claude Lévêque l’invité. Je ne sais pas à quoi il ressemble physiquement et suis bien loin d’imaginer, découvrant l’homme costaud au crâne rasé vêtu d’un ticheurte noir décoré d’un aigle blanc barré de l’inscription rouge South Beach, qu’il s’agit de lui. Je l’aurais bien vu dans le rôle du manutentionnaire ou du vigile à l’entrée, c’est dire si j’ai des idées préconçues sur les artistes. Il est temps que je me soigne.

                Pour l’anniversaire, il y a pléthore d’officiel(le)s, adjointe à la culture, représentant de l’Etat, député-maire et président du Fonds, au point que la première renonce à parler. Les trois autres ne s’en privent pas et se félicitent eux-mêmes et félicitent les deux autres et se retrouvent tous trois pour féliciter le directeur Marc Donnadieu qui ne sait plus où se mettre. Ils précisent qu’ils se gardent bien de dire quelque chose sur l’installation proposée par l’artiste invité dont ils savent cependant qu’il représentera bientôt la France à la Biennale de Venise, sous-entendant par là qu’il pourrait bien s’agir d’un bon artiste. Les présent(e)s applaudissent, sauf un, moi.

                Je garde mes applaudissements pour Marc Donnadieu et Claude Lévêque. L’un et l’autre ne disent pas grand-chose. L’artiste précise juste qu’il se donne autant de mal pour une exposition en province que dans une grande ville.

                C’est possible. Il n’empêche que je suis ici moins convaincu par ce que je vois que je ne le fus la saison dernière à Paris chez Kamel Mennour. Au centre des quatre murs zébrés de larges droites noires sécantes, quatre grands lampadaires lèvent le pied et jouent à touche-tête sur le sol, éblouissant qui les regarde de l’étage. Cela s’appelle Down the Street.

                Comme c’est la fête, le champagne est servi au sous-sol accompagné de macarons sur lesquels les chiffres un suivi d’un zéro rappellent l’anniversaire. Il y a foule mélangée, beauzarteux et beuzarteuses côtoient du bourgeois et de la bourgeoise. L’un des membres du premier groupe porte un anneau nasal qui gêne fortement l’une des membres du deuxième.

                -Viens plus loin, dit-elle à son mari, il me fait mal au cœur celui-là avec son truc dans l’nez.

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  •             Un samedi, pas celui-ci, je bois un café verre d’eau à l’Agora Café. Il ne fait pas beau, c’est courant à Rouen en ce moment. Je suis donc à l’intérieur. Je lis ou j’écris, ce sont mes activités habituelles. Au moment de payer, je regarde le ticket : un euro soixante. C’est le prix demandé en terrasse. Je pense à une erreur. Je demande à la demoiselle serveuse.

                -Non, me dit-elle, c’est normal, c’est bien le prix. Il n’y a pas de supplément en terrasse.

                Je lui dis que je pense plutôt que le prix de la terrasse est aussi celui demandé en salle. Elle sourit, me répond qu’effectivement, cela dépend d’où on voit les choses.

                Pour moi c’est tout vu, je bois désormais mon noir breuvage ailleurs qu’à l’Agora Café.

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  •             Suis content d’être encore vivant malgré la mise en route par le Centre Européen pour la Recherche Nucléaire du grand collisionneur de hadrons sous la zone frontalière de la Suisse et de la France.

                Si j’ai bien compris, il s’agit d’aller voir à quoi ressemblait le monde juste après le Big Bang, mais la science m’intéresse peu et je n’essaie pas d’en apprendre davantage. Je sais aussi que certain(e)s prétendent que ce bazar peut nous aspirer dans un trou noir et, me dit-on, ça fait vraiment mal (étirement façon saucisse).

                Bon, comme dit madame Michu « c’est le progrès, on n’y peut rien » mais comme l’écrit Emil Michel Cioran, qui est toujours à mon chevet, Le progrès est la version profane de la chute.

                Au même moment, Benoît le Seizième vient voir à Paris son copain Nicolas le chanoine de Latran. Un car part de la place du Boulingrin à Rouen pour aller dans la capitale souhaiter la malvenue à ce Pape. Je n’en suis pas. Je m’en fiche de l’enjuponné

                Je me rappelle, chez mes parents quand j’étais petit, cinq ou six ans peut-être, mon père me catéchisant à l’aide d’une Bible illustrée, le seul livre présent à la maison. Ma mère mit vite le holà. Pas eu le temps d’aller bien loin. Me souviens néanmoins parfaitement du chapitre de la Genèse à cause des jolies images du Paradis terrestre, surtout de celles d’Eve toute nue.

                J’étais précoce, je sentais que c’était une grosse blague, cette histoire de Dieu créateur de l’univers et déjà la seule origine du monde qui m’intriguait et m’intéressait, c’était celle que je devinais cachée entre les cuisses d’Eve.

                Tout cela bien avant que j’apprenne l’existence, puis voie le tableau de Gustave Courbet, celui que Jacques Lacan cachait derrière un paysage d’André Masson, par peur peut-être du Lacan dira-t-on, mais peu de temps avant que je découvre qu’il n’y avait pas qu’un seul livre au monde, grâce à l’école et à la bibliothèque municipale de Louviers.

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