• L’Opéra de Rouen organise la majeure partie de ses concerts de musique de chambre à la Halle aux Toiles.

    -Il doit bien y avoir une raison, dit-on derrière moi.

    Je suis arrivé tôt et les portes étant déjà ouvertes, je suis assis sur l’une des chaises du premier rang, bien placé pour voir les musiciens et le hideux décor qui leur sert de fond de scène, une fresque peinte par un sous Chagall qui n’avait apparemment à sa disposition que la gamme des bruns. Ceux qui râlent sont derrière :

    -Il y a des abonnés qui ne veulent plus venir dans cette salle.

    -On est mal assis et on ne voit absolument rien à partir du cinquième rang.

    L’arrivée des musiciens éteint les plaintes. Le programme est composé autour de la flûte et va de la Sonate numéro deux pour flûte, alto et harpe de Claude Debussy au Chant de Linos pour flûte, harpe, trio à cordes d’André Jolivet en passant par Eucalyptus Deux pour flûte, hautbois et harpe de Toru Takemitsu et Fardâ méditation pour flûte seule du compositeur iranien Alireza Mashayekhi.

    Cette dernière œuvre est jouée en création mondiale et est dédiée au flûtiste de l’orchestre de l’Opéra de Rouen qui la joue : Kouchyar Shahroudi, lui-même d’origine iranienne.

    Alizera Mashayekhi est là, il s’adresse au public après l’exécution de la fardä méditation (méditation pour demain) et s’embarque dans un long discours que traduit en quelques mots Kouchyar Shahroudi. Le compositeur tient à faire savoir au public que cette œuvre lui a été inspirée par Les Nourritures terrestres d’André Gide et qu’il s’agit d’une méditation tournée vers autrui et non pas vers soi-même.

    Invitation est faite de rester après le concert pour échanger avec lui et les musiciens, je choisis de quitter la Halle aux Toiles et d’aller marcher un peu. Depuis quelques jours, la tour des archives est éclairée en bleu des pieds à la tête. C’est dans sa direction que je vais. Je traverse la Seine et déplace ma voiture qui dort dans la rue d’une centaine de mètres, cela vaut toutes les méditations.

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  • Tiens, voici le rédacteur de La Lettre Imagine Rouen, l’hebdomadaire agenda publié sur Internet par la mairie de Rouen, qui vante mes blogs, de quoi me valoir de nouvelles lectrices et de nouveaux lecteurs que je salue ici, tout comme les fidèles ou infidèles qui me suivent depuis novembre dernier.

    Comme chacun(e) peut le remarquer, je n’autorise pas les commentaires sur ces blogs, cela peut énerver certain(e)s, toutefois mon adresse électronique figure en bas de page et je réponds aux mails que l’on m’envoie

     L’un de mes billets « Un samedi matin chez Intermarché » est reproduit par La lettre Imagine Rouen, toutes les apostrophes ont sauté, cela donne un aspect étrange au texte et pourrait me faire passer pour un illettré. Peut-être le responsable de ce cafouillage s’attend-il à ce que je l’apostrophe à ce propos, eh bien non, je suis de très bonne humeur ce soir.

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  • Pique-nique sur les marches de l’église de la Madeleine près de la Préfecture à l’issue du rassemblement organisé par le Réseau Education Sans Frontières avec le soutien de la Ligue des Droits de l’Homme, de la Fédération des Conseils de Parents d’Elèves et du maire de Grand-Couronne pour soutenir Grigori (lycéen majeur de Rouen) menacé d’être expulsé dès le huit avril prochain et de Leïla (sa sœur encore mineure et donc moins menacée pour l’instant, scolarisée à Grand-Couronne), les enseignants sont là, les lycéens aussi, je discute avec les uns et les autres en mangeant des sandwiches, il fait beau, ce pourrait être un moment agréable mais la menace pèse.

    Lors de leur rencontre avec les responsables de la préfecture les professeurs de ces deux élèves se sont vu reprocher leurs « arguments affectifs ». Le monde moderne n’a que faire des sentiments, en quoi il est vraiment moderne.

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  • Je consulte le programme de la saison théâtrale des Deux Rives et que vois-je ? j’ai laissé passer l’année sans utiliser correctement mon abonnement pour trois spectacles, plus que deux pièces au programme avant juin et je ne me suis servi de cet abonnement que pour L’Orage d’Alexandre Ostrovki, qui ne m’a vraiment pas plu, une banale histoire d’adultère avec une mise en scène besogneuse emplie de clichés (les Russes forcément une bouteille de vodka à la main et dansant sur les tables), la seule réussite ce soir-là pour cette pièce intitulée L’Orage et jouée au Théâtre de La Foudre, ce fut le véritable orage qui éclata juste avant la représentation et la foudre tombant pas très loin au moment de l’ouverture des portes de la salle.

    Plus que deux spectacles, c’est dire si j’ai le choix, heureusement je ne suis pas allé voir L’Illusion comique de Corneille lors de sa création l’an dernier, peu attiré par cet auteur, de mauvais souvenirs scolaires, ses idées sur l’honneur et le sacrifice, et cætera, j’utilise donc sans entrain mon abonnement  pour une entrée.

    Et je fais bien, pièce de théâtre dans (et sur) le théâtre, avec une mise en abîme adroitement  menée par Alain Bézu (il s’en va, c’est une sorte de testament théâtral pour lui) et une distribution talentueuse, cette Illusion comique est plutöt réjouissante.

    Pierre Corneille a bien fait d’écrire jeune, avant que les choses ne se gâtent pour lui.

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  • Première fois que je me hasarde jusqu’à l’auditorium du musée des Beaux-Arts de Rouen, Marcel Duchamp m’y invite sous forme de deux films de trente minutes chacun : Marcel Duchamp. Le temps spirale d’Alain Jaubert et Marcel Duchamp dans ses propres mots de Lewis Jacob.

    Le premier analyse le Nu descendant un escalier et en étudie le sujet (la décomposition du mouvement) en se référant aux tableaux ou dessins d’Uccello, Bruegel et Vinci, aux photos de Muybridge et Marey et aux recherches des Futuristes.

    Le second est un montage d’entretiens avec Marcel Duchamp que l’on voit, peu de temps avant sa mort, jouant aux échecs à Cadaqués. Duchamp y raconte sa vie, son œuvre, ce qui l’a conduit « à renoncer aux pinceaux, à explorer la pensée plutôt que la main. »

    Deux films pédagogiques, un vidéo-projecteur, quelques mots d’introduction de Laurent Salomé, directeur des musées de Rouen, on se sent un peu à l’école dans cet auditorium aux murs crasseux, on y est même dérangé par certains élèves qui arrivent en retard, s’efforçant de faire grincer le moins possible la porte, cherchant à l’aveuglette un fauteuil encore libre, et par ceux qui partent avant la fin du cours.

    D’autres leçons sont à venir (il s’agit d’accompagner l’ouverture de la salle permanente consacrée à l’œuvre de Marcel), on risque de m’y voir si je ne suis pas pris par autre chose le même soir. Il y a toujours à apprendre de Marcel Duchamp qui commençait, à près de quatre-vingts ans, ses entretiens avec Pierre Cabanne par : Je considère que travailler pour vivre est un peu imbécile au point de vue économique. J’espère qu’un jour on arrivera à vivre sans être obligé de travailler. Et ajoutait : J’ai compris à un certain moment qu’il ne fallait pas embarrasser la vie de trop de poids, de trop de choses à faire, de ce qu‘on appelle une femme, des enfants, une maison de campagne, une automobile. Et je l’ai compris, heureusement, assez tôt.

    Des entretiens édités par Pierre Belfond en mil neuf cent soixante-sept en un ouvrage sobrement intitulé Duchamp, dont un exemplaire appartenait à mon frère Jacques. Il s’y entendait lui aussi pour tenir le travail aussi loin de lui que possible.

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  • Tiens, voici le soleil revenu, et le numéro d’avril du Matricule des anges, la trop peu connue revue de littérature contemporaine, dans ma boîte à lettres, je vais le lire au Son du Cor avant que l’immeuble cubique qui jouxte le mastroquet ne jette une ombre néfaste sur la terrasse.

    Pas très loin de moi, une bonne tablée d’hommes mûrs à la bedaine épanouie discutent de sujets divers et insignifiants. Comme le chante Brassens : « Le pluriel ne vaut rien à l’homme et dès qu’on/ Est plus de quatre on est une bande de cons ».

    Il s’avère que l’un d’eux travaille dans une salle de spectacle et précisément dans la fosse d’orchestre.

    -C’est génial de travailler dans la fosse, explique-t-il à ses compagnons, surtout quand il y a des jolies filles sur la scène.

    Il ajoute que ça va être un vrai bonheur le jour où la minijupe va revenir à la mode.

    La minijupe, revenir à la mode ? Oui, bien sûr.

    Lui ? Non.

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  • Concert d’après-midi ce premier avril à l’Opéra de Rouen qui a ouvert sa terrasse en l’honneur du soleil revenu, il fait bon y attendre l’ouverture des portes de la salle et le spectacle est déjà assuré, sur la place où Corneille fait figure de statue, par des patineurs à roulettes vraiment doués et qui feraient bonne figure sur la scène dudit Opéra si un(e) chorégraphe bien inspiré(e) avait l’idée de les intégrer à l’un de ses spectacles.

    L’orchestre est au grand complet avec deux symphonies au programme : la numéro dix de Gustav Mahler et la numéro cinq de Piotr Ilyitch Tchaïkovski. Derrière moi, un spectateur chenu annonce que lui-même, s’il avait eu la responsabilité du programme, aurait commencé par Tchaïkovski et non par Mahler. Il n’y a pas que les branlotins qui disent des âneries.

    Un délice douloureux cette symphonie de Mahler, dirigée sobrement par un Oswald Sallaberger tout en retenue, « hantise de la mort prochaine et de la dissolution, du poids inéluctable de la fatalité sur l’humaine destinée » comme l’écrit Christophe Queval dans le programme.

    Second plaisir avec Tchaïkovski tout aussi tourmenté mais ainsi que l’écrivait le musicologue M-R Hofmann, chez ce compositeur : « Le premier mouvement est toujours d’un pessimisme accablant ; le deuxième d’une mélancolie sereine et même souriante ; le troisième est allègre ; le dernier déborde de verve, s’encanaille volontiers et devient une authentique kermesse populaire. »

    Quelques égarés, emportés par cette atmosphère de kermesse populaire, se mettent à applaudir pendant le silence ménagé par Tchaïkovski dans son quatrième mouvement. On peut être démuni de culture musicale (je le suis, chez moi, quand j’étais enfant, on ne connaissait que l’orchestre de Franck Pourcel ou celui de Paul Mauriat), mais il n’est pas difficile d’être attentif à l’attitude du chef d’orchestre, on peut aussi avoir lu le programme obligeamment distribué à l’entrée de la salle et savoir à quoi s’en tenir, ça évite de se faire tancer par ses voisins et surtout de nuire à l’intention du compositeur.

    Cette propension à applaudir comme des malades dès que la musique s’emballe est d’ailleurs bien inquiétante en soi, on trouve cela aussi dans les rassemblements politiques après la tirade d’un orateur surexcité et rien qu’à le voir à la télévision, cela m’effraie.

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  • C’est moi-même et en ma seule présence qui suis là pour inaugurer, ce dimanche premier avril deux mille sept, la nouvelle salle dédiée en permanence à Marcel Duchamp au musée des Beaux-Arts de Rouen, un projet mené à bien en collaboration avec le Denver Art Museum et le Dallas Museum of Art.

    Je fais un beau discours où j’explique que dans cette salle se confrontent les œuvres de l’anartiste joueur d’échecs (deux tableaux de jeunesse, une valise, des documents autographes et trois disques optiques que l’on peut faire tourner avec son pied) et le cycle d’André Raffray illustrant la vie de Marcel (tirages numériques rétroéclairés). J’ajoute qu’une documentation visuelle et sonore est consultable sur place, fauteuils et table sont offerts à cet usage et que celles et ceux qui aiment être attachés à un mur par un fil pourront écouter au casque une création musicale de Dj Spooky that Subliminal Kid, auteur et artiste conceptuel new-yorkais.

    J’y vais franchement et n’hésite pas à appuyer du pied gauche sur les trois boutons blancs enclenchant les rotations simultanées des trois disques optiques.

    Ça donne le vertige, il est temps pour moi de prendre du champ.

    Ce que je fais en errant dans les autres salles, quasiment désertes, à la recherche de mes tableaux préférés : Rigolette, la bonne sœur à la fleur rouge, la joueuse de cistre, Démocrite et la Jeanne aux yeux exophtalmés.

    Au sortir d’une des salles, je trouve une gardienne au téléphone :

    -Attends, je raccroche, il y a quelqu’un, bisou, s’empresse-t-elle de dire.

    -Désolé, lui dis-je.

    -Non, non, c’est un collègue de l’étage en dessous qui était au téléphone, se justifie-t-elle, on ne se voit pas, alors on se téléphone.

    Je la retrouve un peu plus tard dans une autre salle. Elle vient vers moi :

    -Alors, vous n’êtes pas venu avec votre grande fille aujourd’hui ?

    -Ma fille ?

    -Oui, la grande jeune fille qui vous accompagne quand vous venez ici. Je vous ai déjà vus plusieurs fois ensemble.

    -Ah, mais ce n’est pas ma fille, c’est mon amoureuse.

    -Oh, désolée, j’ai fait une gaffe.

    -Non, non, ce n’est rien, elle va bien s’amuser quand je vais lui raconter ça.

    -Remarquez, me dit-elle, c’est plutôt flatteur.

    -Oui, surtout pour elle.

    Je lui parle alors de l’arrivée prévue à seize heures des lits d’Alain Sonneville et de Pierre-Claude De Castro qui doivent dormir, cette nuit du premier avril, dans le musée, pour ce qu’ils nomment une contre-performance, regrettant de ne pouvoir être là à seize heures pour cause de concert à l’Opéra.

    -Oh, mais les lits sont déjà là, me dit-elle. Ils sont arrivés hier soir. Ils sont dans une petite pièce du musée. Voilà, vous êtes dans le secret. Il ne faut pas le dire.

    Le dire, non. L’écrire, pourquoi pas.

    Et à l’heure où je l’écris, ils doivent y être au lit, les contre-performeurs. Dormez bien les garçons, attention cependant au fantôme de Marcel, depuis aujourd’hui il a une bonne raison de rôder dans ce musée.

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  • Chez Intermarché, à l’heure de l’ouverture, j’attends mon tour derrière une dame d’allure bourgeoise à l’unique caisse ouverte. Sur le tapis devant elle, ses achats. Un lot de quatre paquets de biscuits au chocolat à bas prix côtoie les plus chères denrées alimentaires. Je m’inquiète, se réserve-t-elle la meilleure nourriture alors qu’elle donne à ses enfants le pire pour goûter.

    C’est à son tour. Elle récupère ses achats après la lecture optique de leur prix et quand arrive le lot de biscuits au chocolat, elle sort un sac en plastique de sa poche et l’y glisse, un sac sur lequel je lis Banque Alimentaire. Des mauvais gâteaux pour les pauvres, le mystère est éclairci, et comme on le lit chez les bénédictines de la rue du Bourg l’Abbé, le petit Jésus le lui rendra.

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  • Au Zénith, hier soir pour le concert de clôture des Transeuropéennes, un concert ou plutôt deux  pour le prix d’un (et c’est gratuit, offert par l’Agglomération de Rouen) avec en bonus d’ouverture Idir pour trois chansons.

    Leïla (la nuit en arabe), premier spectacle : une création de Nasredine Dalil,  pour laquelle collaborent le groupe Pawolka (Antilles), Ousmane Touré et ses musiciens (Sénégal), Moussa Bajjani et ses musiciens (Liban), le Mââlem Bekkay et ses musiciens gnaouas et Jalal Akaley et ses acrobates (Maroc), c’est pour ces musiques qui bougent que je suis là, tout ce qui est exotique m’excite et excite ma voisine.

    Offenbach et compagnie, second spectacle : autre création, dirigée par Jean-Philippe Dambreville, qui regroupe les soixante musiciens de l’orchestre Pop-Symphonique et les deux cent cinquante choristes de l’agglomération rouennaise, auxquels s’ajoutent six solistes et quelques artistes de cirque. Bon, l’opérette je ne suis pas client mais on peut se laisser prendre pour une soirée, surtout si c’est la première fois que l’on assiste à ce genre de curiosité.

    C’est de cela que je parle en quittant le Zénith avec celle qui m’accompagne, de l’intérêt d’avoir toujours quelque chose à vivre pour la première fois à tout âge de la vie et je lui raconte qu’un jeune intervenant du forum des Fatals Picards me conseille d’ « essayer la fumette dans une soirée », « à moins que tu aies passé l’âge d’aller dans des soirées » ajoute-t-il perfidement. Je compte bien essayer un jour, petit branlotin, quand je serai bien vieux, plus rebelle et insoumis que jamais, et que toi, peut-être, tu porteras cravate et liras Les Echos ou L’Equipe, chaque matin dans le métro.

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