•             On ne peut pas dire que je ne fréquente pas les stades, m’y voici une fois de plus, ce dimanche matin. Elle me tient la main mais pas question de faire du sport. Il s’agit de parcourir les allées du vide-greniers très organisé de Bois-Guillaume.

                Je croise un de mes anciens élèves, mystérieusement assagi. Sa mère, qui s’en félicite, me remercie d’avoir en quelque sorte supporté son fils quand il était pénible (mais heureusement pas que de ça) et, un peu plus loin, c’est l’ancienne directrice, aujourd’hui retraitée, d’une autre école maternelle où j’ai passé un an, jamais revue depuis, que je trouve là.

                -Je sais très bien qui tu es, lui dis-je, mais je ne me souviens plus de ton prénom.

                -C’est le même que le tien, me répond-elle amusée, qu’est-ce tu deviens ?

                Je lui raconte et elle me dit que ça se voit bien que j’ai décroché complètement du monde de l’Education Nationale. Elle non, elle s’occupe toujours de l’Amicale laïque et vend ce jour au bénéfice d’un projet de voyage en Afrique. Je veux bien faire une bonne action si c’est une bonne affaire mais rien de son étalage ne me retient. 

                Les trouvailles intéressantes sont rares ce dimanche. Elle et moi captons cependant de quoi faire des cadeaux à certaines de nos connaissances d’âge divers.

                Une vendeuse propose deux livres de photos de David Hamilton à quarante euros pièce. C’est fou comme la côte de cet amateur de très jeunes filles a monté depuis qu’il est mal considéré. Un peu plus loin, fouillant dans une boîte pleine de cédés, je découvre celui d’une œuvre de Chopin dont la tranche porte le nom de Frédérique Chopin. Je ne savais pas que Chopin avait une femme portant le même prénom que lui, fais-je remarquer au vendeur, qui ne comprend pas la plaisanterie.

                -Il ne connaît que Frédérique Chopine, sa copine de bar, dis-je finement à celle qui m’accompagne. Je ne recule devant aucun jeu de mots laids, comme chantait Boby et J’espère de gants faire à repasser mieux la prochaine foi d’animal intérêt et principal, comme écrivait Boris.

                J’achète enfin un livre qui me plaît Sous le manteau publié chez Flammarion, une sélection de cartes postales érotiques des Années Folles, tirées de la collection d’Alexandre Dupouy. Je fais mien aussi, pour un ou deux titres, le Best of de Buzy.

                C’est bizarre comme la musique populaire des années quatre-vingt vieillit mal, me dis-je de retour seul à la maison, en écoutant Buzy dont l’une des chansons, Shepard, est cosignée par Frank Langolf, à l’enterrement duquel j’étais, dans la cathédrale de Rouen, il y a combien d’années je ne sais plus.

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  •             Samedi, en métro jusqu’à l’Hôtel de Ville de Sotteville-lès-Rouen pour le festival des arts de la rue Viva Cité. Cela commence officiellement à quatorze heures mais dès deux heures moins le quart, au moment où j’arrive avec celle qui m’accompagne, le spectacle est déjà là avec, sur les marches de la mairie une sortie de mariage des plus réussies. J’arrive presque à faire croire à un passant qu’il s’agit d’une fausse cérémonie.

                Nous attendons la compagnie Snob/Ulik pour Glisssssssssendo. Ils et elle arrivent silencieusement monté(e)s sur des plateformes électriques cachées par leurs vêtements noirs et conduites avec les pieds. On fait comme les autres, on suit. Cela a un côté assez désagréable de Joueur de flûte de Hamelin, oublié quand on s’installe autour du rectangle jaune tracé sur la place et que virevoltent les étonnants personnages sous la conduite de l’inquiétante femme aux flambeaux. Chacun joue d’un instrument de musique. L’un d’eux chante une mystérieuse chanson. Se succèdent ensuite des morceaux musicaux sur des chorégraphies pas trop compliquées. Très vite cela lasse. Il manque un scénario.

                Nous décidons d’aller voir ailleurs, dans le bois de la Garenne, mais sous les arbres on ne trouve pas notre plaisir. Beaucoup d’acrobaties faciles, de comiques pas drôles, de discours lourdingues, de mises en scène sans subtilité. Que se passe-t-il ? Il y a deux ans, déjà là tous les deux, on y était ravi. Est-ce nous qui avons changé ? Nous sommes pourtant d’excellente humeur aujourd’hui. Est-ce une année creuse ?

                Au milieu du bois, sans se soucier le moins du monde du festival, une équipe de retraités boulistes se prépare à une coutumière pétanque. Je m’approche et leur demande poliment comment s’appelle leur spectacle :

                -On joue aux boules tout simplement, me répondent-ils.

                J’arrête d’embêter les gens. Sous la grande tente, nous commandons une boisson artisanale aux fruits que nous buvons sous un arbre en regardant au loin un acrobate lanceur de diabolo. Il y a foule autour de lui. Son spectacle est pourtant médiocre.

                Après étude du programme, séduits par la photo d’un imposant chapiteau, celui de la compagnie Tuchenn qui y donne Si la musique doit mourir, nous nous rendons rue du Huit Mai. Nouvelle déception, le chapiteau dans la réalité est minuscule et la musique qu’on y entend ne donne pas envie d’attendre la prochaine séance. Allongés dans l’herbe, entre les barres d’immeubles, nous décidons d’en rester là, après un dernier verre à la Bodega.

                La foule attendant le métro en direction de Rouen nous dissuade de l’emprunter. Nous optons pour le bus numéro dix tandis que déambulent d’immenses girafes rouges, un bus presque vide, climatisé et où opèrent deux contrôleurs.

                Il nous fait passer devant la médiathèque de Rouen que veut détruire Fourneyron (Valérie), nouvelle maire.

                -C’est ça qu’elle veut raser ? On voit déjà le travail de l’architecte, constate-t-elle, écœurée autant que moi.

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  •             Vendredi soir au Conservatoire, c’est Hommage à Boris Vian avec une Nuit blanche au Tabou. Nuit blanche n’exagérons pas, on se couche tôt dans la maison, les musicien(ne)s et choristes sont jeunes, en provenance pour certain(e)s du collège Fontenelle et du lycée Jeanne d’Arc.

                Je me revois à leur âge, lycéen à Louviers collé devant la vitrine de la librairie Vandevoorde où sont exposés les premiers Boris Vian publiés en poche par Christian Bourgois chez Dix/Dix-Huit, les achetant l’un après l’autre avec l’argent de poche durement gagné chez mon père, l’arboriculteur. Les chansons, c’est plus tard que je les découvre, sûrement dans cette ferme communautaire des Baux-Sainte-Croix, près d’Evreux, mon adresse pendant les deux ans passés à l’Ecole Normale au début des années soixante-dix.

                C’est un peu pour cela que je suis là ce soir.

                La directrice du lieu exubére un petit discours où elle vante la chance d’étudier la musique et le chant en deux mille huit dans son établissement et non comme elle au même âge obligée de subir des heures de solfège « même pas le droit d’être en apnée », et place à la musique avec le premier mouvement de la Symphonie en ut majeur de Georges Bizet.

                Ensuite c’est Boris Vian. Un extrait d’une émission de radio d’époque, consacrée au joueur de trompinette et au Tabou, tombe des enceintes. Elle s’achève par les premières notes de l’hymne de cette cave mythique de la rue Dauphine (combien de fois suis-je passé devant ?), détruite à mon grand scandale, il y a quelques années, sans que personne ne s’en étonne, Ah ! si j’avais un franc cinquante ! Les choristes et instrumentistes du Conservatoire l’attrapent au vol et la mènent à la fortune. La java des bombes atomiques suit, puis une série de chansons écrites pour Henri Salvador, la peu connue Barcelone, la mieux connue Complainte du progrès, un extrait de Juliette Gréco parlant de Boris Vian, un autre de lui-même réglant d’une idée lumineuse le problème de la circulation automobile à Paris et c’est Le déserteur.

                Tout cela dans une ambiance décontractée et rigoureuse à la fois, les chœurs préparés par Pascal Hellot et les arrangements dus à Marc Meyer, chef d’orchestre et accessoirement chanteur, qui connaît bien son Boris Vian et se félicite d’être le premier à célébrer ce soir avec un an d’avance le cinquantenaire de sa mort.

                Est-ce que j’ai passé une bonne soirée ? La question de se pose pas. Elle en est absolument incapable : il y a trop de vent (Boris Vian). 

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  •             C’est à pied que je rejoins à treize heures trente précises la galerie du Frac Haute-Normandie, ce vendredi vingt-sept juin, pour le premier jour de la vente braderie de livres d’art. Je ne suis pas seul à viser le livre soldé. Sous la pluie, à cinq ou six nous attendons. Dès l’ouverture des portes, sommes rejoints par pas mal d’autres. Les livres et catalogues (à gauche les gratuits, à droite les payants) sont disposés en angle droit contre les murs et dans la pointe on se gêne de façon abominable. Les gens de l’art n’ont pas le sens pratique quand ils jouent aux libraires mais Marc Donnadieu, le directeur, est parfait dans son rôle de caissier.

                Je ne sais pas pourquoi autant de personnes veulent me faire concurrence, ce que je sais c’est que ça ne tarde pas à m’ôter l’envie. J’ai néanmoins le temps d’acheter, pour un tiers de son prix, le catalogue (publié aux Editions Somogy) de l’exposition Combas vue avec elle à Louviers il y a quelques mois. Du côté des gratuits, je m’offre le catalogue de l’exposition Christoforou (vu à la galerie Duchoze avec elle autrefois) du Kunstmuseum de Randers.

                Je profite ensuite de ma présence sur les lieux pour visiter l’exposition Damien Cabanes, sculptures en terre cuite, certaines émaillées, entourées de grands dessins épinglés aux murs au rez-de-chaussée, tableaux à l’étage, dans le style expressionniste et avec prédominance de scènes familiales, femme et enfants, avec ou sans canapé, pas trop à mon goût surtout les sculptures. Je trouve là Jean-Pierre Levaray, l’auteur de Putain d’usine, venu pour les livres bradés mais découragé par le grand nombre d’acheteurs et d’acheteuses potentiel(le)s. Il m’a publié autrefois, quand il avait maison d’édition nommée On @ faim, dans sa revue littéraire (Cahier d’)écriture.

                Ensemble, nous évoquons le dur temps de maintenant.

                Sur le chemin du retour, je m’arrête chez le marchand de primeurs près du magasin Fabio Lucci. J’achète des bananes à quatre-vingt dix neuf centimes le kilo.

                -C’est tout ! s’exclame agressivement le patron.

                -Oui, pour les autres fruits, j’attends que les prix baissent.

                -Demain, je serai sur le marché et j’aurai des cerises à deux euros le kilo. Elles seront à moitié pourries mais comme elles seront pas chères, vous serez content.

                -Il y a une deuxième condition à remplir pour que j’achète autre chose, c’est que le commerçant soit aimable.

                Il me rend la monnaie, un peu énervé.

                J’ai bien du mal à me faire des amis chez les boutiquiers.

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  •             Grande foule ce jeudi soir au Musée des Beaux-Arts de Rouen pour le vernissage de l’exposition Charles Frechon, peintre de l’Ecole dite de Rouen, petit maître de l’impressionnisme, et du beau monde, bien vêtu pour l’occasion, tous et toutes membres de la bourgeoisie bourgeoisante de la ville et de ses environs, et quelques autres un peu fripé(e)s, dont moi.

                Dès l’ouverture, je file dans la dernière des salles d’exposition pour y être tranquille et pour remonter le temps, aller de la fin au début de Charles.

                Il finit bizarrement avec des sous-bois orange et des neiges bleues, auparavant grande période à la manière de Monet et début à la manière de Seurat. Ça ne peut que plaire au plus grand nombre des présent(e)s, même si certain(e)s autour de moi se permettent quelques piques :

                -Il peignait bien mais il savait pas dessiner.

                -Ils ont tous fait des meules à cette époque-là.

                D’autres regardent surtout le Rouen d’autrefois :

                -La rue Saint-Maur, là où on a failli, tu sais, où on a glissé sur une flaque d’huile ou d’essence…

                Je croise une famille dont la nombreuse marmaille est ravie :

                -Oh, dit l’un, c’est le même tableau que chez Bonne Maman.

                -Idiot, lui répond un autre, c’est çui-là qu’est chez Bonne Maman, elle l’a prêté pour l’exposition.

                La première salle est consacrée aux dessins au fusain. J’apprends là que Charles Frechon a eu pour professeur Philippe Zacharie. Comme Duchamp, me dis-je.

                Ce qui me fait songer à ce qu’écrit, sur le catalogue printemps été du Musée, l’ancienne Officielle de la Culture rouennaise, Catherine Morin-Desailly, qui est là ce soir. La nouvelle est là aussi (Laurence Tison) et la maire Valérie Fourneyron, les traits tirés, qui fait visite accélérée avec le maître des lieux Laurent Salomé.

                « L’œuvre d‘art est un rendez-vous »  disait Marcel Duchamp, en voici donc deux majeurs… », voilà ce qu’osait dire la sénatrice quand elle était aux affaires municipales, à propos de Roger Tolmer et Charles Frechon.. Je ne doute pas que Madame le Maire va tenir le même genre de propos, la droite et la gauche locales sont, dans le domaine culturel, de la même eau tiède.

                Et vraiment, je n’ai pas envie de l’entendre, la raseuse de médiathèque. Je reste sous la verrière pendant les discours, près du Martyre de Sainte Agnès de Joseph-Désiré Court, tellement restauré par le mécénat de la fondation Béhennepé-Paribas qu’il fait neuf et peint d’hier.

                Une coupe de champagne, quelques petits fours et me voici dehors. Square Verdrel, je considère l’imposant buste de Jean Revel (mil huit cent quarante-huit/ mil neuf cent vingt-cinq), auteur des Contes normands, une sorte de Maupassant de deuxième zone, totalement oublié aujourd’hui. Il n’en est pas dans la peinture comme dans la littérature. Charles Frechon, sorte de Monet de deuxième zone, est aujourd’hui encensé au Musée des Beaux-Arts de Rouen, lui dont les tableaux ne devraient pas quitter le salon de Bonne Maman.

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  •             La vie est belle et cruelle. Anton Dvorak, après le décès à la naissance de sa fille Josefa, compose la première version de son Sabat Mater, puis deux ans plus tard, après la mort à un mois d’intervalle de ses deux autres filles Ruzena et Otakar, la seconde version.

                C’est la première version d’icelui (dont le texte, du treizième siècle, est attribué au moine franciscain Jacopone da Todi et évoque la douleur de Marie après la mort de son fils Jésus) qui est au programme du chœur accentus, ce mercredi soir à l’Opéra de Rouen.

                Je suis au premier balcon. Une voisine à gauche trouve qu’ « il y a des noms de partout, dans les choristes de Laurence Equilbey ». Un voisin derrière se réjouit de la durée restreinte du concert, il va pouvoir regarder la deuxième mi-temps du match. Tout cela est habituel. L’inattendu vient de la présence de plusieurs caméras de télévision captant la prestation. L’une en embuscade derrière les choristes tient la chef de chœur dans son viseur. Une deuxième suit les entrées et les sorties de scène. D’autres, j’imagine, que je ne vois pas du balcon, filment les choristes, les quatre solistes et Brigitte Engerer, qui tient le piano.

                En apéritif sont donnés six chants bibliques du même Dvorak.

                Laurence Equilbey et son chœur accentus, ainsi que leurs invité(e)s, solistes et pianiste, déclenchent moult applaudissements à l’issue du Sabat Mater. Des applaudissements différents de ceux que provoque accentus à chacun de ses passages, quelque peu surjoués, qui incitent la chef à bisser la fin de l’œuvre « ce qui ne se fait pas, mais c’est la création de cette première version à Rouen alors je vais le faire ». Tout cela parce que la télévision.

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  •             C’est confirmé, Fourneyron (Valérie), nouvelle maire de gauche, met par terre la médiathèque d’Albert (tiny), ancien maire de droite. Ce qui est déjà construit sera rasé. Plus d’argent dans les caisses, paraît-il, et mauvais emplacement choisi (le vilain quartier de Grammont, rive gauche). Il y a peu, la même défendait un projet de médiathèque aussi mal située (sur les ruines de l’Ecole Normale, rive gauche). Aujourd’hui, elle n’en veut plus de médiathèque, c’est démodé, Internet et le numérique ont tué tout ça et puis il y a de si jolies petites bibliothèques (avec quelques chaises pour s’asseoir) un peu partout, comme dans toute ville moyenne qui se respecte. Une médiathèque à Rouen vous n’y pensez pas ? On n’est pas à La Rochelle ici !

                J’imagine le chambard si le mauvais constructeur était de gauche et le bon démolisseur de droite.

                Je ne sais pas par quelle malédiction Rouen et son agglomération subissent depuis la fin de la deuxième guerre mondiale autant de navrant(e)s politicien(ne)s. Le Canuet, Fabius, Robert (tiny), Albert (tiny), Zimeray, j’en oublie, et Fourneyron maintenant. Un Palais des Congrès en ruine, un pont levant qui ne se lève que tous les cinq ans, un métro coûteux au lieu d’un tramouais, une future salle de musique actuelle sur un terrain inondable et une médiathèque par terre, c’est une partie du bilan, là aussi j’en oublie, et tellement d’argent perdu que plus rien n’est possible, la ville va continuer à vivoter mollement.

                Cela dit, je ne suis pas surpris. Ce n’est pas pour rien qu’aux dernières municipales rouennaises, j’ai voté contre Albert (tiny) et ses sarkozistes sans voter pour Fourneyron et ses socialo-écolo-communistes.

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  •             Nouveaux obstacles à la bonne marche, des panneaux Decaux amovibles se multiplient depuis quelques jours sur les places et dans les rues piétonnières de Rouen. Certains montrent d’un côté la laide affiche de l’Armada, de l’autre une affiche porteuse d’un slogan citoyen (comme on dit maintenant), autrement dit d’une petite leçon de morale. D’autres montrent leurs slogans bien pensants sur les deux faces. Je ne sais pas à qui on doit ça, à la nouvelle municipalité de gauche ou à l’ancienne de droite, l’opération étant peut-être déjà dans les tuyaux (comme on dit aussi maintenant) avant l’élection dernière.

                Cette navrante opération est sans doute provisoire mais le panneau Decaux peut prendre racine, au moins dans les têtes, c’est une bonne publicité pour la maison Decaux.

                Les emplacements sont judicieusement choisis. L’un des panneaux est planté sous l’arbre devant l’église Saint-Maclou. Pas un(e) touriste ne peut sortir son appareil devant le chef d’œuvre gothique flamboyant sans l’avoir sur sa photo.

                « Ne laissez plus couler l’eau courante » intime l’une de ces affiches. L’eau courante coule, elle est faite pour cela. «Ne laisser plus couler l’eau » aurait été plus judicieux ou alors « Ne laissez plus courir l’eau coulante ». Je suis à la disposition de qui s’occupe de ça pour améliorer les slogans de la prochaine opération d’éducation civique municipale. Du moins quand on commencera par donner l’exemple du côté de l’Hôtel de Ville. Aujourd’hui, cinq jours après la Fête de la Musique, la rue touristique où j’habite est toujours semée de débris de bouteilles de bière, sans que le moindre balayeur avec tuyau d’eau courante ou coulante ne soit en vue.

                « On n’est pas là pour se faire écraser » proteste une autre de ces affiches, copiant piteusement Boris Vian. Bien placée elle aussi, rue Saint-Romain, une rue où la bite filtrant le passage des voitures, mise en place par l’ancienne municipalité, est hors d’usage depuis de nombreuses semaines, transformant cette rue piétonnière en nouvelle voie rapide pour automobilistes pressé(e)s. Le piéton et la piétonne ont intérêt à tenir le haut du pavé, c’est une vraie mise en danger de la vie d’autrui. L’adjoint chargé de la circulation, un écologiste je crois, va peut-être faire quelque chose car je suis d’accord on n’est pas là pour se faire écraser. Cependant, à tout hasard, j’ai fait mienne une paire de béquilles abandonnée dans une poubelle.

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  •             Sur France Culture le matin de ce mardi, j’écoute Jude Stefan évoquer les livres de ses bibliothèques : « Il y en a partout, ils envahissent l’appartement comme des rats. Tout cela pour que le jour où vous n’y êtes plus, une petite nièce les brade à n’importe qui. » Propos dont je me souviens l’après-midi à la terrasse du Son du Cor où je regarde les jolies filles qui passent en lisant dans Les jouets vivants de Jean-Yves Cendrey Les livres pèsent, singulièrement ceux qu‘on ne lira jamais mais dont on a besoin d’être encombré toute sa vie. Au-delà de six mois d’absence, les livres manquent, qu’ils soient lus, à lire, ou simplement à dépoussiérer. Les livres embarrassent, ce n’est pas la moins intéressante de leurs fonctions, et je m’en veux encore de m’être séparé de beaucoup, la veille d’un déménagement de plus, soudain victime d’une fringale de légèreté qui m’amena à des centaines de sacrifices imbéciles.

                Sitôt levé le camp du Son, je me rends à la bouquinerie Le Rêve de l’Escalier.

                Sur le trottoir, devant la boutique, je trouve, soldé, sur la page chaque jour un livre de chez Z’éditions consacré à Daniel Biga (interrogé par Jean-Luc Pouliquen) avec des images d’Ernest Pignon-Ernest et un cahier de photos où l’on croise, outre les trois cités, Ben Vautier et Robert Filliou.

                Dans la vitrine, j’aperçois le Journal japonais de Richard Brautigan, publié chez L’incertain, qui doit être le seul livre de cet écrivain que je ne possède pas encore et où on trouve des choses comme celle-ci Je l’aime bien ce chauffeur de taxi/ qui fonce dans les rues sombres/ de Tokyo/ comme si la vie n’avait aucun sens./ Je me sens pareil. Cet exemplaire est dédicacé « A ma chère Agnès que j’aime tant. Maman ».

                Sur la pile des livres qui viennent d’arriver, je découvre un grand et gros livre jaune Les Monstres, une histoire encyclopédique des phénomènes humains, qui recense géants, nains, obèses, femmes à barbe, frères siamois, hommes et femmes à cornes, sirènes, culs-de-jatte, manchots, hommes-troncs, hermaphrodites, albinos, hommes animaux, hommes à deux têtes, femmes à quatre jambes, hommes machines et tutti, dans sa nouvelle édition, revue et augmentée (comme on dit) de deux mille sept au Cherche Midi. L’auteur, c’est Martin Monestier et j’en connais une à qui ça va plaire.

                Bien sûr je repars avec ces trois livres payés par mon avoir, devenus miens grâce à Jean-Yves Cendrey et à Jude Stefan, ce dernier écouté ce matin sur France Cul citant Pierre Reverdy « La vie est grave, il faut gravir » (la citation exacte est La vie est une chose grave, il fait gravir), formule attrayante peut-être pour l’écrivain d’Orbec et pour beaucoup d’autres, mais pas pour moi qui n’aie jamais rien vu de sérieux dans cette aventure et qui suis partisan du moindre effort. La vie est belle, il faut buller.

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  •             J’écoute sur France Culture la rediffusion d’un entretien avec Albert Cossery mort tranquillement à presque quatre-vingt-quinze ans dans la chambre du sixième étage de l’Hôtel de Louisiane, rue de Seine, à Paris, où il ne faisait pas grand chose depuis mil neuf cent quarante-cinq, lui qui n’était jamais plus heureux que lorsque quelqu’un(e) s’échappait de l’esclavage salarié après avoir lu Les Fainéants dans la vallée fertile ou tout autre de ses livres.

                Je n’en ai que deux dans ma bibliothèque, dans de vieilles éditions de poche, le précédent nommé et Mendiants et orgueilleux, les plus connus donc, et connus de moi il y a longtemps par la lecture d’Henry Miller, autre ennemi du travail et autre ami des marges et de celles et ceux qui y mènent belle et libre vie.

                Cela me laisse le plaisir d’avoir à trouver les six autres au hasard de mes pérégrinations, puis de les lire à la terrasse de quelque café, en suivant des yeux les jeunes filles qui passent, autre plaisir d’Albert Cossery qui l’exerçait quotidiennement au Café de Flore : « Elles sont à l'âge où vous leur pardonnez tout, et je ne peux pas aimer une fille sans pouvoir tout lui pardonner... » ai-je lu de lui quelque part..

                Albert Cossery n’est pas seul pour l’entrevue avec les journalistes de France Culture. Il y a là Roger Grenier, Sophie Leys (la photographe auteure de L’Egypte d’Albert Cossery) et Joëlle Losfeld (l’éditrice ayant récupéré les droits de tous ses livres), ces deux dernières chargées de traduire le chuintement d’outre-tombe émis par l’écrivain interrogé après sa trachéotomie. Dommage que France Cul n’ait pas dans ses archives un document plus ancien avec la vraie voix du Voltaire du Nil (comme certain(e)s l’appellent).

                Il me faut chercher ailleurs pour trouver quelques bonnes formules de ce dandy nonchalant, vivant un peu de la vente de ses livres, un peu de dons d’amis, loin des nécessités matérielles qui étouffent chacun(e), dont moi, ainsi « Quand vous achetez une voiture, vous devenez esclave, vous vous constituez prisonnier », ce qui me fait penser que je dois appeler le garage pour une révision de la mienne avant les vacances, « Marcher, marcher, c'est une chance de pouvoir marcher et de regarder la vie. Si j'avais un appartement et si je devais penser aux draps, je serais déjà mort » et qu’il va falloir que je lave les miens avant la fin de la semaine.

                Dans un mail qui ne m’est pas destiné, Yves Simon écrit : « Albert Cossery est mort à quatre-vingt-quinze ans ce matin vingt-deux juin à Paris sixième, dans sa chambre de l'Hôtel de la Louisiane. Lui qui aimait tant le soleil n'aura connu qu'une journée de l'été deux mille huit. Il a été retrouvé par un ami qui lui apportait des fruits et les journaux, étendu sur le plancher de la chambre. Il n'était pas tombé. Sans doute que sentant l'heure arriver, il s'est allongé tranquillement lui-même dans la nuit. »

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