• Plein d’espoir, je me présente samedi à neuf heures à la porte de l’abbaye de Saint-Martin-de-Boscherville. Dans le jardin se tient une vente de livres d’occasion organisée par une association locale. J’apprends alors que cette vente annoncée pour le ouiquennede de Pentecôte par Le Cal’Doche n’en est pas à son premier jour, elle a commencé la semaine dernière. Les vendeurs m’expliquent que ce contretemps n’est pas de leur fait. Ils ont donné toutes les dates au Cal’Doche qui en a oublié la moitié.

    -On leur a téléphoné, ils ont reconnu leur erreur.

    Je ne sais pas si je dois les croire et évidemment dans de telles circonstances je ne trouve aucun livre de nature à m’intéresser. C’est donc en pestant que je quitte Saint-Martin pour me rendre, bien tardivement, à Saint-Etienne-du-Rouvray qui organise son vide-grenier dans le parc Henri-Barbusse.

    Il y a foule dans les allées, surtout des familles énervées (t’arrête ou je te dépose chez ta grand-mère) entre lesquelles je me faufile. Le spiqueur de service vante un programme festif avec « des animations très tendance de maintenant ». Je trouve quand même un épais Choix de lettres de Madame de Staël, publié il y a bien longtemps aux Editions Klincksieck, livre manifestement volé en mil neuf cent soixante-dix-neuf dans la bibliothèque d’un collège d’une commune voisine.

    Il y a trente ans les collégien(ne)s avaient donc de telles lectures ? Ou les professeur(e)s, me fait remarquer plus tard dans la journée, celle qui me rejoint le samedi. Quoi qu’il soit, sachant ce que je sais des collèges d’aujourd’hui, il vaut mieux que ce livre ait été volé et figure dorénavant dans ma bibliothèque, devenu mien pour cinquante centimes.

    Pour cinquante centimes également, je trouve un peu plus tard Je me souviens de Je me souviens de Roland Brasseur, ouvrage richement illustré, publié au Castor Astral en mil neuf cent quatre-vingt-dix-huit. Roland Brasseur y reprend les quatre cent quatre-vingts souvenirs de Georges Perec et les explique aux plus jeunes qui ne lisent pas la correspondance de Germaine de Staël et ne connaissent pas André Darrigade, les provos, la famille Duraton ou la petite pilule du docteur Carter.

    De quoi me faire oublier mon mauvais début de matinée.

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  • Sans majuscules le jeune chœur de paris, tout comme accentus, c’est exprès, une coquetterie signée Laurence Equilbey, fondatrice et directrice musicale des deux ensembles. Elle est là ce vendredi soir avec le premier, composé de quarante jeunes gens d’entre vingt et trente ans (si je juge bien), accompagnée de Geoffroy Jourdain, directeur musical adjoint.

    C’est lui qui prend les rênes. Je suis en fond de corbeille côté cour, pas très bien placé pour lire les surtitres mais qu’importe, je préfère être là plutôt qu’à la place mieux située qui était la mienne jusqu’à ce qu’arrive et s’installe derrière moi une tousseuse. Quand je peux, je choisis la fuite.

    Je ne lis donc pas les surtitres. J’écoute, et c’est suffisamment plaisant, de Ralph Vaughan Williams Three English songs et Three Shakespeare songs puis de Thierry Pécou Offrande (poème de Léna Monnerot), La Lune sur l’eau et Elégie sur le Royaume Tchong (poème de Victor Ségalen), avec une préférence pour le deuxième et sa musique imagée. A l’issue, Geoffroy Jourdain l’invite du geste à monter sur scène. Il n’est pas là.

    Laurence Equilbey prend le relais pour Who is the third ? de Thierry Lancino (sur un poème de T.S. Eliot) et le Requiem d’Herbert Howells dans lequel se font entendre de très bons solistes.

    le jeune chœur de Paris est beaucoup applaudi. En supplément, et avec un soliste à l’avant-scène, est offerte une chanson écossaise où il est question de conduire des brebis, une métaphore, me dis-je, en quittant la salle.

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  • Jeudi soir, toujours au premier balcon, je suis à l’Opéra de Rouen pour un concert Aubert Lemeland et Ludwig van Beethoven avec Oswald Sallaberger à la baguette. Je cherche dans le livret programme qui est le premier et mon voisin de gauche se demande à propos du second si on n’y a pas déjà eu droit à la Pastorale.

    Je ne sais comment il se souvient ou pas de ce qu’il a déjà entendu car dès les premières mesures de la Symphonie numéro onze « Entre Chaconne et Passacaille » de Lemeland (donnée en première mondiale), il s’endort. Je ne suis pas son exemple, j’attends que ça se passe. Cette symphonie contemporaine me semble avoir été écrite il y a un siècle. Lemeland, dit le programme, « a un goût prononcé pour une musique qui doit avant tout charmer ». Pas moi, et il me semble qu’une partie du public non plus. Aubert Lemeland monte sur scène à l’aide d’un petit escalier. Il est né en mil neuf cent trente-deux. Les applaudissements sont mesurés.

    Beethoven prend la suite avec le Concerto pour piano et orchestre numéro trois en ut mineur. Au piano, c’est Frédéric Aguessy, étoile internationale et professeur au Conservatoire de Rouen. Il n’a pas besoin de partition et son jeu enchante tout le monde, même mon voisin qui lutte tant qu’il peut contre un nouvel endormissement. A la fin, c’est une quasi-ovation et des applaudissements renouvelés jusqu’à ce que Frédéric Aguessy se jette sur le piano pour un bonus bien connu mais que je suis incapable de nommer.

    L’entracte bruit de paroles de satisfaction, c’était magnifiiiique.

    A la reprise, c’est encore Beethoven avec sa Symphonie numéro six, dite Pastorale, en fa majeur. L’orchestre se donne généreusement mais certains musiciens peu sollicités s’ennuient dans le fond. Bras croisés chez les trompettistes et les trombonistes, fébrilité chez le timbalier qui ausculte ses peaux, bat la mesure sur ses cuisses, joue avec ses lunettes, ausculte à nouveau ses peaux. Mon voisin ne dort plus, un petit café à l’entracte peut-être. D’autres seraient mieux dans leur lit, ce sont les catarrheux et catarrheuses, heureusement assez loin de moi, qui troublent le concert. Ne pourrait-on pas installer un portique de détection des tousseux et tousseuses à l’entrée de l’Opéra ?

    Les applaudissements sont nourris à l’issue pour le chef et les musiciens et je sors de là en disant bravo à Ludwig van.

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  • Ce train qui m’emmène à Paris mercredi, on dirait qu’il passe son temps à freiner, pas étonnant qu’il mette davantage de temps en ce début de vingt et unième siècle que son ancêtre du début du vingtième pour joindre Rouen à la capitale où je finis quand même par arriver.

    Par la ligne quatorze je vais à Châtelet, sors place Sainte-Opportune, rejoins le quai de Seine, assiste à un bruyant gadin de scouteur (machine démolie, conducteur indemne), rejoins prudemment le Quartier Latin et fouille dans les bacs de la librairie Galerie de la Sorbonne, la survivante de la rue des Ecoles, l’autre (spécialisée dans la littérature) qui était dans la rue voisine a disparu, remplacée par une boutique de décoration (spécialisée dans la licorne), elle est longue ma phrase, on risque de s’y perdre, donc dans un des bacs de cette librairie, dédiée aux sciences humaines, je trouve et j’achète, il s’agit bien d’humanité, trois livres capitaux sur la décapitation : les Mémoires des bourreaux Sanson par Henri-Clément Sanson (qui évoque les exécutions de Cartouche, Damiens, Charlotte Corday, Louis le Seizième, Marie-Antoinette, Danton, Robespierre, Babœuf, Lacenaire, et cætera) chez Futur Luxe Nocturne Editions, les Carnets d’exécutions d’Anatole Deibler, le bourreau de la république, (qui évoque celles de Ravachol, Caserio, Raymond la Science, Landru, et cætera) à l’Archipel et Anatole Deibler, l’homme qui trancha quatre cents têtes de Gérard A. Jaeger aux Editions du Félin, de bien bonnes lectures en perspective.

    Il règne (régnait) dans le domaine de la tête tranchée la même inégalité entre les femmes et les hommes que dans le domaine de l’art.

    C’est ce que je me dis un peu plus tard à Beaubourg au Musée d’Art Moderne qui entend réparer temporairement cette injustice (en est-ce une ?) avec un accrochage entièrement consacré aux artistes femmes ou aux femmes artistes elles@centrepompidou, une initiative qui fera parler et écrire sur le thème est-ce un bien, oui, non, peut-être. Le Centre Pompidou parle de « sa politique innovante », un classique de la novlangue. Ce mercredi est le jour de l’ouverture.

    Je monte au quatrième, art contemporain, tout entier dévolu au femmes, des connues et des pas connues (de moi). Je m’arrête devant la Machine à fouetter de Rebecca Horn (fendant l’air à intervalle aléatoire), La Rotateuse de Marie-Ange Guilleminot (une gymnaste se prenant quelques bons coups de barre) qui ne fonctionne que toutes les heures (un bouton d’urgence permet à la gardienne de tout stopper si la gymnaste devient vraiment folle), Cure-dents de Tara Donovan (un cube d’un mètre cinquante d’arête uniquement composé de ces petits instruments d’hygiène dans une salle où on ne peut pas entrer à plus de cinq, c’est fragile), Labelled de Marlene Dumas (« Ce n’est pas grave d’être le deuxième sexe. Ce n’est pas grave d’arriver en second. »), Escalade non-anesthésiée de Gina Pane (l’objet-échelle en métal hérissée de pointes et les photos de l’artiste l’escaladant pieds nus), Fuck Painting de Betty Tompkins (gros plan pornographique devant lequel s’agglutinent, gloussant, les branlotins et les branlotines) et L’Hôtel de Sophie Calle (racontant par textes et photos son emploi temporaire de femme de ménage, cela commence par « Le lundi 16 février 1981, j’ai été engagée comme femme de chambre pour un remplacement de trois semaines dans un hôtel vénitien. »

    Cette date ne doit rien au hasard, c’était le jour de mes trente ans (merci Sophie).

    Je monte au cinquième, art moderne, une salle seulement (et quelques annexes) pour les femmes dont un très beau petit Frida Kahlo The Frame (le cadre) (il est rouge sur mur rouge) et Kizette au balcon de Tamara de Lempicka.

    Malheureusement, ici où là, à l’étage contemporain, figurent des phrases à lire signées Michelle Perrot, Valerie Solanas, Simone de Beauvoir, Virginia Woolf, Elisabeth Badinter, ramenant les artistes présentées à leur féminin. Prenant un café à la Mezzanine, je contemple de là-haut l’installation Trampolin 12345 de Shen Yuan, exilée depuis Tienanmen, cinq épais matelas où figurent les plans des Chinatowns de Liverpool, Londres, Paris, San Francisco et New York brodés sur des patchworks de tissus. Il est loisible de s’y vautrer après avoir retiré ses chaussures. Je me dis que cette idée d’elles@centrepompidou en est une mauvaise.

    Un peu avant dix-sept heures, celle que je retrouve à Paris m’emmène découvrir le parc André Citroën. Passant le pont Mirabeau, je lui chante Guillaume Apollinaire mis en musique par Léo Ferré et lui raconte que je viens de le voir le Guillaume, entouré de ses amis, peint par Marie Laurencin.

    Je suis heureux de découvrir un nouveau jardin avec elle et nous sommes d’accord pour le préférer aux jardins anciens. Le bordeaux est bon, le pain aussi, nous sommes assis sur un banc à l’abri du vent, elletmoi@parcandrecitroen.

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  • Mardi soir, perché au premier balcon de l’Opéra de Rouen, je contemple Emanuel Gat et Roy Assaf dansant en duo rapproché mais sans jamais se toucher le Voyage d’hiver de Franz Schubert dans un carré de lumière blanche et froide, puis, dans une lumière rouge et chaude sur un tapis carré rouge et dans la pénombre autour, Mia Alon, Maëva Berthelot, Noa Gimelshtein, Alexis Jestin et David Gernez qui font de même en se touchant pour le Sacre du printemps d’Igor Stravinsky.

    Le livret programme reproduit pour le premier une critique élogieuse du New York Times et pour le second la même chose tirée du Monde. Je suis d’accord, c’est mieux que bien. Un peu trop, je trouve.

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  • Loïc Boyer n’habite plus à Rouen, les nécessités de la vie. Il poursuit ailleurs ses activités de graphiste, d’illustrateur, d’éditeur, voire de didjai.

    Découvrant la pétition de soutien à Julien Coupat mise en ligne par la Maison des Ecrivains et de la Littérature Je déballe ma bibliothèque et, « prenant le titre au pied de la lettre », il nous offre sur son nouveau blog l’Imprimante  « un best-of des livres subversifs qui hantent (ses) étagères ».

    A son exemple, je fais de même aujourd’hui, ne déballant en vrac que des livres dont le titre lui-même attire l’œil de la Police : J’ai tué de Mikhaïl Boulgakov (Biblio), De la grève sauvage à l’autogestion généralisée de Ratgeb (Dix/Dix-huit), Souvenirs d’une gamine effrontée d’un anonyme (Balland), Le Combat sexuel de la jeunesse de Wilhelm Reich (Gît-le-Cœur), L’irrésistible ascension du pervers de Vernon A. Rosario (Epel), Perdre sa vie à la gagner des Amis de la Terre (Pauvert), Objecteurs, insoumis, déserteurs de Michel Auvray (Stock), Autoportrait d’un bandit dans son adolescence d’Edward Limonov (J’ai lu), Guide de l’anti-consommateur de Martine Grapas et Dorothée Koechlin-Schwartz (Livre de poche), L’anarchisme de droite ou du mépris considéré comme une morale de Pascal Ory (Grasset), Travailler deux heures par jour par le collectif Adret (Seuil), Un peu d’encre dans la neige (l’expérience de la cocaïne par les écrivains) (Le Lézard), De l’Assassinat considéré comme un des Beaux-Arts de Thomas de Quincey (L’Imaginaire).

    Ce n’est qu’un modeste échantillon.

    D’autres livres, au titre moins explicite, seraient tout autant susceptibles d’intéresser les policiers chargés de la perquisition de ma bibliothèque.

    Il est même des auteurs qui n’ont l’air de rien mais dont les autorités feraient bien de se méfier. Jérôme Leroy, auteur d’A vos Marx, prêts, partez ! (Le Poulpe/Baleine) cite ainsi, sur Causeur.fr, dans son article Julien Coupat aurait lu des livres, un extrait d’Une ténébreuse affaire, le roman de Balzac, qui décrit plutôt bien la situation actuelle : On croit la police astucieuse, machiavélique, elle est d’une excessive bénignité ; seulement elle écoute les passions dans leurs paroxysmes, elle reçoit les délations et garde toutes ses notes. Elle n’est épouvantable que d’un côté. Ce qu’elle fait pour la justice, elle le fait aussi pour la politique. Mais en politique, elle est aussi cruelle, partiale que l’Inquisition.

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  • Un autre beau livre (comme on dit dans la librairie) acheté au vide-grenier de Mont-Saint-Aignan village, cadeau qui n’a pas plu, bradé deux euros sans que je marchande, c’est L’Oeil de la Police (crimes et châtiments à la Belle Epoque). Cet ouvrage, publié en deux mille sept par les Editions Alternatives, présente en fac-similé les pages aux illustrations sanglantes du journal du même nom, créé en mil neuf cent huit, recensant les pires faits-divers de l’époque dite belle, flattant en chacun(e), comme le chante Thomas Fersen, le « côté malsain donnant sur la rue ».

    Je suis comme les autres, j’adore les faits divers et plus ils montrent une facette obscure de l’être humain, plus ils me plaisent.

    Dans L’Oeil de la Police, il y en a pour tous les goûts : assassinats, accidents, catastrophes. Quelques titres : « Effroyable crime d’une mégère », « Malheureux en amour, il se livre aux fauves », « La Mort d’un Héros de dix ans », « Une Mariée décapitée », « Brûlés vifs dans du métal en fusion ». Chaque grand fait-divers est complété par un kaléidoscope de faits-divers secondaires (au centre et dans les angles de la page surgit l’œil de la Police). On y trouve aussi des affaires politiques comme « Le Procès de la Bande Bonnot » ou « La Tragédie de Sarajevo »

    Sur le site de Paris Normandie (journal régional), à la rubrique faits-divers que je consulte tous les jours, c’est la même chose sans les images, assassinats, viols, accidents, articles souvent signés par la bien nommée Jane Hitchcock, avec de temps à autre un peu de politique. Dans cette catégorie, le dernier article est intitulé : « Les trois Rouennais relâchés ». Il concerne Christophe, Clément et Fatima, suspectés de connaître Julien Coupat, lui-même suspecté d’être l’auteur de L’Insurrection qui vient.

    C’est, hier comme aujourd’hui, un étrange mélange des genres qui sert chez les politicien(ne)s, celles et ceux dont le fonds de commerce est l’insécurité.

    L’article concernant les membres rouennais du Nouveau Parti Anticapitaliste qui, se voulant désormais offensifs, ont invité ce lundi la clientèle du supermarché Leclerc de Saint-Sever à goûter gratuitement la marchandise et se sont fait taper par les vigiles du magasin avant d’être embarqués par la Police est dans la rubrique Rouen de Paris Normandie. On ne sait pas encore si c’est un fait-divers, mais à voir les vidéos, je trouve ça assez drôle : Christine Poupin, tête de liste Hennepéha aux élections européennes, découvrant (à cinquante berges, comme elle dit) les subtilités de l’interrogatoire policier et Franck Prouhet, le docteur, comptant ses côtes à la recherche de celle qui fait mal.

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  • Bien réveillés tous les deux, nous passons samedi soir par le marché africain qui se tient ce ouiquennede à Rouen, place de la Pucelle, une occasion d’entendre de la musique bougeante. Elle achète un peu de nourriture exotique, plus antillaise qu’africaine, de quoi faire un dîner excellent et le dimanche matin, c’est en pleine forme que nous partons pour le village.

    Pas n’importe lequel, celui de Mont-Saint-Aignan où l’on ne connaît pas la crise. Le vide-grenier en témoigne. Quand on y vend des livres luxueux, ce n’est pas par manque d’argent, c’est que le cadeau n’a pas plu. Dès l’entrée, pour un sixième de son prix, je deviens propriétaire de l’énorme ouvrage, paru chez Gründ, de Francesco Poli L’Art contemporain (de l’informel aux recherches actuelles). Il est encore sous plastique. Et, comme un plaisir ne vient jamais seul selon madame Michu, je me fais celui d’agresser verbalement la conductrice de poussette qui, l’autre jour, a roulé sur le pied de celle qui m’accompagne :

    -Attention, voici celle qui fonce sur tout le monde avec sa poussette !

    Ça ne loupe pas, la pousseuse s’insurge.

    -Je me suis excusée, Et puis d’abord, c’était pas votre pied, c’était celui de votre épouse.

    Celle qui me tient la main s’insurge à son tour, être appelée ainsi et en public ! Elle a sa revanche un peu plus loin, alors qu’elle achète une raquette de badminton, c’est à mon tour d’être moqué par les vendeurs, il est question de me faire faire du sport, mais je ne me souviens plus très bien.

    Bientôt, pour une dépense minime, nous sommes fort chargés, le plaisir de la découverte se doublant toujours de celui du marchandage. Dans ce domaine, je suis assez fort :

    -Vous le faites à combien ce livre ?

    -Lequel ?

    -Le Précis de décomposition de Cioran.

    -Ah oui, deux euros.

    -Un euro, ça pourrait aller ?

    -Un euro cinquante, c’est Cioran quand même.

    -Oui, c’est Cioran, mais il est mort, il n’a plus besoin d’argent.

    -C’est vrai, c‘est un bon argument, je vous le laisse à un euro.

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  • Se lever tôt pour rejoindre un terrain de foute, j’en suis capable quand il s’agit d’y parcourir les allées d’un vide-grenier. Ce samedi matin, cela se passe à Saint-Pierre-du-Vauvray au bord de la Seine. Le soleil brille mais ça ne va pas durer. Pour l’instant, les lapins en profitent, qui courent le long de la route près du plan d’eau de Léry-Poses. Rien ne bouge un peu plus loin à la prison de Val-de-Reuil, dont les bâtiments sont un bel exemple de fonctionnalité (l’architecte n’a pas jugé utile de laisser son nom à l’entrée). Je tourne à gauche au bout de la route et me gare à l’entrée du village. Je sais où se trouve le terrain de foute mais j’ignore comment y pénétrer par le plus court chemin. Je demande au premier qui passe et c’est le bon. A sa suite, je franchis le grillage tordu puis le filet déchiré.

    Dans les haut-parleurs, un idiot se vante de ne pas donner sa liberté de penser au percepteur, puis des niaiseux nous souhaitent tout le bonheur du monde. Parfois, j’aimerais être sourd. Je m’abstrais et me concentre sur ce que je vois. Bientôt, je trouve l’Artaud de Françoise Bonardel (Balland) et au fur et à mesure que je parcours les allées du déballage, j’ajoute Les Diablogues de Roland Dubillard (L'Arbalète), les deux volumes de l’Oeuvre romanesque complète de Joë Bousquet (Albin Michel) et le volume deux des Ecrits complets de Kandinsky (Denoël). Un butin que je complète par trois pots de confiture (figue, cerise, framboise). Les livres ne me coûtent pas plus cher que la confiture. J’ai la chance de vivre dans un monde où ce qui a de la valeur pour moi n’en a absolument pas pour d’autres.

    Celui dont j’écrivais l’autre jour qu’il a affreusement vieilli passe près de moi sans répondre à mon salut. Soit (ébloui par le soleil) il ne m’a pas vu, soit il m’a lu.

    Régulièrement, sur la voie ferrée bâtie en surplomb du terrain de foute inondable, passent les trains qui viennent de Paris et vont à Rouen. J’y cherche des yeux celle qui aujourd’hui revient vers moi mais pas moyen de l’apercevoir. Il est prévu qu’elle essaie de me voir sur le terrain de foute.

    A quinze heures, quand elle me rejoint à Rouen, elle m’apprend qu’elle était bien dans le train passant à neuf heures une à Saint-Pierre-du-Vauvray, profondément endormie.

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  • Cette histoire d’enfants de six et dix ans arrêtés par les policiers à la sortie de leur école à Floirac pour une affaire de vélo volé m’en rappelle une autre.

    Cela se passe dans la première moitié des années quatre-vingt. Je suis dans ma classe unique du Bec-Hellouin en train de faire une leçon d’Histoire à l’aide de diapositives. Les rideaux sont tirés, la classe plongée dans le noir, quand soudain on frappe à la porte de façon péremptoire.

    J’ouvre. Ce sont deux gendarmes, venus de Brionne. Ils veulent interroger deux de mes élèves, suspectés d’avoir dégradé une tombe du cimetière communal. Je refuse.

    Mes deux élèves sont morts de trouille, d’autant qu’ils n’ont rien à voir avec ce dont on les soupçonne. A la sortie de seize heures trente, je les fais partir par la deuxième porte de l’école qui donne sur une petite rue par derrière, puis je vais poster le courrier du jour.

    Alors que je reviens de la Poste, la Quatre Ailes des gendarmes s’arrête devant moi :

    -On vous remercie de votre collaboration, monsieur l’instituteur. On fera un rapport à votre inspecteur.

    Ils ajoutent qu’ils sont passés à la mairie où on leur a dit bien des choses sur moi.

    J’écris moi-même à l’inspecteur pour lui narrer l’évènement. Les parents d’élèves alertés par leurs enfants viennent me voir et me félicitent. L’un d’eux, membre du Conseil d’Ecole, a fait son service militaire dans la gendarmerie. Il sait exactement où signaler l’affaire, au chef de groupement si je me souviens bien.

    J’organise donc une réunion extraordinaire de ce Conseil d’Ecole. Nous rédigeons un texte dénonçant l’attitude des gendarmes. Il est voté, posté à ma hiérarchie et à celle des gendarmes. Pour faire bonne mesure, il est également envoyé au journal local L’Eveil de Bernay qui le publie.

    C’est l’infirmière du village qui me raconte la suite. Elle a des clients à la gendarmerie de Brionne. Elle y a appris que les deux gendarmes ont été sanctionnés.

    -Tu sais ce qu’ils m’ont dit là-bas ? ajoute-t-elle. Le jour où Perdrial aura besoin de nous, la Quatre Ailes ne voudra pas démarrer, elle sera en panne.

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