• La semaine dernière, je me décide enfin à offrir à l’un de mes lecteurs la collection de La Hulotte (la revue la plus lue dans les terriers) ayant appartenu à mon frère Jacques. Je n’en faisais rien et je sais que lui en fera quelque chose.

    Le jour de la remise en main propre (comme on dit), il arrive avec moult légumes de son jardin, un pot de confiture de framboise et des chocolats pour le café. Bien embarrassé, je le remercie maladroitement et nous discutons de ceci et de cela.

    Dimanche, dès que celle qui me rejoint le ouiquennede arrive, nous nous mettons à l’épluchage des pommes de terre, des panais et des topinambours, laissant de côté le gros fruit blanc en forme de soucoupe volante, car ni elle ni moi ne savons ce que c’est, ni comment l’éplucher, encore moins comment le faire cuire.

    Pourtant, j’ai eu un jardin au Bec-Hellouin, un grand jardin en pente dans lequel je me suis épuisé pendant quatre ou cinq ans avant de l’abandonner puis d’en confier une partie à deux professeures homosexuelles vivant dans une maisonnette au bord du ruisseau.

    Ce temps que j’y ai passé, cette fatigue pour retourner la terre à la main, semer, planter, désherber, récolter et encore faire des quantités de conserves faute de congélateur. Tous ces arbres fruitiers que j’y ai plantés et dont profite aujourd’hui je ne sais qui.

    Comment expliquer cela : j’étais marié et je fréquentais régulièrement les écologistes de l’époque, ceux de la deuxième moitié des années soixante-dix, ne s’associant pas au deuxième tour des élections avec les pronucléaires.

    Je me souviens des réunions à Rouen avec le Ger (Groupe Ecologiste Rouennais) qui avait à sa tête un certain Tchang et pour local un simple garage. Elles se déroulaient dans un triste restaurant végétarien. J’étais là comme responsable pour le département de l’Eure de l’Apri (Association pour la Protection contre les Rayonnements Ionisants). Le plus souvent, je m’emmerdais.

    Un jour, j’en ai eu vraiment assez du mariage, des écolos et du maraîchage. J’ai tout largué, vendant en lot pour un prix dérisoire mes outils de jardinage. Quand j’y repense, comme ce dimanche en épluchant des légumes du jardin, je me demande comment j’ai pu faire ça, m'éreinter ainsi sur la terre, si ce n’est pas dans une autre vie, heureusement finie.

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  • Je grimpe les marches du Musée des Beaux-Arts de Rouen juste après la drache jeudi vers dix huit heures trente en haut desquelles un trio composé de deux beauzarteuses et d’un beauzarteux se heurte à l’intransigeance d’un employé. Ces jeunes gens n’ont pas de carton d’invitation. J’ai une place de libre sur le mien. Je la propose mais ce trio est insécable.

    Finalement la détermination de l’employé fléchit et tout le monde entre. L’une des demoiselles me remercie néanmoins, m’appelant monsieur, ce qui n’est pas sans m’irriter.

    Je songe au jour où je disais à celle qui n’est pas avec moi que l’on sait qu’on est vieux le jour où une fille à qui on adresse la parole vous répond en vous appelant monsieur, et elle me rétorquant :

    -Tu crois qu’on ne m’a pas encore appelée madame ? C’est pire pour les femmes.

    Je ne peux que lui donner raison. Je dépose mon parapluie mouillé au vestiaire puis me mêle au gratin qui attend.

    -Ah, mais zut, y a plus de places assises, se plaint l’une que l’on appelle madame depuis plus d’un demi-siècle.

    -J’ai le sentiment que c’est fermé, s’inquiète un autre se dirigeant vers la porte de la salle où sont exposées les peintures de Geneviève Asse pour lesquelles nous sommes ici ce soir.

    C’est plus qu’un sentiment. Il faut d’abord écouter les discours. Que dire de celui de Madame le Maire ? C’est comme d’habitude, de l’emphase, de l’emphase et de l’emphase. Elle qualifie Geneviève Asse de grand peintre du vingtième siècle (est-ce un compliment ?) puis passe à plus sérieux : le formidable Festival Normandie Impressionniste de l’année prochaine qui sera « le centre des événements culturels de deux mille dix ». Applaudissements, dont je m’abstiens. Prend la suite Laurent Salomé, directeur de la maison. Il parle de son émotion d’exposer en ce lieu un peintre traçant continûment son chemin depuis soixante ans.

    -Soixante-sept, corrige Geneviève Asse, petite dame à cheveux blancs et au doux regard bleu.

    Buffet ou visite ? J’opte pour le premier, champagne et petits fours, impossible cependant de choper un macaron, attendant que ça se calme pour aller voir les œuvres et demandant à Laurent Salomé pourquoi Geneviève Asse présentée sur le dépliant comme l’un des plus grands peintres vivants n’a pas la renommée de Pierre Soulages, à quoi il me répond que d’abord c’est une femme et que ça peut jouer et surtout, et je sais bien que cela se passe comme ça, qu’il ne suffit pas d’avoir du talent pour être renommé, qu’il faut aussi se faire valoir soi-même dans le milieu.

    -Geneviève, elle s’en fiche de tout ça, conclut-il.

    Je pose ma flûte et vais voir de quoi il retourne.

    Geneviève Asse a quitté la figuration dans les années cinquante du vingtième siècle, se livrant alors à des œuvres dites blanches auxquelles elle a malheureusement donné des titres redondants (Ouverture lumière, Transparence, Horizons, Porte blanche). Une facétieuse propose de renommer Cercle paysage, où l’on peut voir (reste de figuration) un soleil orange dans la brume, en « Impression, soleil couchant ». Au fil des ans, le blanc devient bleu, un bleu personnel qui trouve sa pleine expression dans la série des Stèles par laquelle se termine l’exposition, grands panneaux rendant hommage à des écrivains (dont Beckett et Segalen), en quoi je préfère voir des volets s’ouvrant sur un bord de mer breton.

    Je ne sais pas si Geneviève Asse fait partie des plus grands peintres vivants mais j’aime suffisamment ce qu’elle fait pour éventuellement y revenir, notamment à la lumière du jour, comme le conseille Laurent Salomé.

    Je rebrousse chemin, m’arrêtant devant les livres issus de la collaboration de l’artiste avec des poètes, l’un sur un poème neigeux et niaiseux d’Yves Bonnefoy et l’autre sur des poèmes de Sylvia Baron Supervielle. J’aime beaucoup celui-ci que je recopie sur mon carnet avant d’aller retrouver mon parapluie :

    marcher

    regarder la ville

    ni les heures

    ni les chaussées

    un pays glisse

    sur mon corps

    mais la mort

    le soutient

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  • Après avoir franchi la Deadline, je descends au sous-sol du Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris où s’épanouit la collection permanente surtout consacrée à la peinture. Elle bénéfice d’un nouvel accrochage et de peu de visiteurs et visiteuses ce dont je me réjouis. Même les petits groupes de moutard(e)s venu(e)s en visite commentée ne me dérangent pas.

    Quand je ressors, il pleut et pas qu’un peu. D’un coup de métro, je me retrouve au Quartier Latin. Sur le trottoir du boulevard Saint-Michel, malgré le temps contraire, je fouille dans les bacs à livres.

    Dans ceux des ouvrages à un euro de chez Joseph Gibert, je trouve de quoi me satisfaire : La danse des ombres heureuses, les premières nouvelles de l’indispensable d’Alice Munro (Rivages), Je m’appelle Anne, dit-elle, Anne Franck de Jacqueline van Maarsen, sous-titré Souvenirs de Jopie (Galaade), les mémoires de la meilleure amie, Lettres de Drancy (Taillandier), cent trente missives témoignant de l’arrestation, de l’internement et de la déportation des Juifs de France entre quarante et un et quarante-quatre et Vision du cloître au vingtième siècle, le catalogue de l’exposition des dessins de Mère Geneviève Gallois qui s’est tenue en deux mille huit au Musée National de Port-Royal des Champs.

    Cette bonne sœur artiste est pour moi une découverte et me voilà fort marri d’avoir raté par ignorance l’occasion de voir les originaux (ayant appartenu au collectionneur Paul Alexandre bien connu à Rouen). Je suis vraiment séduit par ses dessins qui sont dans la veine expressionniste et furent regroupés par elle sous le titre La vie chez les captifs volontaires.

    Ensuite, après un kebab rue Saint-Séverin, un café au Malongo de la rue Saint-André-des-Arts et une longue recherche de livres assez vaine dans les entrailles de deux des Mona Lisait, je me rends, toujours sous la pluie, au Centre Pompidou et découvre qu’il est fermé pour raison de grève (restriction de budget, employé(e)s partant à la retraite remplacé(e)s à moitié et autres actes de malfaisance sarkoziste).

    A partir de là, je vais à la dérive et échoue une heure et demie avant le train de retour pour Rouen au Couique de Saint-Lazare où je commence la lecture des nouvelles d’Alice Munro. Derrière moi, que je ne vois pas, un jeune couple est en conversation animée.

    Je n’entends pas ce qu’elle dit mais je ne peux l’ignorer lui, d’autant qu’il répète sans cesse les mêmes choses :

    -Pourquoi tu me parles mal ?

    -J’suis poli, j’suis d’accord pour bosser avec vous

    -M’appelle pas p’tite tête, c’est péjoratif.

    -Tu veux pas que je braque avec vous ?

    -Je sais c’que tu penses de moi, tu penses que j’suis une racaille, que j’suis un bouffon.

    -Tu crois que j’serai jamais un beau mec ?

    -J’ai envie d’être un caïd un jour.

    -Si t’as besoin de moi pour te venger de c’qui t’ont fait, j’suis prêt à aller en enfer avec toi, mais j’suis pas le petit Arabe de service.

    Je ne juge pas prudent de me retourner afin de voir à quoi ressemble ce garçon et je n’arrive pas à comprendre pourquoi il se répète ainsi, ni pourquoi elle supporte ça, jusqu'à ce que son téléphone sonne et qu’il explique à son correspondant qu’il a tourné toute la journée hier et que là il apprend son rôle pour demain.

    -Pourquoi tu me parles mal ? redemande-t-il et puis ça dégénère et il sort du texte :

    -Tu m’écoutes plus, tu comprends pas que j’ai besoin de toi ?

    J’entends un froissement de papier furieux, un « Allez viens, on se barre ! » et puis plus rien.

    Un peu plus tard, je disparais à mon tour par la sortie de secours.

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  • En haut des marches menant au quai de la gare de Rouen, je franchis, mercredi matin, le  barrage de contrôleurs qui empêche quiconque sans billet d’approcher du train, ce que la voix féminine descendue des cieux nomme en son jargon « une opération accueil embarquement qui ne remplace pas le contrôle qui sera fait à bord du train ».

    Dans celui-ci, qui me mène à Paris, je lis La génération qui a gaspillé ses poètes de Roman Jakobson (dans la petite collection Allia).

    Exécution de Goumilev, longue agonie spirituelle, tortures physiques insupportables, mort de Blok, privations cruelles et mort dans des souffrances inhumaines de Khlebnikov, suicides prémédités de Essenine et Maïakovski. C’est ainsi que les années 20 de ce siècle ont vu mourir, à l’âge de trente à quarante ans, les inspirateurs d’une génération, et pour chacun d’eux, la conscience d’une fin irrémédiable, avec sa lenteur et sa précision, fut intolérable, écrivait Jakobson en mil neuf cent trente, cependant que d’autres s’illusionnaient sur le communisme soviétique. Il parle surtout de Vladimir Maïakovski dans ce mince ouvrage, lequel écrivit :

    Je me demande de plus en plus souvent

    s’il ne vaut pas mieux mettre

    le point d’une balle à la fin de soi.

    Aujourd’hui

    à tout hasard

    je donnerai un concert d’adieux.

    Mon voisin, de l’autre côté du couloir, dort, un masque sur les yeux. Il lui manque celui contre la grippe pour être tout à fait élégant. Je ne suis toujours pas vacciné, n’envisage pas de l’être. D’autres y sont obligé(e)s ou le choisissent, de plus en plus. Même Paris Normandie s’en est aperçu, qui titre : « Vaccin antigrippe : les files d’attente s’allongent ». Je songe au journaliste tellement tenté par « Vaccin antigrippe : les queues s’allongent » et qui a dû y renoncer, et, de pensée fugace en pensée fugace, le train finit par arriver à Paris où je suis trop tôt devant le Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris.

    J’en profite pour me balader dans le quartier, visitant successivement la Cathédrale Américaine et les toilettes de parquigne Vinci, avenue Georges Vé (comme chantait Jacques Brel). A la sortie de ces dernières le Libération du jour est proposé gratuitement. Pourquoi payer en surface ce qui est gratuit en sous-sol ? me dis-je, emportant le journal. Je le lis assis à une table de la terrasse du bar encore fermé avec vue sur la Tour Eiffel. J’apprends que le dénonciateur sous ixe des prétendus terroristes de Tarnac s’appelle Jean-Hugues Bourgeois et qu’il dit, aujourd’hui, avoir raconté et signé n’importe quoi, obligé par la Police.

    A dix heures pile, les lourdes portes du Musée s’ouvrent pour laisser entrer une jeune femme, deux jeunes filles et moi-même. Tous quatre, nous franchissons la Deadline.

    Deadline expose, à l’initiative de Fabrice Hergott (directeur) et d’Odile Burluraux (commissaire), les dernières œuvres réalisées par des artistes conscients de leur mort prochaine. L’immensité des lieux permet à chacun(e) d’avoir sa grande salle. Je suis le parcours obligé : Martin Kippenberger (peintures expressionnistes tirées des photographies qu’il faisait de son corps naufragé), Absalon ( vidéos rageuses et appartement minuscule baptisée cellule dans lequel il faut entrer muni de guêtres ridicules), Hans Hartung (peintures à la sulfateuse réalisées depuis sa chaise roulante), James Lee Byars (reconstitution de l’espace recouvert de feuilles d’or où il s’allongea dans la Galerie Marie-Puck Broodthaers à Bruxelles, cinq diamants marquant les extrémités de son corps, autoportrait dans un cadre de bois doré circulaire où il n’y a rien à voir), Felix Gonzalez-Torres (je ne sais plus quoi), Joan Mitchell (visitée l’été dernier à Giverny, pas de mon goût), Robert Mapplethorpe (photos de nus de statues, autoportrait avec sa canne de marche à tête de mort), Chen Zhen (installations médicales troublantes), Gilles Aillaud ( peintures d’oiseaux en vol, qui ne me disent pas grand-chose), Willem de Kooning (sereines peintures colorées à la Matisse), Hanna Williger (photos Polaroïd agrandies de détails de son corps recouvert de tissu) et Jörg Immendorff (violentes peintures réalisées à partir d’une banque d’image et à l’aide d’assistants, série de singes en bronze portant des prénoms d’artistes).

    Quelque part sur un mur s’imprime L’Expérience de la mort, poème de Rainer Maria Rilke :

     Nous ne savons rien de ce départ qui ne partage rien/ avec nous. Nous ne devons ni haine/  ni admiration, ni amour à cette mort, rien/ qu'une bouche de masque tragique/ étrangement déformé. Le monde est rempli encore/ des rôles que nous jouons

    Il règne en ce Musée un silence de morgue. C’est que nous sommes si peu dans les vastes salles. « Mort » n’est pas le mot juste, conclut Daniel Oster d’une citation tirée de Rangements. Il sait de quoi il parle, lui-même étant mort en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf à l’âge de soixante ans.

    Martin Kippenberger (quarante-quatre ans), Absalon (vingt-neuf ans), Hans Hartung (quatre-vingt-cinq ans), James Lee Byars (soixante-cinq ans), Felix Gonzalez-Torres (trente-neuf ans), Joann Mitchell (soixante-sept ans), Robert Mapplethorpe (quarante-trois ans), Chen Zhen (quarante-cinq ans), Gilles Aillaud (soixante-dix-sept ans), Willem de Kooning ( quatre-vingt-treize ans), Hannah Villiger (quarante-six ans), Jörg Immendorff (soixante-deux ans) : cancer, sida, vieillesse, cancer, sida, cancer, sida, anémie, avécé, vieillesse, insuffisance cardiaque, sclérose latérale amyotrophique.

    Je ressors par une porte tout juste entrouverte.

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  • Ce mauvais livre, Microfictions de Régis Jauffret, m’amène à reprendre dans ma bibliothèque l’excellent livre de Félix Fénéon Nouvelles en trois lignes dans son édition de poche Biblio.

    Félix Fénéon fut employé au Ministère de la Guerre, par ailleurs anarchiste, collaborateur de L’Endehors et de nombreuses autres feuilles libertaires, faussement accusé dans l’affaire de l’attentat contre le restaurant Foyot et découvreur et zélateur, contre l’avis dominant, des écrivains et peintres importants de son époque.

    Lorsqu’il fut chargé par Le Matin, à partir de mai mil neuf cent six, des « Nouvelles en trois lignes » (brèves qui relataient les faits divers du jour), il se fit un plaisir de les subvertir. Cela donne des choses comme ça :

    Madame Fournier, M. Voisin, M. Septeuil se sont pendus : neurasthénie, cancer, chômage.

    L’amour ne veut décidément pas rester tranquille. Emile Comtet, 25, rue Davy, a percé de son couteau le sein de sa femme.

     A discuter avec le jardinier Jeannot, d’Ivry, le jardinier Buisson, de Paris, a reçu un coup de bêche sur le crâne.

    M. Colombe, de Rouen, s’est tué d’une balle hier. Sa femme lui en avait tiré trois en mars, et le divorce était proche.

    Marie Jandeau, jolie fille que bien des Toulonnais connaissaient, s’est asphyxiée hier soir dans sa chambre, exprès.

    Une bonne de 17 ans, Camille Simon, a été arrêtée à Saint-Mihiel pour sévices ayant causé la mort d’un enfançon.

    M. Abel Bonnard, de Villeneuve-Saint-Georges, qui jouait au billard, s’est crevé l’œil gauche en tombant sur sa queue.

    Douze ans de bagne à Portebotte : il avait tué au Havre cette folâtre Nini la Chèvre, sur qui il se croyait des droits.

    Allumé par son fils, 5 ans, un pétard à signaux de train éclata sous les jupes de Mme Roger, à Clichy : le ravage y fut considérable.

    Le sombre rôdeur aperçu par le mécanicien Gicquel près de la gare d’Herblay, est retrouvé : Jules Ménard, ramasseur d’escargots.

    C’est au cochonnet que l’apoplexie a terrassé M. André, 75 ans, de Levallois. Sa boule roulait encore qu’il n’était déjà plus.

    Jaloux comme un tigre, le comptable Varlot, d’Ivry, a quasi tué Mme Varlot, parce qu’elle avait quelqu’un dans son intimité.

    Congédié mardi par son patron, le 13-ans Godillot, de Bagnolet, n’aura pas osé reparaître au logis. Enfant, rentre : on t’y attend.

    M. Pierre de Condé a été arrêté à Craches, pour viol. Alcide Lenoux, qui était de la séance, a fui. Ces faunes ont 16 et 18 ans.

    Le soir, Blandine Guérin, de Vaucé (Sarthe), se dévêtit dans l’escalier et, nue comme un mur d’école, alla se noyer au puits.

    Rattrapé par un tramway qui venait de le lancer à dix mètres, l'herboriste Jean Désille, de Vannes, a été coupé en deux.

    Mme S…, de Jaulnay (Vienne), accuse son père de lui avoir détérioré ses trois filles. Le vieillard s’indigne.

    On n’a pas pendu la jeune Russe Lise Joukovsky, elle s’est pendue, et le parquet de Rambouillet permet qu’on l’inhume.

    Prends-en de la graine, Jauffret.

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  • Que faire de ce livre emporté à Marseille pour y être lu pendant que celle qui y était avec moi dessinait sur son ordinateur une nouvelle zone d’accueil pour un musée connu (un devoir de vacances). Oui, qu’en faire, quand au bout de quelques pages, on se rend compte que contrairement à ce que l’on croyait, c’est un mauvais livre, ce Microfictions de Régis Jauffret, que le lire est un déplaisir et une perte de temps.

    Microfictions regroupe cinq cents histoires, qualifiées de tragi-comiques, rangées par ordre alphabétique de titre. Au bout de six, j’en ai déjà marre de ces historiettes qui narrent de façon mécanique, sans le moindre talent stylistique, des situations de roman noir totalement improbables du genre de celle-ci (qui pourrait être la cinq cent-unième) : un père de famille se suicide dans la chambre pendant que dans le salon sa femme est tuée par la télé qui implose, que le garçon tue le chien à coups de marteau dans le jardin et qu’un voisin viole la fille dans le garage (pas le moindre intérêt). Chacune occupe une page recto verso.

    L’ouvrage a eu le prix France Culture Télérama en deux mille sept. Je l’ai acheté sans me méfier (heureusement au prix du vide-grenier), une bonne leçon pour l’avenir.

    Que faire donc de cet épais Folio Gallimard? Deux idées me viennent : arracher les cinq cents mauvaises histoires et les distribuer dans la rue ou banalement le revendre.

    Lire une seule de ces Microfictions c’est déjà trop, je ne veux pas faire cinq cents malheureux et malheureuses. Il n’y en aura donc qu’un(e), celui ou celle qui rachètera le pavé, ce gros lot indigeste signé Régis Jauffret (j’apprends qu’il est originaire de Marseille).

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  • Deux bons achats de livres cette semaine, d’abord chez Joseph Trotta puis au Rêve de l’Escalier, deux ouvrages qu’après un bon repas dominical, je feuillette attentivement avec celle qui me rejoint le ouiquennede.

    Le premier, publié en mil neuf cent soixante-dix-sept pour la Bibliothèque des Arts de Paris par l’Office du Livre de Fribourg s’intitule Le Chant de l’oreiller et est sous-titré L’Art d’aimer au Japon.

    On y voit tout ce qui a pu se faire en matière d’estampes érotiques et on y lit de larges extraits de la littérature de ce charmant pays, comme ce conte anonyme tiré du recueil Fujikusô :

    Au premier étage, la sœur fait la sieste. Son frère la regarde ; si charmé par le spectacle, il ne peut empêcher son « instrument » de durcir comme du bois. En vain essaie-t-il de l’apaiser ; il ne perd en rien sa vigueur.

    Incapable de se retenir, il monte à califourchon sur sa sœur et, doucement, fait entrer son « instrument ». Le plaisir est si grand qu’il le pousse jusqu’au fond.

    -Le diable t’emporte ! s’écrie la sœur qui se réveille. Sais-tu ce que tu fais ?

    Tout bouleversé, son frère répond :

    -Excuse-moi. Je me retire tout de suite.

    Mais, feignant de ne pas l’entendre, elle lui dit :

    -Le Ciel te punira davantage, si tu te retires.

    Un avertissement précise que la vente de ce livre était interdite aux mineurs de moins de vingt et un ans. Un autre, bien réjouissant, ajoute que : « Cet ouvrage est destiné exclusivement aux lecteurs intéressés pour des raisons scientifiques ou artistiques et connus comme tels par leur libraire. »

    Le second, publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix par Albin Michel, achetable par n’importe qui, quel que soit son âge, en l'absence de tout intérêt scientifique ou artistique, sans être le moins du monde connu de son libraire, est Japon intime, recueil de dessins de Toshio Saeki.

    Lequel est présenté en quatrième de couverture comme le digne descendant des maîtres anciens de l’estampe, fous de dessins cruels, grotesques et lubriques. De l’écolière possédée par l’esprit-renard au vieillard à la tête de phallus en passant par la nonne vicieuse, il y en a pour tous les fantasmes.

    Jean-Luc Fromental précise dans sa préface qu’après l’euphorie des années soixante qui avait placé Toshio Saeki sur le devant de la scène, « le retour du bâton puritain, qui frappe au Japon comme ailleurs, l’a rejeté dans l’ombre. »

    Les livres refermés, c’est sous la couette qui se poursuit notre dimanche japonais.

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  • Dans ma voiture, qui me rapproche de Saint-Etienne-du-Rouvray, vendredi soir, j’écoute France Cul, précisément la chronique de Thomas Clerc dans Le Rendez-Vous de Laurent Goumarre.

    Thomas Clerc y fait un portrait bien réussi de Jacno, le seul artiste au nom de graphiste, mort d’un cancer au début du mois à cinquante-deux ans, dont j’ai fait découvrir en cette fâcheuse occasion les chansonnettes en duo avec la délicieuse Elli Medeiros à celle que je retrouve demain Main dans la main, Oh la la, Je t’aime tant, des ritournelles en forme de message personnel que je suis capable d’écouter en boucle plutôt que de lire Claude Lévi-Strauss, autre décédé du mois, dont je n’ai rien à dire.

    « Je suis royaliste car il n’y aura jamais de roi » déclarait Jacno, le dandy pop, à qui on doit un titre en solo fort salutaire Le Sport : Votre médecin, votre pharmacien, peuvent vous aider à arrêter le sport.

    Je revois Elli dansant dans Les Nuits de la pleine lune d’Eric Rohmer et de là songe au Conte d’hiver du même Eric Rohmer. C’est ce film évoquant la pièce de Shakespeare qui précisément me mène ce soir au Rive Gauche à Saint-Etienne-du-Rouvray.

    Je me gare devant le théâtre et attend que l’on veuille bien ouvrir les portes. Une mère arrive avec ses deux filles :

    L’une : On va voir quoi déjà ?

    La mère : Shakespeare.

    L’autre : Ça dure combien de temps.

    La mère : Deux heures et demie.

    Les deux en chœur : Ah bon ?

    Shakespeare remplit doucement la salle. Devant moi, un quadragénaire a sur les genoux un livre illustré pour enfants paru chez Hatier Conte d’hiver et autre contes d’après Shakespeare. Il le lit cependant que d’autres branlotin(e)s, dont deux ou trois avec masque antigrippe Hache Un Haine Un sur le nez et la bouche, arrivent avec leurs professeur(e)s. Je ne sais pas qui tousse sans cesse pendant la représentation, heureusement loin de moi.

    Le Conte d’hiver est l’avant-dernière pièce écrite par William Shakespeare. Elle est donnée pour le festival Automne en Normandie dans la traduction de Bernard-Marie Koltès avec une mise en scène de Lilo Baur. Il est question de la jalousie. Cela commence en tragédie et finit en farce.

    La mise en scène est sobre et efficace avec jeux de panneaux coulissants et trouvailles sonores. Les comédien(ne)s assurent (comme on dit), jouant avec juste ce qu’il faut de distanciation pour faire vingt-et-unième siècle. Cela ne porte pas trop à la réflexion mais constitue une bonne recréation.

    Sur le chemin du retour, j’essaie de me souvenir de ce qu’Eric Rohmer dit et montre de la pièce de Shakespeare dans son Conte d’hiver à lui, puis, passant à nouveau par Les Nuits de la pleine lune, j’arrive chez Elli et Jacno songeant en même temps à celle qui arrive demain à quinze heures.

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  • Le soleil, jeudi, m’incite à aller m’asseoir en terrasse au Marégraphe où l’on ne m’a pas vu depuis longtemps. Un serveur place une table et une chaise exactement là où j’ai envie d’être puis m’apporte un café verre d’eau. Grâce au ciel (bleu), la musique qu’on y entend est une honnête salsa à faible volume, pas de quoi me gêner. J’achève la lecture de l’essai de Georges Picard De la connerie, en écoutant celles qui se disent à la table voisine :

    -Pour un mois de novembre c’est exceptionnel.

    -Oui, je disais, on revit, hein !

    -Si ça pouvait continuer comme ça jusqu’à Noël.

    J’écris sur la connerie, sans doute pour conjurer la mienne à travers l’évocation de celle des autres, écrit Picard. C’est aussi pour cela que je le lis, m’y croisant ici ou là, moins gravement atteint que les autres évidemment.

    Une question le laisse sans réponse claire : s’agglutine-t-on par connerie ou devient-on con parce qu’on s’agglutine ? Je sais, et lui aussi, qu’on peut très bien l’être tout seul.

    Ma lecture finie, après une courte attente parmi des tousseux et tousseuses, je fais connaissance avec mon nouveau médecin, ma nouvelle médecin, choisie après conseil de ma pharmacienne. Ma première impression est bonne. J’aime qu’elle soit directe et franche. Elle examine mon pied droit, où l’ongle du pouce entend me quitter cet automne. Ce n’est pas grave, il devrait repousser mais ce sera long, un an. Je lui demande si les pieds peuvent grandir au cours de la vie. Oui, mais dans ce cas les mains aussi et c’est une maladie grave. Je regarde les miennes, incapable de savoir si autrefois elles étaient moins longues.

    -Il n’y a que les oreilles et le nez qui grandissent pendant toute la vie, me dit-elle, avant de me laisser pour passer au prochain cas de grippe peut-être Hache Un Haine Un.

    Suivant son conseil, je maintiens mon ongle baladeur avec un adhésif puis me rend à l’Opéra où s’achève le cycle Philip Glass d’Automne en Normandie.

    J’ai une place correcte au premier balcon pour ce concert qui unit et alterne Satie et Glass, suis juste un peu inquiet du nombre élevé de branlotin(e)s cornaqué(e)s, pas loin d’un quart des sièges leur est dévolu à ma droite.

    Johannes Debus, directeur musical de la Canadian Opera Company, dirige les musicien(ne)s de l’Orchestre pour Mercure, poses plastiques en trois tableaux du premier puis pour la Symphonie numéro trois pour orchestre à cordes du second, décontracté. J’aime autant Satie que Glass et réciproquement.

    A l’entracte, plus que les quelques murmures lycéens, c’est mon vieux voisin rongeur d’ongles que je fuis, trouvant refuge en bout de corbeille parmi de vieilles dames dignes et silencieuses.

    Intéressante expérience de voir de près pendant la seconde moitié du concert celles et ceux que l’on a vus de loin pendant la première. Johannes Debus lance la musique composée par Erik Satie pour Entracte de René Clair (je me souviens de la bonne soirée en l’église Saint-Maclou avec Hélios Azoulay) puis le Quatuor Habanera (je me souviens de leur jeu subtil dans Comment Wang-Fô fut sauvé un après-midi au Théâtre Charles-Dullin) vient en renfort pour le Concerto pour quatuor de saxophones et orchestre de Philip Glass. Tout cela mérite beaucoup d’applaudissements.

    Ces deux-là, Satie et Glass, je ne m’en lasse pas et suis heureux que cette semaine Jeanne-Martine Vacher consacre, sur France Culture, son émission Les Vendredis de la Musique au répétitif américain, que j’écoute en faisant le récit de ce jour d’avant.

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  • Mardi après-midi, je demande à la billetterie de l’Opéra de Rouen s’il est possible d’échanger ma place pour le spectacle du lendemain soir contre une mieux située. J’apprends que non, ce n’est plus possible. Je proteste en vain. Rentré chez moi, j’envoie un mail à la responsable :

    « Disposant d'une mauvaise place pour le spectacle de mercredi soir, je viens de passer au guichet avec l'espoir de l'échanger contre une meilleure qui se serait libérée. On me dit que ce n'est plus possible. Jusqu'à l'an dernier ce l'était. Pouvez-vous m'expliquer ce qu'il en est? Avec mes remerciements. »

    Mercredi, juste avant de partir pour l’Opéra, je reçois la réponse suivante :

    « Afin de pouvoir changer votre emplacement dans la salle le soir d’un spectacle il ne faut pas faire éditer votre billet à l’avance. Nous avons la possibilité, lors de certaines représentations, effectivement de « replacer au mieux les billets  des entrées + » mais uniquement lorsqu’ils sont  réservés et non édités. En espérant avoir répondu à votre demande, cordialement. »

    Insatisfait, je m’assois au premier rang du deuxième balcon à la pire place que j’aie jamais eue dans cette maison. Aucun endroit pour mettre les genoux, une visibilité réduite par la barre anti suicide, le seul avantage est que je peux facilement lire le surtitrage car je suis perché plus haut que lui.

    Ce soir, La Compagnie Anonyme et l’Opéra de Lyon donnent pour le festival Automne en Normandie, un opéra de Philip Glass In the Penal Colony sur un livret de Rudolph Wurlitzer d’après la nouvelle éponyme de Franz Kafka. La mise en scène est de Richard Brunel, la musique de Philip Glass est des plus agréables à entendre (Emmanuelle Bobée, dans le livret programme, trouve qu’elle crée une atmosphère oppressante, je la trouve, quant à moi, enjouée et légère), c’est bien chanté par Stephen Owen (baryton-basse) et Michael Smallwood (ténor), de quoi être content mais putain qu’est-ce que j’ai mal au genou droit, autant que s’il était transpercé par les picots de la herse qui torture les corps de la colonie pénitentiaire.

    Je suis d’autant plus furieux que beaucoup de places sont restées libres à l’orchestre et au premier balcon. Pourquoi m’a-t-on refilé ce siège pourri ? Il est vrai que j’aurais pu tenter d’aller m’asseoir ailleurs mais je n’aime pas déranger mes voisin(e)s et pas envie de tomber sur la placeuse de Jouvenet qui me regarde de haut « C’est qui ce mal habillé qui entend avoir une meilleur place ? »

    J’applaudis comme il faut puis je réadapte mon genou à la marche en descendant prudemment les escaliers. Dehors, ce sont voitures ronflantes, coups de trompes, vociférations et agitation de drapeaux algériens pour cause de victoire en foute contre l’Egypte. Le nationalisme s’étale là dans toute sa crétinerie. Le foute porte la guerre comme la nuée porte l’orage, aurait pu dire Jaurès, me dis-je accablé.

    Ce vacarme m’est épargné dès la clé tournée dans ma serrure. Au matin, j’envoie un dernier message à la responsable de la billetterie de l’Opéra de Rouen :

    « Je prends note des nouvelles dispositions. Cela ne m'explique pas pourquoi ce qui était possible jusqu'à l'an dernier ne l'est plus. Hier soir à cause de cela, j'étais à une place exécrable et n'ai pas pu profiter correctement du spectacle alors qu'il y avait de très nombreuses places libres à tous les niveaux. Désormais, je ne ferai plus éditer mes billets en une seule fois, ce qui fait que je dérangerai la billetterie pour chaque spectacle. Avec mes regrets. Cordialement. »

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