• Juste avant mon départ pour l’Opéra de Rouen, ce mardi soir, je découvre à la télévision la tête de son nouveau directeur, Frédéric Roels, belge de Wallonie. Il raconte qu’il va continuer le travail commencé par son prédécesseur Daniel Bizeray et y mettre de sa personnalité, ce que l’on dit dans ces cas-là, propos assez inutiles mais l’interviouveuse est agréable à regarder.

    La Création de Joseph Haydn est au programme. Je suis très mal placé au premier rang du premier balcon, derrière la barre, décentré et disposant de peu de place. Mes voisin(e)s pestent de même. La question que chacun(e) se pose, c’est quoi faire de ses genoux (le mieux étant de venir sans). Ce qui est rageant, c’est que de bons fauteuils restent vacants (car nous ne sommes plus à l’époque de la création de La Création, quand on se battait pour avoir une place et que la police devait s’en mêler).

    D’où je suis, je vois une grande partie des spectateurs et spectatrices (dont deux religieuses), les trois quarts de l’orchestre, la moitié des choristes, les solistes et le chef : c’est Oswald Sallaberger. Celui de mil sept cent quatre-vingt-dix-huit déclarait « Je me sentais tantôt froid comme la glace, tantôt tout brûlant, et j’ai craint plus d’une fois d’être victime d’une attaque. » La Mairie de Rouen vient heureusement d’installer un défibrillateur à l’entrée du bâtiment.

    L’histoire, je la connais. Les dames du catéchisme, femmes des patrons des filatures lovériennes, me l’ont racontée quand j’étais enfant et ne croyais déjà plus en Dieu. Ici, ce sont les archanges Gabriel, Uriel et Raphaël qui la narrent, rôles tenus par la soprano Shigeko Hata, le ténor John Bellemer et la basse Johannes Mannov, parfaits tous les trois.

    L’oratorio de Haydn est en trois parties. La première se consacre aux éléments : premier jour, création du ciel, de la terre et de la lumière ; deuxième jour, division des eaux ; troisième jour, installation des terres, des mers et des végétaux ; quatrième jour, mise en place de la lune, du soleil et des étoiles. La deuxième traite des animaux et des hommes : cinquième jour, création des créatures aquatiques et aériennes; sixième jour, création des créatures terrestres et des deux premiers êtres humains. La troisième, plus courte, concerne le couple Adam et Eve et le paradis terrestre. Entre les deux premières, une brève interruption permet à Dieu et aux musicien(ne)s de réaccorder leurs instruments. Avant la troisième, c’est l’entracte du septième jour.

    Du promenoir du balcon, je contemple les conséquences de la divine création : qui se dégourdissant les jambes, qui s’offrant un petit verre, qui se faisant voir, qui parlant à son téléphone.

    Nous nous retrouvons tous au paradis terrestre où le duo soprano basse chante et joue le couple humain : gloire à Dieu et cætera. L’histoire s’arrête avant qu’Adam et Eve ne fassent une connerie.

    Cette représentation de La Création de Joseph Haydn est copieusement applaudie et je sors de là bien content, tout en faisant mien le propos du journaliste du Der Eipeldauer, lequel écrivait, après la première au Burgtheater de Vienne en mil sept cent quatre-vingt-dix-huit : « J’aurais néanmoins souhaité voir le grand compositeur, par sa musique, nous créer un autre monde, car le monde actuel ne vaut plus grand-chose. »

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  • Quelle chance d’avoir à Rouen un Office de Tourisme qui s'emploie à faire de chacun(e) un(e) artiste du dix-neuvième siècle. Il suffit de débourser cent quinze euros si t’es tout seul, soixante euros par personne si t’es plusieurs et une plasticienne nommée Edith Molet Oghia t’apprend à peindre une cathédrale comme Claude Monet (de Molet à Monet il y a peu). La publicité indique (et c’est heureux) qu’« Il n'est pas nécessaire de savoir peindre ou dessiner pour participer à ces séances. ».

    Il suffit de savoir choisir entre deux modèles de cathédrale : un dans les tons bleus, un dans les tons or, et madame Molet simplifie le travail en réalisant l'esquisse. Fastoche.

    Oui mais quoi faire à l’Office de Tourisme de Rouen quand tout le monde saura peindre une cathédrale comme Claude Monet ?

    J’ai quelques idées :

    Réussir une belle césure à l’hémistiche comme Pierre Corneille

    Vivre presque cent ans comme Bernard de Fontenelle

    Se transformer en pont levant comme Gustave Flaubert

    Mettre à nu une mariée comme Marcel Duchamp (réservé aux célibataires)

    et enfin (c’est plus difficile) :

    Devenir commissaire d’exposition comme Laurent Fabius.

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  • Deux vide greniers à Rouen ce dimanche, courte hésitation pour savoir si nous commençons par celui du quartier de la Madeleine ou celui du quartier Jouvenet mais comme les années précédentes celle qui me tient la main et moi prenons le chemin du premier cité, empruntant une rue du Gros déserte, il n’est que sept heures.

    Près de la Préfecture, la fourrière est en pleine action emportant voiture sur voiture. Après ce ménage radical qui n’est pas du goût de tout le monde (un riverain éméché se venge en assourdissant le quartier de sa musique barbare), les déballages se font sous un léger soleil qui annonce une belle journée d’automne.

    Belle et profitable pour elle comme pour moi, la voilà bientôt nantie d’une montre d’enfant et de quelques livres et me voilà bientôt chargé de pas mal d’ouvrages dont Madeleine Novarina, l’hommage que Sarane Alexandrian écrivit pour sa femme après la mort de celle-ci, publié en mil neuf cent quatre-vingt-douze aux Editions de l’Amateur (et que j’achète pour raison de hasard objectif), le Raoul Dufy de Raymond Cogniat (Flammarion), Primo Levi ou la tragédie d’un optimiste de Myriam Anissimov (JC Lattès), deux rares textes : Le Taxi de Violette Leduc (Gallimard) et Suite villageoise de Louis Calaferte (Hesse), et celui qui me fait le plus plaisir Histoire de l’insolite de Romi, coédité en mil neuf cent soixante-quatre par Pont Royal del Duca et Robert Laffont avec une préface de Philippe Soupault.

     Ravis d’avoir fait le bon choix, nous nous mettons en route par les boulevards pour rejoindre le lointain et haut perché vide grenier du quartier Jouvenet.

    Les exposant(e)s s’y concentrent en une seule rue pentue où il y a foule de gens comme il faut, la plupart pas là pour acheter mais pour se faire voir, parler avec leurs semblables, regarder ce que vendent leurs voisin(e)s, se vanter, échanger des sourires hypocrites, se répandre en banalités dans une langue exotique  (« Mon petit bonhomme vient d’avoir quatre ans. », « Une bonne amie m’a fait la joie de m’apporter une tasse de café. »).

    Que vend-on quartier Jouvenet? Des objets de déco et des fringues de marque, côté livres : ses lectures lamentables et côté cédés : ceux qu’on a trop écoutés : Carla Bruni et Raphaël. Malgré tout, celle qui m’accompagne trouve une monographie de Van Eyck et moi-même, au stand d’une association, les Confessions de Paul Verlaine dans l’édition Collection Capitale, qu’autrefois (il y a vingt ans) la Mairie de Paris offrait gratuitement à qui achetait cent cinquante francs de livres.

    Bien fatigués d’avoir tant marché avec de lourds sacs pour si peu trouver, nous pestons en redescendant contre ces bourgeux et ces bourgesses. Je lui dis que l’an prochain nous les visiterons en voiture.

    Après quelques courses au Clos Saint-Marc, nous récupérons en déjeunant dans le jardin ensoleillé avec en apéritif la visite de l’insolite magnifiquement illustré de Romi.

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  • Je lis maintenant, en terrasse au Son du Cor, puis dans la salle d’attente du kinésithérapeute, Peau d’ours paru chez Gallimard dans la collection  L’Imaginaire, ouvrage qui regroupe les dernières notes d’Henri Calet, écrites avant que ne le tue une maladie de cœur, qui s’achève ainsi :

    C’est sur la peau de mon cœur que l’on trouverait des rides.

    Je suis déjà un peu parti, absent.

    Faites comme si je n’étais pas là.

    Ma voix ne porte plus très loin.

    Mourir sans savoir ce qu’est la mort, ni la vie.

    Il faut se quitter déjà ?

    Ne me secouez pas. Je suis plein de larmes. 

    Les dernières années de sa vie sont compliquées : père d’un enfant en bas âge, quitté par sa femme, partagé entre plusieurs maîtresses, sans le moindre sou, il doit reprendre un travail de bureau qui ne l’enchante guère et dont il démissionnera vite, non sans avoir pris des notes sur le sujet. Il me plaît d’en regrouper une partie :

    L’homme disparaît dans sa fonction, tout en surface : Directeur. Secrétaires. Administrateurs. Garçons de bureau.

    Ils cherchent tous à se persuader qu’ils sont « quelqu’un ». Ils n’existent qu’au bureau ; ils ne sont rien dans la vie, ni chez eux : des employés. Pas de téléphone, tandis qu’ici on téléphone au loin, on a une dactylo, on commande…

    Ces gens n’ont pas de vie propre, ils ne s’appartiennent pas. Il n’est pas sûr qu’ils en souffrent.

    Voués au bureau : huit heures et deux heures d’autobus.

    Le reste (l’essentiel), on ne s’en occupe que par raccroc.

    En prison parmi des choses qui ne m’intéressent pas, qui ne comptent pas –les gens eux-mêmes n’existent plus.

    On vous apprend à ne plus être, vous êtes un pauvre type, on vous contredit, on vous commande, vous ne pouvez plus avoir raison.

    Soumis, polis envers les supérieurs.

    Arrogants envers les autres : éconduire les représentants désespérés.

    Le soir, on rentre fatigué –soucis de bureau- pour retrouver les soucis domestiques, reprendre la discussion au point où on l’a laissée le matin (ou à midi). Et pour finir : dialogue injurieux.

    Henri Calet est mort le quatorze juillet mil neuf cent cinquante-six à l’âge de cinquante-deux ans.

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  • Ces drôles bien habillés qui se roulaient dans la poussière autour d’un gâteau d’anniversaire dans ce parc parisien, heureusement que je ne travaille plus sinon je n’aurais pu les supporter, pour elle c’était comme un avant-goût de ce qui l’attend, ayant troqué cette année une très vieille dame contre deux enfants en bas âge pour prix d’une chambre gracieusement mise à disposition dans la capitale, et songeant au travail, je lui dis que je viens de lire chez Cioran dans Sur les cimes du désespoir qu’il écrivit en mil neuf cent trente-trois à l’âge de vingt-deux ans s’il faut en croire sa préface (le livre fut publié bien plus tard en France aux Editions de L’Herne et j’en ai l’édition de poche Biblio), quelques piques contre la besogne organisée que je recherche pour les noter à mon retour à Rouen.

    Ceci : Le travail : une malédiction, que l’homme a transformée en volupté. Oeuvrer de toutes ses forces pour le seul amour du travail, tirer de la joie d’un effort qui ne mène qu’à des accomplissements sans valeur, estimer qu’on ne peut se réaliser autrement que par le labeur incessant –voilà une chose révoltante et incompréhensible. Le travail permanent et soutenu abrutit, banalise et rend impersonnel.

    Et ceci : Comme j’aimerais que tous ces gens occupés ou investis de missions, hommes et femmes, jeunes et vieux, sérieux ou superficiels, joyeux ou tristes, abandonnent un beau jour leurs besognes, renonçant à tout devoir ou obligation, pour sortir dans la rue et cesser toute activité ! Ces gens abrutis, qui travaillent sans raison ou se gargarisent de leur contribution au bien de l’humanité, trimant pour les générations à venir sous l’impulsion de la plus sinistre des illusions, se vengeraient alors de toute la médiocrité d’une vie nulle et stérile, de cet absurde gaspillage d’énergie si étranger à tout avancement spirituel.

    Je veux bien croire que Cioran a écrit cela à vingt-deux ans. Je m’explique moins qu’ayant écrit cela et bien d’autres choses dans Sur les cimes du désespoir, on le retrouve trois ans plus tard fleuretant avec la Garde de Fer et écrivant dans La Transfiguration de la Roumanie : Les Hongrois nous haïssent de loin tandis que les Juifs nous haïssent du cœur même de notre société et Le Juif n’est pas notre semblable, notre prochain, et, quelle que soit l’intimité entretenue avec lui, un gouffre nous sépare.

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  • La porte est ouverte chez Templon, côté galerie principale, et nous y sommes seuls avec la série Nowhere Man d’Iván Navarro, artiste chilien qui a grandi sous la dictature de Pinochet et vit désormais à New York. Sur tous les murs, des sportifs sont en pleine action, inspirés des pictogrammes des Jeux Olympiques de Munich (dus au graphiste allemand Otl Aicher) et réalisés avec des néons standard (cercles et bâtons) tout en respectant les proportions idéales de Léonard de Vinci, des hommes de nulle part, rendus anonymes par la pratique sportive. Iván Navarro, m’apprend le communiqué de presse, est « hanté par les questions de pouvoir, de contrôle et d’emprisonnement physique ou psychologique ». Cela me plaît bien, plus qu’à elle qui me demande de la faire tourner vertigineusement et après que ces sportifs se sont animés nous traversons la rue.

    Toujours chez Templon, galerie secondaire, nous sommes saisis par l’installation de Sudarshan Shetty, artiste indien exposé pour la première fois en France : un immense cube réalisé avec des centaines de petits Taj Mahal métalliques vissés les uns dans les autres. Nous pénétrons à l’intérieur, elle sans mal, moi me cognant la tête, où une vidéo montre ce même Taj Mahal régulièrement détruit par le feu. Allongée sur le sol, elle me photographie multiplié par des miroirs. Deux autres œuvres de Sudarshan Shetty, qui entend dénoncer « le mercantilisme et les dérives de la modernisation fulgurante » de son pays, sont également présentées, moins impressionnantes. Elle laisse son adresse mail à la jolie et sympathique hôtesse afin d’être invitée au prochain vernissage et nous prenons le chemin du Marais.

    Rue du Temple, nous pénétrons dans le luxueux hôtel particulier où se cache la Galerie Marian Goodman afin d’y voir les travaux récents d’Annette Messager, au rez-de-chaussée : A corps perdu (deux mille neuf) grande installation composée de tirages photographiques noir et blanc tirés sur toile de spi et recouverts de tulle noir qui se soulèvent et s’affaissent, chacun commandé par un programme informatique, pour laquelle l’artiste a utilisé des photos de gens qu’elle a perdu de vue (en contrepoint, au pied d’un mur, isolé, gît un noir Cœur au repos), au sous-sol : Et range ta chambre (deux mille sept- deux mille neuf) installation imposante composée d’éléments divers, sur deux murs des cordelettes noires servent de support à une multitude de badges réalisés par l’artiste avec sa propre machine à badges à partir de ses dessins et photographies tandis que des objets de skaï noir gisent au sol dans le plus grand désordre, inquiétante chambre d’enfant qui est tout à fait à notre goût.

    -C’est vraiment bien ce que l’on voit aujourd’hui, me dit-elle.

    Un point de vue que je partage, tout comme la déconvenue qui suit. Rien ne nous plaît rue Vieille-du-Temple chez Yvon Lambert et Xippas, même pas envie de se souvenir du nom des artistes. Nous décidons qu’on en a assez vu. Je l’emmène à l’Institut Culturel Suédois où, malheureusement, les tables de la cour intérieure sont toutes occupées. C’est la terrasse du Sévigné, à l’angle des rues Payenne et du Parc Royal qui nous accueille le temps d’une limonade de la Vierge et puis nous allons prendre le soleil dans un parc voisin où des moutards et moutardes de bonne famille fêtent un bruyant anniversaire. Par le bus vingt-neuf, nous arrivons juste à temps à Saint-Lazare.

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  • Mercredi c’est avec elle que je vais à Paris. Station Châtelet, nous nous séparons. Elle va vers ses deux heures de cours et moi vers les librairies du Quartier Latin où j’achète peu : les Notes sur l’affaire Dominici de Jean Giono (Folio Gallimard) et Les Années folles des maisons closes de Christian Marmonnier et Alex Varenne (Seven Sept), ouvrage complété d’un dévédé intitulé Les Films interdits des maisons closes, une anthologie de films clandestins dont la projection était interdite en public.

    Déjeunant d’un kebab rapide, je vais l’attendre à Beaubourg sans croiser ni Dominique de Villepin en route pour son procès ni la jolie Taiwanaise qui s’occupe à embrasser une centaine d’hommes choisis au hasard.

    Elle arrive, grignote quelques fruits, va chercher dans les entrailles de l’Ircam un café pour moi et un chocolat pour elle puis fume une indispensable cigarette.

    Bientôt, nous sommes au dernier étage du Centre Pompidou où s’ouvre aujourd’hui l’exposition La Subversion des images (Surréalisme, photographie, film), laquelle prend place dans un espace de neuf salles dont le plan est un œil, un évènement qui me fait forcément songer à Sarane Alexandrian.

    Le public est assez peu nombreux et c’est tant mieux car certaines des photos proposées sont des petits formats, qu’on ne peut voir que de très près. Nous découvrons aussi les photomontages, les collages et les courts-métrages de ces années vingt et trente où l’imagination prenait le pouvoir.

    C’est la salle où se concentrent les œuvres érotiques qui nous retient : Jacqueline Lamba dans un aquarium, série de photos signées Rogé André, Erotique-voilée, la série de Man Ray dont le modèle est Meret Oppenheim et la série de poupées de Hans Bellmer Variations sur le montage d’une mineure articulée (Bellmer qui, après la prise du pouvoir par les nazis, revendiquait « la cessation de toute activité socialement utile », se consacrant à la fabrication de la fille artificielle).

    Il y a longtemps que j’ai prévu de passer cette journée à Paris. Jamais je ne pensais la partager avec celle qui me tient la main, et plus que ce que nous voyons ensemble, c’est d’être avec elle qui me plaît. C’est ce que je lui dis en redescendant par la chenille, avant de nous diriger vers chez Templon.

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  • Dimanche soir, moi exténué, et elle qui doit se lever à quatre heures du matin pour rejoindre Paris avec un train qui s’arrête partout, nous parlons des livres achetés au Quai aux Livres. Evoquant Comment j’ai écrit certains de mes livres de Raymond Roussel, je lui dis que je n’aurai sûrement pas le temps de le lire. Elle me demande pourquoi et je lui dis que ce n’est pas une de mes priorités, que le temps m’est forcément compté et que j’ai déjà trop de livres à lire empilés dans l’escalier.

    -Ça te fait peur ? me demande-t-elle.

    -Bien sûr.

    -Alors arrête d’en acheter.

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  • Sitôt remis du Quai aux Livres rouennais, je reprends la voiture pour aller à Bihorel où cette année le vide grenier se tient au plateau des Provinces. C’est le cas un an sur deux. L’autre année, c’est au centre ville.

    C’est-à-dire un an chez les pauvres, un an chez les riches. Chez les riches déballent des riches et des pauvres et achètent surtout les pauvres. Chez les pauvres ne déballent que les pauvres et n’achètent que les pauvres. Peu d’espoir donc ce dimanche de trouver quelque livre ou cédé de choix d’autant que je n’y suis qu’à quatorze heures.

    Cependant je ne repars pas bredouille, apercevant, bien en évidence mais n’ayant retenu l’attention de personne, Les Monstres de Martin Monestier que je possède déjà dans l’édition récente du Cherche Midi et qui est là dans celle plus ancienne de la maison Tchou. La famille qui le vend est en plein repas. Le chef d’icelle sans quitter son sandouiche m’en demande deux euros, un prix que je ne juge pas utile de contester.

    Cet ouvrage consacré aux monstres humains, abondamment illustré, sera pour celle qui doit me revenir en fin d’après-midi.

    Obèses, maigres, manchots, culs-de-jatte, hommes troncs, barbus, poilus, géants, nains, hermaphrodites, hommes à queue, hommes et femmes à cornes, albinos, hommes à tête d’oiseau, polyphages, hommes-ruminants, femme-jument, femme-tête de mule, femmes-chameau, femmes-ours, femme-hyène, homme-limace, hommes-machines, monstres doubles, monstres artificiels, sans oublier le monstre qui est en nous, il y a de quoi lui plaire.

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  • Foin des Journées du Patrimoine et de ses Dessous rouennais (de moins en moins affriolants), celle qui arrive de Marseille est là et nous nous préférons à toute activité extérieure ce samedi, mais dimanche matin pas question de manquer le Quai aux Livres le long de la Seine où sont amarrées de très nombreuses péniches dont l’une baptisée Millenium. La voiture garée sur le quai haut, nous sommes à pied d’œuvre (comme dit le maçon) dès sept heures, autant dire avant l’arrivée de la plupart des vendeurs et vendeuses.

    Ce qui nous donne le plaisir d’assister à l’installation des stands, notamment de ceux des associations de charité, certaines presque uniquement composées de femmes retraitées qui se chamaillent comme moutardes dans une cour de recréation (« Je ne sais pas ce qui s’est passé, j’ai dit à Ginette de mettre les policiers sur la table et pas sous la table et elle a dit que puisqu’on l’écoutait pas, elle s’en allait et elle est partie »), d’autres (Lions Club, Rotary Club) presque uniquement composées d’hommes arrivés là dans des voitures luxueuses (et je me demande pourquoi ils choisissent de perdre leur dimanche à gagner six euros six sous avec leurs vieux bouquins alors qu’il leur serait si facile de sortir leur chèquier pour obtenir la même somme, de secourir leurs pauvres sans même que leurs comptes en banque en souffrent ; ah oui, je me souviens, ils doivent gagner leur place au paradis). S’installent aussi des professionnel(le)s de l’édition qui revendent à prix réduit les livres qu’ils ont eus gratuitement, des bouquinistes délaissant pour une fois le marché du Clos-Saint-Marc et des particuliers qui ont besoin d’argent ou dont la bibliothèque déborde.

    C’est avec une jeune femme qui affiche ses livres « à prix d’ami » que je fais ma première affaire (après m’être accroché avec une vendeuse du Secours Populaire qui peste contre les acheteurs qui lui sautent dessus avant que les livres ne soient installés). Beaucoup d’autres acquisitions suivent pour elle comme pour moi. Ce qui nous amène une fois parcouru deux ou trois fois l’ensemble de l’imposant déballage à déposer un premier sac plein dans la voiture.

    Il lui faut alors rentrer pour préparer son retour dans la capitale. Je poursuis seul l’exploration des piles de livres, remontant lentement l’ensemble des exposant(e)s et trouvant de quoi faire de nouveaux achats.

    Parmi ces vendeurs et vendeuses de livres, un étrange quatuor est assis derrière une longue table sur laquelle ne sont posés que quelques ouvrages neufs. Il s’agit d’auteurs autoédités qui espèrent séduire le chaland. Rien de pire pour qui veut être écrivain que de se publier soi-même. C’est la déconsidération assurée (bizarrement, il n’en est pas de même pour qui autoproduit un cédé ou un film). Je reconnais parmi ces quatre un client sporadique du Son du Cor où je me souviens l’avoir entendu dire fièrement « Mon livre est paru et bientôt j’en publierai deux autres ». Je sais que ses parents ont de l’argent et tout s’éclaire.

    Lorsque je rentre chez moi, je constate qu’il est plus de midi. Je viens de passer cinq heures au Quai aux Livres et mon butin est éclectique. En témoignent, entre autres, les trois volumes d’Auschwitz et après de Charlotte Delbo (Minuit), le Journal d’Hélène Berr (Tallandier), Une canne à pêche pour mon grand-père de Gao Xingjian (L’Aube poche), Peau d’ours d’Henri Calet (L’Imaginaire Gallimard), Les Grandes Blondes de Jean Echenoz (Minuit poche), Comment j’ai écrit certains de mes livres de Raymond Roussel (Dix/Dix-huit), Blaise Cendrars, biographie signée Miriam Cendrars (Balland) et les Lettres choisies de Jack Kérouac (Gallimard).

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