•             Sorti de l’Enfer de la Bibliothèque Nationale de France, je mange un sandouiche au poulet sous le soleil et sur un banc de l’esplanade voisine, tout en lisant Chroniques, la revue de cette Béhèneffe.

                Les deux commissaires de l’exposition Eros au secret y expliquent pourquoi elle est interdite aux mineur(e)s de moins de seize ans : C’« est une mesure de prudence prise par la Bibliothèque afin que quelque ligue de vertu ne puisse nous reprocher de pervertir la jeunesse. » Il et elle ajoutent  qu’ils savent que ces mêmes mineur(e)s en voient autant et même mieux sur Internet, puis trouvent un aspect positif à cette interdiction : « La notion d’interdit peut donner envie à ces adolescents de la transgresser. » et concluent que le catalogue est en vente libre, espérant qu’il se trouvera dans de nombreuses familles. Voilà qui est sainement raisonné, me dis-je, en descendant prendre le métro.

                Il est treize heures, ce mercredi, quand je ressors de terre, place du Châtelet. Il y a là une grande agitation policière, coups de sifflet hystériques, gestes nerveux pour faire passer les voitures au feu rouge et blocage des piétons de chaque côté du quai de la Mégisserie. Je me retrouve coincé avec ceux et celles qui veulent aller rive gauche.

                -Vous savez ce qui se passe ? me demande mon voisin.

                Je ne sais pas mais je le devine.

                -Je pense qu’une belle crapule va passer par ici.

                -Ah oui, me répond-il, je vois à qui vous pensez. Est-ce que l’autre crapule sera avec lui dans la voiture ?

                La circulation automobile est maintenant bloquée. Ça klaxonne de tous côtés. Les piétons s’agglutinent et commencent à râler. Pensant calmer la foule, un gendarme annonce le passage imminent de Kadhafi. Les quolibets fusent à l’encontre de celui-ci et du Tout Puissant de la République.

                Des sirènes se font bientôt entendre. Le convoi arrive à grande vitesse. Des motards, de nombreuses voitures de police et deux voitures blanches ouvrent la route. Ils sont suivis du paquebot blanc à roulettes dans lequel est vautré, seul, l’acheteur d’armes et de centrale nucléaire ; un carrosse ridicule, tout à fait le genre qu’affectionnent les rappeurs américains, mauvais goût et vulgarité.

                Le spectacle de cette obscénité ambulante n’est pas interdit aux moins de seize ans. Il y a là des enfants à qui leurs parents disent tout le mal qu’on peut penser de celui qui s’éloigne.

                Derrière lui, le dictateur a laissé une longue traînée de sang qu’effacent les balayeuses de la police (c’est du moins ainsi que je vois les choses).

                La voie est libre et l’air est à nouveau respirable. Dans un joyeux désordre automobile et piétonnier, je suis le flot de mes semblables.

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  •             Mercredi matin, par la ligne quatorze du métro, celle sans conducteur, je rejoins la Bibliothèque Nationale de France, dite aussi Bibliothèque du Mythe Errant, dont l’une des tours à la nuit est en ce moment barrée d’un grand Ixe rose Il gèle. Ça glisse sur la plate-forme en bois exotique. Des panneaux incitent à la prudence. Je suis prudent, et content de retrouver là, dans le jardin intérieur, les arbres de la forêt de Bord que j’ai bien connus quand ils étaient petits (et moi aussi), près de Louviers.

                Je suis là pour visiter l’exposition L’Enfer de la bibliothèque, Eros au secret, consacrée aux livres et images autrefois cachés dans les placards de la moralité publique et aujourd’hui exhibés dans une grande salle toute rose.

                La lumière feutrée oblige plaisamment le visiteur à jouer les voyeurs, je me penche sur les premières éditions de tous ces classiques de la littérature érotico-pornographique que je possède en édition de poche, c’est que les temps ont changé. Je m’attarde devant le manuscrit des Infortunes de la vertu du Marquis divin, redécouvert en Enfer par Guillaume Apollinaire qui a bien mérité de la littérature de mauvaises mœurs.

                Un espace est réservé aux pamphlets porno-politiques anonymes, genre aujourd’hui disparu, je découvre Le Tempérament amphibologique des Testicules de Mazarin avec sa médecine, les Fureurs utérines de Marie-Antoinette et Les Enfans de Sodome à l’Assemblée nationale ou Députation de l’ordre de la Manchette qui révèle le nom des députés homosexuels aux temps révolutionnaires, un bon exemple de délation.

                Une équipe de télévision arrive, menée par une jeune et jolie journaliste blonde. Celle-ci interroge Marie-Françoise Quignard, l’une de commissaires de l’exposition. C’est pour Vivolta, la nouvelle chaîne de Philippe Gildas, « destinée aux plus de cinquante ans aisés et en pleine forme », comme l’écrit Le Figaro. Je ne sais pas quand sera diffusé ce reportage. Si l’on y aperçoit, en arrière-plan, un obsédé de plus de cinquante ans, aisé et en pleine forme, qui prend des notes, c’est moi.

                Où en suis-je ? Contrairement à mon habitude, je lis les panneaux explicatifs et j’en retiens que Félicia, l’héroïne, à peine âgée de seize ans, d’Alain-Robert Andréa de Nerciat se livre à la débauche pour s’amuser et scandaliser l’univers, joli programme, que Juliette l’héroïne de Donatien-Alphonse-Francois de Sade y va carrément Je l’avoue, j’aime le crime avec fureur, lui seul irrite mes sens., ce qui me fait songer que je n’ai pas terminé de lire son histoire, j’ai fait une pause dans le deuxième volume.

                Il n’y pas que des livres dans cette présentation, fort heureusement. Je m’attarde devant de bien belles images, les photos obscènes d’Auguste Belloc (saisies par la police), les collections de Paul Caron, un ami de Michel Simon (grands érotomanes tous les deux), les estampes japonaises signées des plus grands noms (Hokusai, Harunobu, Utamaro), les estampes anonymes de la série Portes et fenêtres (il s’en passe des choses quand on les ouvre), les images anglaises à transparent obscène (j’appuie que le bouton et dans le dessin anodin s’éclaire une petite scène sexuelle).

                J’apprends qu’Eugène-Modeste-Edmond Le Poitevin n’est pas seulement un peintre de marine et de paysages délicats, mais aussi l’auteur d’un ouvrage de dessins bien cochons, publié anonymement, à Bruxelles, vers mil huit cent trente, Charges et décharges diaboliques par un concitoyen.

                J’essaie le phénakistiscope de Joseph Plateau (je fais tourner le disque, je regarde par les trous et que vois-je ? une tige bien raide qui va et qui vient dans un trou poilu).

                Je regarde avec plaisir les originaux des eaux-fortes de Félicien Rops et  des lithographies d’Achille Devéria que je connais déjà par leurs reproductions. Il y a là aussi des estampes de Victor Adam et des eaux-fortes en couleurs d’Edouard Chimot, il faut que je me renseigne sur eux.

                J’arrive vers les modernes, de bien belles éditions, le Petit traité de morale (Bellmer illustrant Sade), Le Mort de Bataille (illustré par Masson), Querelle de Brest de Genet (illustré par Cocteau) et les ouvrages publiés par René Bonnel, éditeur clandestin vers mil neuf cent vingt-cinq avec l’aide de Pascal Pia (Le Con d’Irène d’Aragon illustré par Masson, Le Verger des amours d’Apollinaire illustré par Foujita), ce téméraire Bonnel verra Les Couilles enragées de Péret, illustré par Tanguy, saisi par la police à l’imprimerie

                Ça et là sont disposés des couvercles rouges que je soulève pour y découvrir images ou manuscrits (Etonnante l’écriture ronde et enfantine de Pierre Louÿs qui est selon moi le roi du texte pornographique) et des cônes d’écoute où je glisse mon oreille pour y entendre des lectures de textes bien choisis (Pybrac de Pierre Louÿs et Automne de Louis Aragon)

                Dans un recoin, je regarde L’atelier Faiminette, film porno de l’an mil neuf cent vingt et un. Il s’en passe de belles chez les ouvrières. Près de moi, un ouvrier de maintenance et une employée de la bibliothèque discutent d’une rampe d’éclairage sans être autrement émus par ce qu’ils voient sur l’écran.

                Mais voici L’almanach des adresses des demoiselles de Paris, guide pratique pour client de maisons closes, datant de la Révolution. Certaines des pages sont reproduites sur l’un des murs roses, c’est plus facile pour lire et faire son choix. L’offre est vaste, je retiens quelques-unes de ces demoiselles :

                « Giraudin, carrée de la Porte Saint-Denis, ses bouches sont passablement grandes. Un louis. »

                « Gavaudan, cadette, rue Neuve Saint Eustache, numéro quatorze, pleine de tendres appas, difficile à émouvoir, mais une fois en train, c’est un diable. Dix louis. »

                « La Caille, rue Neuve Saint Eustache, des personnes recommandables par leur âge et leur expérience affirment qu’elle a été bien. Gratis. »

                « Maillard, rue d’Orléans, grande et vigoureuse personne, jolie toison, avale le plaisir à longs traits. Deux cents livres, la moitié comptant, le reste à terme. »

                Cette dernière, la jolie journaliste blonde de Vivolta l’aime bien aussi. Elle le dit à son homme de caméra.

                Evoquant la situation actuelle de la pornographie, un panneau conclut l’exposition : « Le leurre du « tout est permis », dans une banalisation du scandale, cohabite avec la menace moralisatrice qui pèse sur les sujets tabous comme le soupçon de pédophilie ou l’expression d’autres « déviances ». »

                Je suis bien d’accord avec ça. Aujourd’hui, s’il n’y a plus de livres interdits, c’est que l’autocensure fonctionne à plein, aucun éditeur contemporain n’est prêt à risquer la prison, la confiscation des biens, l’exil, que connurent ses courageux prédécesseurs.

                Je regarde ma montre. Tiens, cela fait plus de deux heures que je suis là !

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  •             Je termine la lecture des deux tomes de Choses vues, ce recueil de notes diverses prises par Victor Hugo entre mil huit cent trente et mil huit cent quatre-vingt-cinq. Mille huit cent pages qui vont de Hugo royaliste à Hugo républicain, écrivain prolixe, promoteur infatigable des Etats-Unis d’Europe, opposant permanent à la peine de mort, pourfendeur des régimes autoritaires, avec exil à la clé et moult rebondissements publics et privés.

                Souvent, Victor ne mâche pas ses mots : Ce gouvernement, je le caractérise d’un mot ; la police partout, la justice nulle part, écrit-il le huit avril mil huit cent cinquante et un. Cela me fait penser à quelque chose.

                Victor Hugo devenu républicain est toujours du côté des miséreux et des miséreuses. Il en aide certaines à sa façon, en leur rendant visite dans leur chambrette et en obtenant d’elles contre un petit secours financier quelques privautés sexuelles. Il note cela de façon cryptée dans ses carnets afin que Juliette Drouet, sa Juju comme il l’appelle, ne sache pas ce que son Toto, comme elle dit, fait derrière son dos.

                Pour ce faire, il transforme les prénoms féminins en noms propres (Maria devient Marriat), code les adresses de ses protégées, parle de « Suisse » (pays du lait) pour évoquer leurs seins, de « Poêle » quand il voit les leurs, d’ « Entorse » pour évoquer leur poitrine nue, de « Ravin »  pour désigner leur sexe. Un simple « n » souligné signifie que la jeune femme est nue. Victor se sert aussi du latin et de l’espagnol, selon les cas, pour entrer un peu dans les détails. Certaines semaines, pas un jour sans qu’il n’aille secourir de quelques francs une pauvresse.

                Nul doute qu’aujourd’hui, il serait sévèrement jugé par les partisans du correctement politique, c’est-à-dire par une énorme majorité de mes contemporains de ce début de vingt et unième siècle, et c’est précisément cela qui contribue à me le rendre sympathique.

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  •             A Rouen, ça se passe comme ça, sous la municipalité centro-sarkoziste. Quand il y a un dysfonctionnent sur la voie publique, c’est au bon peuple de le signaler par téléphone. Aucune ronde n’est systématiquement organisée par les services municipaux ou les sociétés privées sous-traitantes.

                En ce moment, c’est l’éclairage public qui laisse à désirer dans ma ruelle. Trois fois que j’appelle. Trois fois que c’est réparé puis que ça retombe en panne. A chaque fois, la dame que j’ai au téléphone, prend mon nom et mon numéro. Je vais finir par obtenir une médaille de bon citoyen.

                Qu’on ne la donne surtout pas à mes voisins, cette médaille. Pas un ne se bouge quand ça va mal dans le coin. Que ce soit panne ou graffiti, ils attendent tous qu’un abruti appelle. L’abruti, c’est toujours moi.

                Une fois, il y a quelques années, je sors de chez moi aux aurores avec mes bagages, partant en vacances. Je découvre sur un mur de la rue, fraîchement peinte, l’inscription « Mort aux juifs ». Je reviens une semaine plus tard. Le graffiti est toujours là. Ce qui signifie que pas un des employés municipaux (il en passe quand même, les balayeurs notamment), pas un touriste, pas un passant régulier, pas un habitant de la venelle, ne s’est indigné, n’a fait quoi que ce soit pendant sept jours pour aboutir à l’effaçage de cet appel au meurtre antisémite.

                Le lendemain de mon retour, j’ai appelé la dame qui prend en note mon nom et mon téléphone et l’inscription a été effacée dans la journée.

                Je n’en veux pas de la médaille du bon citoyen, Albert.

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  •             Quelque temps après l’arrivée sans surprise de la bière de Noël dans les bars et avant la mauvaise surprise du repas de Noël à la cantine, se tient le concert de Noël à l’Opéra de Rouen.

                Cette année, c’est le dimanche neuf décembre et le programme fait mention de la Cantate sur la mort de l’Empereur Joseph Deux de Ludwig van Beethoven et de la Missa in augustiis (messe pour un temps d’angoisses) de Franz Josef Haydn.

                C’est la fête, donc.

                La cantate est signée d’un Beethoven de pas encore vingt ans et n’a jamais été interprétée du vivant de son auteur, je la trouve plus que soporifique. Quant à la messe de Haydn, c’est comme à la messe.

                Les musiciens semblent assez peu captivés par ce qu’ils ont à jouer. Trois des quatre chanteurs et chanteuses solistes ne se distinguent guère. Quant aux choristes du Chœur de Chambre de Rouen et du Chœur de l’Opéra de Rouen, ils ont bien du mal à me faire trouver de l’intérêt à ce qu’ils chantent.

                C’est un programme particulièrement adapté à cette période de fêtes obligatoires, on s’y ennuie comme lors d’un dimanche d’adolescence.

                Nonobstant mon déplaisir, je fais comme tout le monde, j’applaudis poliment les musiciens, les chanteurs et chanteuses solistes et les choristes. Ces derniers ont droit à une petite ovation, ils ont de la famille dans la salle.

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  •             Vendredi, samedi, Rouen ressemble à une ville de Normandie. C’est précisément ces deux jours-là que choisit la municipalité centro-sarkoziste pour faire essayer ces petits vélos Decaux.

                C’est encore Albert (tiny), maire, qui s’y colle, dans le quartier Saint-Sever. A califourchon sur son Cy’clic, dans sa tenue de cycliste (en costume gris), il dit la bêtise qu’on attend de lui : « Quand on a appris à faire du vélo à cinq ans, on sait toujours en faire cinquante ans plus tard. ». Je ne suis pas prêt de le croiser de nouveau en ville sur une bicyclette. Le vélo, c’est bon pour les autres, pas pour lui, particulièrement quand il pleut.

                C’est surtout bon pour la maison Decaux qui place ses panneaux publicitaires à chaque garage de Cy’clic. La nuit, elle comptera les sous que lui rapporteront les petits vélos et, pendant ce temps, le bon peuple ne pourra pas les emprunter. C’est du moins le motif officiel. Au fond, les petits sous importent peu. Le responsable de la maison Decaux l’avoue benoîtement dans Paris Normandie, « un vélo qui ne roule pas coûte moins cher qu’un vélo qui roule ». L’important, c’est la publicité et le commerce.

                Et ces vendredi et samedi bien normands, le commerce fait ce qu’il peut pour battre son plein, perturbé par le vent et la pluie, concurrencé, place du Vieux Marché, par les boutiques du Téléthon, cette obscénité médiatique, que j’évite pour aller m’asseoir à l’Agora Café, avant que n’arrive à Rouen celle que j’attends.

                J’y lis Libération que je n’achète jamais les samedis où il est lesté d’un Libération Next, supplément publicitaire, aujourd’hui « Spécial Cadeaux », que ce journal autrefois révolutionnaire fait payer un euro à ses gogos de lecteurs et lectrices.

                Il n’y a pas que les marchands de soupe pour faire de la publicité. Les Verts, ces comiques de la politique, s’offrent un quart de page dans ce Libération de samedi sous le titre « Halte aux changements climatiques ». Eh bien, allez-y les petits gars et filles vert(e)s, que je voie un peu de quoi vous êtes capables, arrêtez-les les changements climatiques, avec vos petits bras musclés.

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  •             Toujours dans la lecture des Choses vues de Victor Hugo, je prends des notes. Il y a des moments particulièrement réjouissants qui se passent de commentaires. En voici deux :

                Mai mil huit cent quarante-huit : La proclamation de l’abolition de l’esclavage se fit à la Guadeloupe avec solennité (…).

                Au moment où le gouverneur proclamait l’égalité de la race blanche, de la race mulâtre et de la race noire, il n’y avait sur l’estrade que trois hommes, représentant pour ainsi dire les trois races : un blanc, le gouverneur ; un mulâtre qui lui tenait le parasol ; et un nègre qui lui portait son chapeau.

                Décembre mil huit cent quarante-huit : Le neuf décembre au matin, je reçus la visite très inattendue du vieux Gentil, pauvre homme de lettres devenu homme de police, plein d’esprit et de cœur du reste, réduit par la misère aux extrémités, mais demeuré honnête.

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  •             Evidemment, c’est risqué pour moi de me rendre à un vernissage à l’Institut Universitaire des Maîtres à Mont-Saint-Aignan. Cela m’oblige à répondre à ce genre de question, posée par qui m’a connu avant :

                -Tu arrives à t’occuper maintenant que tu ne travailles plus ?

                Je ne suis pourtant pas là pour répondre aux banalités d’usage. J’envoie balader la questionneuse :

                -Je ne m’occupe pas. Je vis.

                Vivre, un certain nombre d’enseignant(e)s ignore ce que cela signifie. Celle-ci reste coite et me laisse tranquille. Je peux faire le tour, ce jeudi soir, de l’exposition consacrée à Bernard Clarisse, formateur (comme on dit maintenant) dans cet Institut, et surtout artiste.

                Cette exposition a pour titre Les Médecins de la terre, elle prend place dans le cycle Relectures, pastiches, citations. Qu’elle se tienne au lieu-dit le Mont aux Malades est un hasard bienvenu. Bernard Clarisse, comme il le dit lui-même en expliquant un peu sa démarche au public local, se penche principalement sur la peinture malade et sur la peinture soignée.

                Un néon accueille le visiteur à l’entrée de la galerie La Passerelle (au premier étage de l’Institut). C’est la Vérotière mise à nu, offerte en avant-première d’une future exposition à Berck et clin d’œil à Marcel Duchamp. Elle conduit vers des glaneuses montrant leur culte dans les campagnes revisitées de Millet et Van Gogh.

                Plaies, scarifications, balafres, fractures, purulences et cicatrices, la peinture est bien malade et Bernard Clarisse est son médecin.

                En la soignant, il la soigne de belle manière. Lutte contre les taupes collectives, plusieurs Georges et Georgette numéroté(e)s (en référence aux Géorgiques), Les glaneuses d’Epidaure, Epis d’or (de Millet), Georges et les sept mains, Fiançailles esculapiennes, tels sont les titres de quelques-unes des œuvres soignées et malades, malades et soignées.

                Figurent également dans cette exposition, Galerie La Passerelle, et montrant d’autres aspects du travail de Bernard Clarisse, des vanités dont l’une enceinte, une installation en l’honneur de Van Gogh Console suspendue à cent soixante-dix centimètres du sol (À ta santé Vincent) et un portrait d’admiration représentant Roman Opalka À Roman, mégalo, hommage d’un obsessionnel à un autre obsessionnel.

                Un verre de champagne à la main, Bernard Clarisse m’invite au vernissage de son exposition berckoise (il y présentera ses incurables) le trois mai deux mille huit, puis je l’écoute dénigrer tel ou tel, artiste alcoolique ou galeriste pétrodollarié. Dire du mal de son semblable est un autre de ses talents, que j’apprécie beaucoup.

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  •             Sous le parapluie, je prends le chemin du Tribunal Administratif de Rouen, ce jeudi en fin de matinée. Place des Carmes, Flaubert va mieux. Sa jambe, plâtrée par les étudiants en médecine lors de leur grève, est désormais déplâtrée. Je choisis de passer par la rue Beauvoisine où les travaux s’achèvent afin de voir un peu ce qui apparaît dans la vitrine de la bouquinerie de Joseph Trotta et à presque onze heures, j’entre dans la salle d’audience.

                C’est pour soutenir une famille venue d’Algérie dont les enfants sont scolarisés à Rouen dans une école de la rive gauche. Cette famille a reçu une Obligation à Quitter le Territoire Français. Elle a eu des démêlés avec des terroristes là-bas et tient à ce qu’on reste discret sur son compte. Il y a foule pour la soutenir, des membres du Réseau Education Sans Frontières, des parents d’élèves et une institutrice de l’école concernée. La défense est assurée, efficacement comme d’habitude, par Maître Rouly et la décision pour dans trois semaines.

                Maître Rouly est là également pour cinq ou six autres dossiers. D’autres affaires suivent mais sans avocat et hors la présence de ceux qui risquent la reconduite à la frontière.

                Il faut tendre l’oreille pour comprendre de quoi on parle dans chaque dossier, sauf lorsque c’est l’avocat qui s’exprime. La commissaire du gouvernement, dont l’élocution est imparfaite et le débit monotone, ne fait guère d’effort pour être entendue du public. Pour cette profession de juge où l’oral tient tant de place, ce serait bien, me dis-je, que la formation inclue un stage dans un théâtre.

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  •             C’est au tour d’un jeune homme majeur scolarisé au Lycée Professionnel Colbert de Petit-Quevilly de risquer à tout moment la reconduite à la frontière. Je retrouve donc, mercredi en début d’après-midi, le Réseau Education Sans Frontières, devant la Préfecture rouennaise, afin de le soutenir. Il y a là aussi le Collectif des Sans Papiers de l’Agglomération de Rouen (présent sur les lieux tous les mercredis) et des professeurs et des élèves du lycée Colbert venus avec la pétition qu’ils souhaitent transmettre aux services préfectoraux.

                Le jeune homme est Africain. C’est un élève parfaitement intégré dans une section où on est assuré d’avoir un emploi à la fin de ses études.

                Il est orphelin, a deux sœurs mineures, présentes avec lui en France. Il peut être renvoyé seul au Congo Brazzaville où il n’a aucune famille ou en Italie par où il est passé avant d’arriver en France et où il ne connaît personne.

                C’est une histoire ordinaire.

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