•             Dimanche après-midi à l’Opéra de Rouen pour le quatuor Alban Berg. Sur la grande scène, quatre pupitres et quatre sièges qui paraissent minuscules depuis le premier balcon. Tiens, voici la famille Dulapin qui s’installe bruyamment juste derrière. Papa et maman, très Jean-Baptiste de la Salle, et leur quatuor d’héritiers : un branlotin à grands pieds qui ne sait pas encore qu’on ne met pas de chaussettes blanches avec un pantalon et des chaussures noirs, un semi-branlotin, un moutard et une moutarde, ces deux derniers à peine assis déjà excités. Emmener des enfants si jeunes écouter un quatuor à cordes un dimanche après-midi s’apparente à de la maltraitance.

               -Oh regarde chérie, là-bas, mon collègue Dumoulin, s’exclame papa Dulapin. Jean-Victor, lève-toi donc et fais-lui signe.

                Le branlotin rechigne :

    -Vas-y toi, c’est ton collègue après tout.

    Papa insiste et Jean-Victor se ridiculise. Papa Dumoulin et papa Dulapin se sourient de loin et se font de grands signes d’amitié.

    -On est mieux placés qu’eux, énonce fièrement maman Dulapin.

    Papa Dumoulin montre la scène à ses amis et lève le pouce, lui aussi s’estime le mieux placé. Doivent se faire une belle concurrence au bureau, ces deux-là.

    Le noir se fait. Entrent les quatre à cordes. Au programme : Haydn, Schönberg et Beethoven. Décidément, je n’aime pas les quatuors à cordes et évidemment, chez les Dulapin, on s’agite, le branlotin donne des coups dans les sièges avec ses grands pieds et la moutarde se chamaille avec le moutard. Papa et maman vont se fâcher quand on rentrera à la maison.

     La salle applaudit bien fort, suis peut-être le seul à ne pas aimer les quatuors à cordes mais suis ravi au fond de m’être si bien ennuyé : ça me rappelle les dimanches en famille.

    Partager via Gmail Yahoo!

  •             Rendez-vous samedi après-midi au Grand-Quevilly, devant le théâtre de la Foudre, la Scène Nationale offrant à son échantillon de spectateurs, dans le cadre du parcours précédemment évoqué, la possibilité d’assister gratuitement au spectacle de Carlotta Sagna : Oui oui, pourquoi pas, en effet, dont une phase de l’élaboration a eu lieu en résidence au Centre Culturel Marc Sangnier à Mont-Saint-Aignan.

                Il s’agit de se rendre à la Ferme du Buisson près de Marne-la-Vallée. Le voyage est également offert. Le minibus de location s’avère démuni de carte grise. Retour chez le loueur qui avoue qu’il s’agit d’une sous-location auprès d’un concessionnaire de la marque du véhicule. Pas moyen de mettre la main sur cette foutue carte grise et le concessionnaire est fermé. Pendant un moment, oui oui, pourquoi pas, en effet, l’incertitude règne, mais le loueur ne se démonte pas, il donne au conducteur la carte grise d’un autre véhicule, change l’attestation d’assurance sur le pare-brise, et en route avec l’espoir de ne pas croiser la maréchaussée.

                Tout se passe bien et grâce à un copilotage brouillon mais efficace, arrivée en avance à la Ferme (Centre d'Art et de Curiosités Culturelles). Une bonne heure de temps libre avant le spectacle, de quoi profiter de la beauté des lieux, ancienne friche industrielle joliment reconvertie, et du chaleureux tumulte du bar. Des gens du spectacle, comme on dit, se reconnaissent et s’embrassent de cette façon exagérée qui leur est propre, comme s’ils ne s’étaient pas vus depuis longtemps, et même pire, comme s’ils s’aimaient vraiment.

                Puis entrée dans la Halle où a lieu le spectacle, l’un des neuf donnés au cours de ce ouiquennede consacré à la danse. Davantage de spectateurs que de places assises, on distribue aux malheureux derniers des coussins pour les aider à poser leurs fesses sur les marches métalliques.

                Et voici les danseurs, trois jeunes gens aux dents longues face à un vieil homme désabusé. Deux filles et un garçon qui cherchent à distraire de son Sudoku, l’ancien danseur dont le physique rappelle tout à fait celui d’Alberto Moravia. On comprend vite qu’il s’agit là d’une réflexion sur le rapport entre générations, sur la transmission, sur l’histoire de la danse, sur la vieillesse rapide des danseurs, et tutti.

                Les spectateurs sortent de là plutôt contents. Certains avec des bémols, d’autres enthousiastes. Je me situe entre les deux, hé hé. Et plutôt enclin à voir dans le vieux danseur et dans le jeune danseur (multiplié par trois) un seul et même individu aux deux âges de sa vie, débutant inquiet et courageux, vieillard inquiet et courageux, sachant le prix qu’il en coûte d’avoir des rêves et de les réaliser.

                Allez, je donne le dernier mot au vieux danseur : « J’en ai marre, je rentre chez moi et je branche le répondeur ». J’en ressortirais bien samedi dix-sept, afin d’y retourner, à la Ferme du Buisson, pour la nuit érotique : performance de séduction, réunion Fuckerware, conférence médico-ludique, défilé de hot couture, initiation à la photo de nu, démonstration de ligotage à la japonaise et autres coquineries, oui oui tout cela me plaît bien, dommage que Marne-la-Vallée soit un peu loin.

    Partager via Gmail Yahoo!

  •             Je la suivrais n’importe où Laurence Equilbey alors quand elle propose un voyage vers le Grand Nord aux commandes du Choeur de Chambre Accentus, je dis oui bien sûr, en route pour la Scandinavie et la Finlande. Départ de l'Opéra de Rouen. Première étape, encore en terrain connu : Sibelius. Ensuite, c’est carrément l’inconnu, et j’avance à sa suite : Kuula, Rautavaara, Stenhammar, Alfven, Wikander, Sandström pour finalement parvenir à Hillborg.

                Et comme je suis bien à Hillborg dont Accentus chante Muoayioum, ce paysage sonore qui, m’apprend le programme, « tente une synthèse entre le minimalisme et l’ornementation » et « s’apparente à de la musique électro-acoustique » tout en évoquant les chants « des moines bouddhistes et des prêtres mongols ».

                Voici qu’emporté par cette mélodie envoûtante, je me retrouve au temps de ma jeunesse intrépide, arrivé un été en Finlande après avoir écouté une Finlandaise parler toute une nuit de son pays, un voyage dans une voiture hors d’âge que les marins devaient pousser pour la sortir des ferries, quinze jours sans pratiquement de nuit, les pistes dans les forêts de bouleaux, le camping sauvage dans les fermes, les barques empruntées aux pêcheurs pour canoter sur des lacs dans lesquels se jetaient des jeunes filles nues sorties des saunas, une tentative improvisée de pénétrer clandestinement en Union Soviétique, slalomant entre les miradors, déguisé en chercheur de champignons, arrêté piteusement par un garde-frontière finlandais furibard.

                Il est temps de rentrer.

    Partager via Gmail Yahoo!

  •             Petite visite à la galerie parisienne Templon, rue de Beaubourg, attiré par le titre de l’exposition de l’artiste flamand Jan Fabre (jusqu’ici connu de moi uniquement pour son activité de chorégraphe) : Les Messagers de la mort décapités. J’apprends à cette occasion que ledit Jan Fabre est le petit-fils de l’entomologiste Jean-Henri Fabre et cela se voit : Les Messagers de la mort décapités, étant les têtes agrandies de rapaces nocturnes, coupées et posées (entourées chacune d’une corolle de plumes) sur une longue table recouverte d’une nappe en dentelle de Bruges, des têtes munies d’yeux en verre destinés aux humains et qui vous regardent tranquillement. Dans la salle voisine, deux Sculptures de larmes, moulages en plâtre blanc du corps nu de la compagne de Jan Fabre, percés de poinçons, de couteaux et de haches. Un peu plus loin, le Carnaval des chiens errants morts, une installation de la taille d'une pièce entière qui associe des cadavres de chiens empaillés, des mottes de beurre, des paillettes et des guirlandes, carnaval qui a mal tourné, référence aux scènes de fêtes de l’art flamand, au Carnaval des animaux de Camille Saint-Saëns, un mélange de macabre et de comique qui fait penser aussi à James Ensor. Les titres des œuvres m’ont bien plus fait rêver que les œuvres elles-mêmes.

    Partager via Gmail Yahoo!

  •             Longue déambulation pédestre hier à Paris, accompagné d’une promeneuse de bébé en poussette. De la gare Saint-Lazare à Beaubourg, en passant par la Madeleine, le jardin des Tuileries et les quais de Seine, une plongée dans la ruche humaine, compliquée par la présence de trottoirs à franchir, de scouteurs à contourner, de travaux à éviter, de marches à descendre et à remonter, de portes à franchir. Quoi qu’en désirent ou qu’en disent le Delanoë et ses alliés de couleur verte, la capitale est bien entre les mains des possesseurs de chaises roulantes, ces automobilistes qui chaque jour augmentent impunément la température de la planète, compromettant l’avenir du mignon bébé dans sa poussette.

    Partager via Gmail Yahoo!

  •             Merci vraiment à Bazart, l’agenda du spectacle normand, grâce auquel j’ai gagné une entrée gratuite pour deux au concert de Miossec à l’Exo Sept. La question était ; Pourquoi Miossec s’appelle-t-il Miossec ? Eh bien, parce que c’est son nom ! Et voilà ! Gagné. Les deux places à prendre à l’accueil de l’Exo Sept le jour du concert. Par prudence, j’emmène une copie de l’échange de mails avec Bazart. Et heureusement, car à l’accueil, le guichetier ignore tout de ce concours. Il téléphone quelque part où se trouve le pouvoir et tout s’arrange, mon nom sur un petit papier en échange des deux places gratuites.

                Déjà vu le Christophe en scène, première fois à l’Abordage à Evreux, deuxième fois au Hangar Vingt-Trois à Rouen, un peu déçu à chaque fois de ne rien comprendre à ce qu’il chante lorsqu’il est sur scène, préférant, et combien, écouter ses cédés.

                Donc troisième fois, à l’Exo de Petit-Quevilly, cette salle où l’on est accueilli par de sympathiques vigiles et où il nous faut subir une première partie dont il vaut mieux ne pas parler. Entracte puis disparition de la scène dans un grand effet de fumigènes. On craint quelque miracle, la résurrection de l’abbé Pierre par exemple, mais sitôt les fumées dissipées, c’est le Christophe qui apparaît. Dès la première chanson, le constat d’un progrès dans le souci d’être compris pas les spectateurs. Disons que l’on ne comprend pas tout, mais qu’on peut suivre, surtout si, comme moi, on connaît toutes les chansons du Breton.

                Lequel Breton tangue encore, bien que buvant désormais de l’eau sur scène, le pied du micro lui servant de béquille, plein d’énergie et cachant sa timidité derrière une gestuelle qui n’appartient qu’à lui, un peu plié toujours. Il enchaîne les chansons sans le moindre répit devant une salle bien sage, quelques verres de bière circulent, on fume ici ou là, un insurgé crie : Vive la Bretagne libre, plusieurs rappels chaleureux, et c’est déjà fini.

    Partager via Gmail Yahoo!

  •             Faustine Génasi n’est pas d’accord avec ce que j’ai écrit ici le cinq février dernier suite à la lecture du programme de présentation du Vaisseau Fantôme. Elle ne me demande pas de droit de réponse. D’autant plus volontiers, je lui donne la parole : Je souhaitais réagir à votre article où vous m'accusez de chauvinisme. Si vous aviez assisté à ma conférence qui avait lieu le jeudi 1er mars au Théâtre-des-Arts, vous auriez compris les circonstances historiques de la réception des opéras de Wagner à Rouen. Mon travail de recherche (mémoire de Maîtrise) étant constitué d'un dépouillement de la presse parisienne et rouennaise de l'époque, je me fonde sur des faits objectifs dont le réel patriotisme du peuple français peu de temps après le conflit franco-prussien de 1870. Je me permets également de préciser que ce texte ne peut figurer dans le programme de la salle Pleyel, puisqu'il s'agissait d'évoquer l'histoire peu connue du Théâtre-des-Arts de Rouen. Et au regret de vous décevoir, je préfère voir sourire les gens plutôt que les faire se haïr.

                Je ne conteste pas son propos bien plus renseigné que le mien. Juste dire que ce Journal de bord n’est pas une suite d’articles mais une production littéraire où le narrateur, qui n’est pas tout à fait le scripteur, adopte le point de vue de la subjectivité moqueuse, cela pas du tout dans un but haineux.

    Partager via Gmail Yahoo!

  •             Voici Charlie Hebdo poursuivi par des adeptes d’une religion monothéiste. Chaque jour et dans tous les domaines les ennemis de la liberté (et ils sont nombreux et pas seulement les religieux monothéistes) avancent leurs pions et contaminent les esprits. Un sondage publié aujourd’hui dans le pays de Voltaire montre que huit Français sur dix pensent qu’on ne doit pas se moquer des religions en public.

                Dans ce climat oppressif, l’autocensure se répand. Pour le vérifier, il n’est qu’à comparer le Charlie Hebdo d’aujourd’hui avec le Charlie Hebdo des années soixante-dix du siècle précédent, un Charlie Hebdo alors bien plus incisif, bien plus agressif, bien plus subversif. L’abominable concept de respect lui a déjà rogné les ailes. Certains veulent aujourd’hui les lui couper un peu plus. Combien sommes-nous encore à revendiquer le droit à l’irrespect ?

    Partager via Gmail Yahoo!

  •             Pas envie d’aller voir et écouter Adrienne Pauly au Trianon Transatlantique ce soir mais pas contre l’échantillon gratuit, offert par la Fnaque, de cette chanteuse émancipée et l’ai donc frôlée cette après-midi. Confirmation de mon peu d’intérêt, je n’aime ni sa voix, ni ce qu’elle raconte, ni l’accompagnement musical.

                J’ai fait l’amour avec un con, énonce-t-elle à l’envi, c’est son succès du moment. Ne pas croire ou penser qu’elle nous narre une expérience homosexuelle. Non, le con en question est un mâle du genre décevant. Qu’elle ne s’en soit pas rendue compte avant de le laisser la pénétrer n’est pas très flatteur pour elle.

                À son répertoire également, sur son cédé mais non chantée à la Fnaque, une reprise de L’herbe tendre, chansonnette signée Serge Gainsbourg et cela donne au moins envie de redécouvrir la version originale et imbibée du duo Serge Gainsbourg Michel Simon : D’avoir vécu le cul/ Dans l’herbe tendre/ Et d’avoir su m’étendre/ Quand j’étais amoureux/ J’aurais vécu obscur/ Et sans esclandre/ En gardant le cœur tendre/ Le long des jours heureux...

    Partager via Gmail Yahoo!

  •             Juste avant de partir en ville, trouver refuge dans un café, pour y écrire ou pour y lire dans le brouhaha des conversations, j’écoute Histoire de l’amour, une série proposée par Catherine Clément sur France Culture (France Cul pour les intimes), c’est chaque jour de la semaine à treize heures trente.

                Aujourd’hui, voici qu’elle cite la bien connue formule de Jacques Lacan : Il n’y a pas d’acte sexuel, et enchaîne ingénument d’un : "Et alors, qu’est-ce qu’on fait la nuit avec l’homme ou la femme qu’on aime !" Oh Catherine, comme ces mots te trahissent. La nuit. Qu’on aime. L’amour ne se ferait que la nuit, qui plus est avec quelqu’un(e) que l’on aime ? Le jour, avec un(e) inconnu(e), tu devrais essayer.

    Partager via Gmail Yahoo!




    Suivre le flux RSS des articles de cette rubrique