•             Une affiche artisanale collée rue de la Champmeslé, le message est sans équivoque : « Viande=Meurtre ». Ce n’est pas signé mais je reconnais bien la griffe des partisans de l’écologie profonde. Ce sont eux aussi qui barbouillent les murs de peinture noire avec leur « Manger de la viande nuit gravement aux animaux » écrit au pochoir.

                Je côtoie parfois l’un de ces fondamentalistes dans un café de Rouen. Il est toujours à l’affût, cherchant quelqu’un(e) à catéchiser :

                -Tu sais, ce n’est pas gentil de manger les animaux, ils sont comme nous, il ne faut pas les tuer. Un jour, tu comprendras ça, toi aussi.

                Je ne pense pas que son amour des animaux englobe celui des rats, des mouches ou des puces et je ne l’ai jamais entendu s’interroger pour savoir si manger des végétaux ne nuirait pas gravement aux légumes.

                Les légumes, c’est sa nourriture exclusive, peut-être est-ce pour cela qu’il est tellement léthargique, pas loin de s’endormir à la fin de sa phrase.

                -Tu comprends, le monde évolue, tu dois évoluer toi aussi, il faut arrêter de tuer les animaux, ne plus être méchant et devenir végétarien.

                Je ne l’entends jamais parler d’autre chose et je fais tout ce que je peux pour l’éviter. Il a néanmoins un bon côté. Il me fait songer à mon prochain repas festif. Que mettre au menu ? Confit de canard, gigot d’agneau, entrecôte saignante ou pavé d’autruche ?  Je suis un animal carnivore et j’aime ça.

    Partager via Gmail Yahoo!

  •             C’est le hasard qui me fait lire à l’heure de la bombance Les beaux jours de ma jeunesse, ce journal écrit à Auschwitz et Plassow par Ana Novac et publié chez Folio.

                Je ne sais pas grand-chose d’elle, juste qu’elle est juive, née en Transylvanie, qu’avant les nazis et les camps elle a connu le régime fasciste en Roumanie puis après la guerre la dictature communiste toujours en Roumanie.

                Elle s’échappe en mil neuf cent soixante-huit et vit depuis lors en France. C’est cette même année qu’est publié pour la première fois, et en français, ce journal des camps d’extermination.

                La question que je me pose c’est s’il s’agit bien du texte tel qu’écrit dans les épouvantables conditions d’alors ou s’il a été revu par l’auteure lors de la publication. Rien ne me permet d’en décider. C’est que je suis époustouflé de la maturité de la demoiselle.

                Exemple : Vomir les Polonais, ça fait l’unanimité dans la baraque. Moi ce qui m’effraie, c’est l’unanimité. Aimer ou haïr en bloc, je n’y arrive pas, je n’y arriverai jamais, même pour les Allemands. Je suis nulle devant le bloc comme devant un tigre.

                Ou bien : Peut-être formons-nous une espèce nouvelle que l’histoire n’a pas encore consignée ; une découverte typiquement boche : entre l’être et la chose. Des attributs humains, il ne lui reste que la capacité de souffrir, plus exactement : une chose souffrante.

                Encore : Que je réponde donc brièvement à la question sur laquelle je reviendrai une autre fois peut-être : je n’écris pas pour moi, cela va sans dire. Puissent ces notes figurer parmi les témoignages, au jour du règlement de compte ! Mais serais-je ma seule lectrice, j’écrirais quand même ! Je me donnerais autant de mal pour trouver le mot le plus juste, le plus fort.

                Ana Novac écrit cela à quatorze ans, quasi nue, tondue, battue et affamée. Je la lis dans les cafés de la ville où à l’entour on ne se doute de rien.

    Partager via Gmail Yahoo!

  •             Ça m’arrive de ne pas avoir grand chose à raconter, alors que d’autres jours les sujets d’écriture se bousculent au point que je dois en laisser de côté, ne pouvant pas (ou ne voulant pas) passer tout mon temps à ça. Ainsi, il y a quelques semaines, je n’ai pu évoquer la soirée organisée par le Trianon Transatlantique, à Sotteville-lès-Rouen, où était invitée Annie Thébaud-Mony, l’auteure de Travailler peut nuire gravement à la santé paru aux Editions de la Découverte. C’était bougrement intéressant. Je suis même ressorti de là avec plein de symptômes inquiétants de maladies vraiment mortelles. Bien que je ne travaille plus.

                Hier, dans cette période d’entre deux fêtes où la vie ronronne, c’était un jour sans idée. Je m’en plains auprès d’elle.

                Elle me répond :

                -Tu n’as qu’à écrire quelque chose sur l’absence de Cy’clic dans les rues.

                Je bougonne. J’objecte que je ne vais tout de même par parler tous les jours de ces petits vélos rouennais. Puis, elle partie, je me rends à sa suggestion.

                Sébastien Bailly cite cette partie de mon texte sur Grand Rouen, ce qui me vaut vingt lecteurs ou lectrices supplémentaires et ce qui amène quelques commentaires chez lui. La plupart sont pour confirmer mon propos. L’un, signé Jean Le Pitre, me louange. J’aurais, écrit-il, « le don de rendre passionnant le thème “aujourd’hui j’ai mangé une pomme.” ». Je lis cela le jour où je rentre du marché avec dans mon sac des figues, des dattes et des abricots, tout un assortiment de fruits aussi secs que moi quand je n’ai rien à dire.

    Partager via Gmail Yahoo!

  •             Sa famille l’a enfin relâchée, elle arrive avec son grand sourire, jeudi un peu après midi, et je l’entraîne aussitôt jusqu’au Musée des Beaux-Arts pour fêter l’entre deux fêtes et surtout son retour. Il y a là depuis peu de quoi se restaurer grâce au Aimebéha « beautiful art and food », une émanation du restaurant Seize/Neuf installée sous la verrière dans la salle des sculptures.

                Elle choisit une salade accompagnée de tartines de saumon, j’opte pour un confit de canard, un petit vin rosé en carafe comme boisson, ensuite une pâtisserie en dessert, tout cela pour pas cher, car ici il n’y a pas de quoi faire de la vraie cuisine. Il n’empêche que c’est bien bon et que comme cadre agréable on ne fait pas mieux. Cela se sait, plus une place de libre, certain(e)s repartent déçu(e)s.

                Le soir, elle m’accompagne du côté du Robec et des bords de Seine pour découvrir quelques illuminations de Noël non encore vues. Nous croisons deux Cy’clic, les vélos en libre-service d’Albert (tiny), maire. C’est ainsi à chacune de mes sorties en ville, j’en croise un ou deux, jamais plus. Une énorme majorité de ces bicyclettes reste au parcage. Le Rouennais, être ingrat, semble bouder son cadeau de Noël.

    Partager via Gmail Yahoo!

  •             C’est mercredi, il est quatorze heures trente, je prends un café verre d‘eau au Socrate tout en commençant Les beaux jours de ma jeunesse d’Ana Novac, un livre publié chez Folio Gallimard et sous-titré « Le seul journal jamais sorti d’un camp d’extermination nazi ».

                France Trois Haute-Normandie est là avec sa grosse caméra. Toujours à la pointe de l’actualité, elle souhaite obtenir l’avis de la clientèle sur la très prochaine application de la loi interdisant de fumer dans les bars, cafés et restaurants.

                Les fumeurs et fumeuses sont interrogé(e)s les un(e)s après les autres. Je suis de leur côté, assis dans la zone fumeur, mais je ne fume pas. Aussi France Trois ne vient pas interrompre ma lecture pour s’enquérir de mon opinion.

                Je ne peux donc expliquer que j’apprécie les zones non fumeurs où se regroupent les familles bruyantes aux moutards insupportables, que je suis ravi de les éviter en me réfugiant près des fumeurs et des fumeuses (certaines très mignonnes par ailleurs).

                Comment vais-je survivre quand il ne me sera plus possible d’échapper à ces familles si contentes d’elles-mêmes dont la proximité nuit gravement à ma tranquillité ?

    Partager via Gmail Yahoo!

  •             Il y a quelques semaines avec pas mal d’autres, à l’appel du Réseau Education Sans Frontières, j’étais devant le Palais de Justice de Rouen pour soutenir Florimond Guimard, professeur des écoles à Marseille, poursuivi après avoir tenté d’empêcher l’expulsion d’un Sans Papiers.

                Accusé de « violence en réunion et avec arme » (l’arme étant sa voiture), il risquait trois ans de prison et quarante-cinq mille euros d’amende.

                Le vingt et un décembre, le verdit a été rendu. Florimond Guimard est relaxé.

                Voilà qui doit faire plaisir à Brice Hortefeux, ministre de l’Immigration et de l’Identité Nationale, et à son donneur d’ordres, l’ami des milliardaires et des dictateurs. Où est-il celui-là ? Il se prélasse en Egypte dans la Vallée des Rois. A sa place, en quelque sorte.

    Partager via Gmail Yahoo!

  •             Vive la mort qui amène celles et ceux dont quasiment personne ne se soucie en temps médiatique ordinaire sur le devant des écrans et en première page des journaux. Julien Gracq vient d’avoir son compte et chacun et chacune qui ne l’a jamais lu de l’encenser. En premier lieu le Tout Puissant de la République qui salue « un homme qui a cultivé au plus haut point les valeurs de la distinction et de la discrétion ». Il sait de quoi il parle, lui si distingué et si discret.

                Je n’ai jamais rien pu lire de Julien Gracq. J’ai dans ma bibliothèque deux de ses romans : Au Château d’Argol qui appartenait à mon frère mort et Le Rivage des Syrtes acheté récemment dans une vente de charité. L’un comme l’autre me tombent des mains. Comme me gavent les écrits de René Char, de Maurice Blanchot, de Michel Leiris et la plupart de ceux d’Henri Michaux, de tous ces écrivains qu’il est convenable d’encenser et de qualifier de plus grands écrivains français du vingtième siècle. Je dois avoir un défaut.

                Ce Julien Gracq par ailleurs me hérissait avec sa posture de pur écrivain retiré du monde littéraire, lui qui a changé son nom de Louis Poirier en un Julien Gracq plus vendeur et qui refusait de paraître en Livre de Poche mais pas dans La Pléiade

                Des morts de Noël, ce n’est pas lui que je vais regretter. Je préfère penser à Oscar Peterson dont je ne connais pas assez bien la musique et à Christian Bourgois qui m’a révélé tant d’écrivains depuis Boris Vian quand j’étais lycéen jusqu’à Antonio Lobo Antunes, Jim Harrison et bien d’autres, lui qui a eu le courage de publier en pleine tourmente intégriste Les Versets sataniques de Salman Rushdie, autre livre de ma bibliothèque qui me tombe des mains.

    Partager via Gmail Yahoo!

  •             Rouen, à l’Agora Café, place du Vieux Marché, un père (cinquante ans) et sa fille (vingt ans) :

                Elle :

                -Victor, pas de bonnet, il a déjà un bonnet.

                Lui :

                -Mais non, c’est bon, j’ai trouvé une écharpe en cache-mire pour lui.

                Elle :

                -Bon. Camille, j’achète rien parce que j’ai peur d’acheter la même chose que toi.

                Lui :

                -Et pour moi ? Tu as trouvé quelque chose pour moi ?

                Elle :

    -Bien sûr.

    Lui :

    -C’est chiant, mais qu’est-ce que c’est chiant !

    Elle :

    -Quoi ?

    Lui :

    -Noël.

    Partager via Gmail Yahoo!

  •             Dans la boîte à lettre, l’autre jour, un petit mot manuscrit me prévient :

                « Nous vous informons que ce mercredi dix neuf/douze, à l’occasion de la fin de nos partiels et de l’approche de Noël, nous organisons un dîner avec une vingtaine d’amis.

                Nous vous remercions par avance de votre compréhension quant aux éventuels dérangements que cela pourrait engendrer.

                Cordialement. »

                C’est signé Sophie et Marc, des voisins récents que je ne connais pas.

                En clair, cela signifie on va faire du bruit jusqu’à tard dans la nuit, mais comme on vous a prévenu…

                Et du bruit, ça en fait les fêtes dans ces appartements à pans de bois sans isolation phonique. Le bois y joue même le rôle de diffuseur du son d’un appartement à l’autre.

                J’en ai une nouvelle preuve en rentrant de l’Opéra vers vingt-trois heures. Bien que situé loin de cette fiesta, à l’autre bout de la diagonale qui traverse le jardin, je ne perds rien des réjouissances.

                Ils en sont à : Et glou et glou, il est des nôtres, il a bu son verre comme les autres.

                Ces fêtes étudiantes sont totalement prévisibles.

                Ne pourraient-ils pas, ces jeunes gens et jeunes filles en pleine possession de leurs moyens, varier un peu leurs plaisirs (et le mien) en essayant la prochaine fois l’orgie sexuelle ?

    Partager via Gmail Yahoo!

  •             Dimanche, jour de vente aux enchères, le matin on visite, l’après-midi on achète. Je suis, vers dix heures, rue de la Croix de Fer à l’intérieur de la Salle des Ventes des Carmes. Il y fait bien meilleur que dehors où ça gèle fort. Je suis venu voir un tableau de Suzanne Valadon Les Dames Rivière (estimé entre trente mille et quarante mille euros) avant qu’il ne soit vendu à un particulier qui le gardera pour lui ou à un musée peut-être lointain. J’aime bien la peinture de Suzanne Valadon qui commença par poser nue pour Degas, Renoir et Toulouse-Lautrec, fréquentait les lieux mal famés et fut l’amante d’Erik Satie.

                Son tableau vendu à Rouen représente deux fortes femmes assises devant de lourdes teintures. Ce n’est pas ce qu’elle a fait de mieux. Cependant, il se détache sans mal de ce qui l’entoure : une kyrielle de croûtes que l’on doit pour la plupart aux peintres de l’Ecole de Rouen. Presque tout cela a appartenu à feu Jacques Larcier, médecin, dont les choix en matière de peinture sont largement partagés par ses confrères et autres membres de la bourgeoisie bourgeoisante locale et régionale, de la mauvaise peinture sous-impressionniste pour laquelle sortent les carnets de chèques de tous ces gens aisés au goût douteux.

                Je repars avec le catalogue de la vente organisée par la maison Denesle et Frémaux Lejeune. Chez moi, j’en ôte la reproduction pleine page des Dames Rivière que je glisse dans un ouvrage consacré à Suzanne Valadon, l’une des admirations statufiées de Robert Tatin à Cossé-le-Vivien.

    Partager via Gmail Yahoo!





    Suivre le flux RSS des articles
    Suivre le flux RSS des commentaires