•        Mercredi midi, je sors à nouveau de terre à Saint-Michel, passe par chez Gibert Joseph où dans les bacs à soldes je trouve pour celle que le travail retient loin de moi l'Otto Dix d'Eva Karcher dans sa première édition chez Taschen. Un semblant de pluie m'amène à traverser la Seine et à viser Beaubourg. Une file impressionnante de visiteuses et visiteurs de toutes les nationalités est en attente à l'extérieur, que je coupe grâce à ma carte d'adhérent.

           Je choisis d'aller revoir la collection permanente, m'intéressant autant au public qu'aux œuvres, curieux de voir certain(e)s ne regarder les peintures que sur leur audioguide, assis sur un banc, écoutant ce qu'il faut en savoir. Une femme s'émeut brusquement en direction de son branlotin de fils:

           -Je l'ai là-bas çui-là, le bleu, dans ma classe, le bleu, tu vois là-bas.

           C'est l'institutrice de service (et le bleu, un tableau de Chagall). A un moment passent devant moi tellement de femmes enceintes au dernier degré qu'on pourrait croire que Beaubourg est jumelé avec une maternité. Je salue Otto Dix présent avec sa rouge journaliste et son Souvenir de la galerie des Glaces à Bruxelles (prostituée nue sur les genoux d'un militaire, scène multipliée par les miroirs), puis je visite rapidement les deux expositions temporaires annexées à l'étage contemporain.

           Logogrammes montre des dessins calligraphiques poétiques de Christian Dotremont. Ils ne me disent rien. Deux jouvencelles semblent un peu plus intéressées que moi dont l'une dit à l'autre:

           -Ça me rappelle ma grand-mère qu'a Alzheimer.

           Ne plus dessiner présente un échantillon des réalisations du disagneur Martin Szekely. Je fais le tour de son esthétique mobilier dont une console « où poser les plateaux-repas d'une assemblée lors d'une journée de travail ininterrompue » (cette préoccupation en dit long sur ce milieu de malades). Je note que « Faire se tenir debout une structure, c'est penser le contreventement » songeant que cette vérité est également valable pour moi-même et qu'il faudra que je me la répète le matin au réveil.

           Redescendu, je constate qu'il est illusoire de songer à prendre un café à la Mezzanine, là aussi la file d'attente est rédhibitoire. Je retraverse la Seine et reprends mes aises au Malongo Café de la rue Saint-André-des-Arts, lisant les Lettres de la princesse Palatine. Derrière moi, un trio discute de vacances futures:

           -On sera tout le mois d'août dans l'Aveyron.

           -Vous allez où exactement dans l'Aveyron?

           -Dans le Lot.

    *

           De la princesse,

           le vingt-huit juin mil six cent quatre-vingt-douze:

           Puisque le duc Rodolphe-Auguste a voulu faire un si étrange mariage, pourquoi n'agit-il pas comme le feu margrave de Baden-Dourlach, qui en avait contracté un pareil? On ne voyait jamais sa femme; il l'avait enfermée dans un château à la campagne...

           le dix-neuf mars mil six cent quatre-vingt-treize:

           ... il m'est impossible d'entendre prêcher sans m'endormir: un sermon c'est de l'opium pour moi. Une fois que j'avais la toux bien fort; je passais trois nuits sans fermer l'œil. Je me souvins alors que je dormais à l'église dès que j'entendais prêcher ou chanter les nonnes. Aussi me rendis-je en voiture à un couvent où on allait prêcher un sermon.

           le vingt-huit juin mil six cent quatre-vingt-treize:

           Mme de Chartres, Mme la duchesse et la princesse de Conti sont toutes trois revenues enceintes du voyage (à Namur); le roi ne peut donc pas prétendre que ç'a été un voyage stérile...

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  •        Mardi, celle qui m'héberge à Paris partie travailler, je prends la ligne quatre jusqu'à Saint-Michel pour un tour des librairies habituelles. Comme désormais je n'achète que de l'indispensable, je n'alourdis pas mon sac à dos où se trouvent déjà les Lettres de la princesse Palatine dans l'édition hélas fragmentaire du Mercure de France (on ne peut y lire la fameuse lettre scatologique dont parlent les Goncourt dans leur Journal).

           Ce sont quelques-unes de ces épîtres (comme dit la princesse) que je lis un peu plus tard au Malongo Café, rue Saint-André-des Arts. L'endroit est calme, sauf quand l'un des serveurs se met à crier « Mesdames et messieurs, faites attention à vos affaires » avant de jeter deux jeunes Roumaines à la rue.

           Sorti de là, je vais voir ce qui se montre à la galerie Kamel Mennour. L'exposition du moment déborde sur la cour intérieure, vaste faux toit composé de chutes de bois assemblées en désordre (plateau de tables, porte, planches et autres), écrasant le visiteur et se poursuivant dans les trois salles où l'on est accueilli par un sympathique portier. L'artiste se nomme Tadashi Kawamata, le titre de l'exposition Under the Water (le tsunami est derrière tout ça, ce bois flotte à la surface d'une mer redevenue calme après la catastrophe).

           Je poursuis en allant découvrir la boutique du nouveau bouquiniste de la rue de Cluny. A l'endroit où se tenaient autrefois la librairie des Éditions de la Découverte, puis l'annexe de la Librairie Galerie de la Sorbonne puis un magasin de babioles exotiques s'épanouissent de nouveau les livres et que des bons, rassemblés par un aimable libraire qui promet de me mettre de côté un livre que je recherche, s'il le voit passer, et même si je ne reviens que dans trois mois. Je sors de là avec Marcel Jouhandeau, Pierre Louÿs et Philippe Muray, trois bons amis.

    *

           La princesse Palatine est la seconde femme de Monsieur, frère de Louis le Quatorzième, qui lui préfère les jouvenceaux. Venue d'outre-Rhin, elle est mal vue à la cour et s'y sent prisonnière. Elle en raconte de bien bonnes, ainsi le vingt-huit octobre mil six cent quatre-vingt-sept (les « filles » dont il est question sont des demoiselles de compagnie):

           Ce soir nous avons la comédie italienne. Je ne sais si les filles de la dauphine seront d'humeur à y rire de bon cœur: il y a quelques jours, il leur est arrivé une aventure qui n'est pas gaie du tout pour elles. Leur gouvernante a trouvé chez elles un livre tout rempli d'ignominies, au point qu'il n'y a pas un seul chapitre qui ne parle des postures les plus horribles qu'on puisse imaginer.

           (.../...)

           C'est M. le duc qui leur avait donné ce beau livre... les dix demoiselles s'appellent Laforce, Biron, Gramont, Séméac (ces deux dernières sont sœurs; elles sont filles du comte de Gramont), Bellefond et Montmorency; toutes de bonne maison, comme vous voyez...

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  •         Lundi soir, je prends un train sans histoire. Il me mène à Paris où gare Saint-Lazare m'attend celle que je serre dans mes bras. Elle m'aide à traîner ma grosse valise dans les escaliers du métro. La ligne douze nous emmène dans son arrondissement. Rue de Clignancourt, sur un mur, à la peinture noire, l'inscription menaçante est toujours là: « Pas de bobos dans nos quartiers ».

             Bien que fatiguée par le labeur, elle a préparé un dîner japonais, makis et sushis. C'est aussi bien que ce que font les Chinois de la rue Monsieur-le-Prince. Le vin de Saumur et le gingembre sont bons pour l'amour, puis le sommeil ne se fait pas prier.

            C'est dans le milieu de la nuit que l'endroit se rappelle à nous sous forme de discussion orageuse. Un couple dans la rue s'invective: « Nique ta race » et autres mots d'amour. Que celui qui a écrit sur le mur se rassure, les bobos ne sont pas maitres du quartier.

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  •             C’est dimanche et c’est Noël, je prends des notes sur les notes de la Police, celles concernant les séditieux qui écrivent des livres, du moins écrivaient (aujourd’hui la Police s’occupe de choses plus sérieuses évidemment) en lisant celui, élégant, quasiment carré, noir, tamponné en rouge de son titre La Police des écrivains, de Bruno Fuligni (Editions Horay). L’auteur compilateur y donne le fruit des notes qu’il a prises dans la salle des archives du Musée de la Préfecture de Police (visité récemment avec celle qui doit toquer à ma porte vers midi).

                Sur Paul Verlaine : « Personnage sans valeur. Il est dangereux par la fausseté de son caractère et la bassesse de ses sentiments. »

                Sur Arthur Rimbaud : « Une monstruosité. Il a la mécanique des vers comme personne, seulement ses œuvres sont absolument inintelligibles et repoussantes. »

                Sur Jules Vallès : « Se montra pendant longtemps dans les cafés du quartier Latin pérorant toujours contre l’ordre et la loi, espérant trouver dans un bouleversement social la fortune que son caractère débauché et paresseux ne lui permettait pas de demander à un travail régulier. »

                (Sur le même, note d’un mouchard : « Je ne sais si Jules Vallès a fait un nouvel héritage ou s’il reçoit de l’argent d’autre part que de son journal car il fait toujours un peu de correspondance, mais il est habillé tout à neuf et à l’air de dépenser beaucoup. »)

                Sur Emile Zola : « … il n’est pas inutile de savoir que le romancier naturaliste n’est pas meilleur mari qu’il n’est bon patriote. On raconte qu‘il terrorise sa femme et que devant elle, il embrassait sa femme de chambre dont il était l’amant. On dit aussi qu’il aurait pour une nièce des attentions plus que familiales. »

                Sur Gaston Couté : « pitoyable chansonnier, se montre très satisfait des poursuites dont il est l’objet ; cela lui fait une réclame énorme dans les cabarets et remplace son talent qui ne fut jamais très grand. »

                Sur Willy : « Le Willy achète couramment des livres tout prêts à paraître qu’il retape en ajoutant quelques ordures de son cru. C’est la marque de fabrique qui lui permet de vendre ses livres à la faveur de la notoriété de ses Claudine qui ne sont pas de lui. »

                Sur André Breton : « Le nommé Breton André, domicilié 42 rue Fontaine à Paris est soupçonné d’activité extrémiste, il fréquenterait le café des « Deux Magots », Bd St-Germain où il retrouverait notamment le nommé Benjamin Péret, également susceptible d’activité antinationale. »

                Sur Jean-Paul Sartre : « M. Sartre vit largement du produit de ses œuvres, mais il dépense facilement ses revenus. Il ne dédaigne pas l’alcool et prise beaucoup les endroits où la présence de jeunes gens des deux sexes, vêtus d’une façon excentrique, souvent négligée, crée une ambiance particulière. »

                Cela n’est qu’un échantillon. On frappe à ma porte et ce n’est pas la Police.

    *

                A quoi s’occupent les Députés de la France ? A voter des lois réglementant l’intimité de leurs électeurs, l’une entendant pénaliser le client de la prostituée, l’autre souhaitant punir la négation de génocide.

                A quoi ne s’occupent pas les Députés de la France ? A voter des lois relatives à l’économie, à la vie sociale, à la politique, permettant éventuellement d’améliorer la vie de leurs électeurs.

                Ce faisant, ils se montrent pour ce qu’ils sont : des impuissants, frustrés et par conséquent puritains.

    *

                Le beau monde qu’ils nous promettent, la gôche votant avec les sarkozistes, aseptisé, javellisé, stérilisé. Le plaisir que j’aurai à ne pas voter lors des prochaines législatives.

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  •             Inquiété par le dernier courrier de mon ami moine à la santé chancelante, je prends ce vendredi en début d’après-midi la route du Bec-Hellouin. Longtemps que je n’avais vu le village en hiver, il est désert. Doivent m’y rejoindre fille et petite-fille.

                A l’heure dite, j’aperçois l’habit blanc à la porte de la lingerie. Nous nous embrassons  et il me raconte ses déboires. Heureusement, il va mieux et cela se voit. Il m’emmène au chaud dans l’un des parloirs, m’apprenant que ce jour est la veille du cinquantième anniversaire de sa prise d’habit et de son changement de nom. Les deux attendues arrivent.  Nous prenons le thé en devisant, tandis que la plus jeune imite des animaux.

                Au village, ce qui fait causer c’est l’emprisonnement de l’aventurier Christophe Rocancourt, accusé d’avoir abusé de la faiblesse de la cinéaste Catherine Breillat. C’est lui qui avait repris l’ancienne crêperie, juste en face de l’abbaye. Pour en faire quoi, on ne sait pas exactement, mais l’ouverture était prévue le premier janvier. On parlait de Serge Lama comme invité. Maintenant, qu’est-ce que ça va devenir ?

    *

                « Quand la guerre rôde, pourquoi fêter Noël ? » se demandent sur un panneau les zélateurs de Cheminade, obscur et louche candidat à la présidentielle. Je les observe, bien au chaud buvant un café au Socrate, alors qu’ils tentent sans succès d’accrocher le quidam. Si la guerre rôde, pourquoi perdre son temps à vouloir faire des adeptes ?

    *

                L’un : « Vous serez bien aimable de retirer ce que vous avez écrit sur mon père ». Une autre : « Ecrire sur mon association, je ne vous en donne pas le droit ».

                J’écris ce que je veux. Je ne retire rien.

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  •             Il faut vraiment que j’aie envie d’aller au Kalif ce lundi soir pour que j’affronte la pluie incessante (même si je fais la majeure partie de la route en Teor). Celui-ci m’abandonne aux Deux Rivières, lesquelles vont finir par déborder. J’arrive trempé et en avance, m’assois sur le canapé vert en écoutant de la musique forte à en faire trembler les murs, venue d’une des salles de répétition.

                Pour Elisa Jo pas besoin de bouchons d’oreille, je le sais d’expérience. Quand s’ouvrent les portes, je me colle devant le pilier habituel. La salle s’emplit rapidement : famille et ami(e)s de la chanteuse ainsi que de vrais spectateurs parmi lesquels les coutumiers amateurs de rock. Ce sera copieusement filmé et photographié comme d’habitude et debout  pareillement. Les gens de la famille se casent sur un canapé derrière d’où ils ne verront rien.

                Elisa Jo s’installe aux claviers pour la première chanson, nioulouque mais voix inchangée heureusement, puis elle prend la guitare pour la suite, rejointe par son musicien à petit chapeau : « Je suis venue avec mon grand orchestre ». Elle enchaîne et ça plaît à la plupart. Quelques rockeurs s’en vont pour qui le pop folk, même en anglais, ce n’est pas supportable. Pas loin de moi se trouve un psychopathe qui ne cesse de se ronger les ongles. Il propose à des filles trop petites pour voir quelque chose de se mettre devant lui. Toutes refusent, n’ayant pas envie de l’avoir dans le dos. « The next song is in french » annonce Elisa. Il y en a encore une ou deux en anglais après, trop peu à mon goût.

                Quand je ressors, il pleut encore. J’ai la malchance de voir partir un Teor avant que j’atteigne son arrêt. Le prochain est dans quinze minutes. Je les passe en solitaire.

                C’est un nouveau Teor blanc qui me redescend au centre de Rouen. A l’arrêt Martainville, un homme monte et me salue cordialement. J’ai le temps de m’inquiéter de ne pas le reconnaître avant qu’il ne me dise :

                -Votre titre de transport, s’il vous plaît.

                Je suis en règle ce soir, ça tombe bien.

    *

                Les nouvelles rames de métro étant blanches, il convient que tous les bus de l’agglo rouennaise, actuellement bleus (couleur de la droite), deviennent blancs (couleur des royalistes). Ainsi en a décidé Laurent le Fabuleux. « Cela fera bus de campagne », m’a dit celle qui est retournée à Paris. « Dommage que les bus rouennais ne soient pas d’un beau rouge foncé comme ceux qui circulent entre Val-de-Reuil et Louviers, lui ai-je répondu, mais rouge, ce n’est pas possible, ça ferait socialiste ».

    *

                Donc tous les bus bleus vont devoir être repeints en blanc. Quatre mille euros par bus, si j’en crois la droite locale.

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  •             Le Musée National de l’Education, sis à Rouen rue Eau-de-Robec, n’est certes pas mon musée préféré mais le titre de l’exposition qu’on y présente en cette fin d’année deux mille onze 130 poupées (regards d’une femme sur le XXe siècle) m’incite à proposer à celle qui est là le ouiquennede d’aller y voir un peu en ce dimanche après-midi. Elle ne paie pas pour cause de jeunesse. Je paie pour n’être plus enseignant.

                Nous montons dans les étages où se tient cette exposition temporaire. Je découvre alors que, loin d’être une présentation de différentes poupées datant du siècle précédent, cette expo montre les poupées figurines de Marie-Jeanne Nouvellon, une artiste qui brode sur la condition féminine. Ses poupées sont mignonnes, comme sorties d’une bande dessinée, et le propos franchement féministe. Bref, ce n’est pas désagréable à voir mais pas du tout ce que je venais chercher.

                Comme on est là, dans cette magnifique Maison des Quatre Fils Aymon autrefois maison close, on passe par les salles de l’exposition permanente, qui montrent une école antérieure à celle que j’ai connue.

                Va savoir pourquoi on s’arrête longuement devant la gravure anonyme intitulée L’Ecolle, une eau-forte de la fin du dix-huitième siècle montrant un maître d’école catholique fessant une grande élève déculottée au postérieur volumineux, un fantasme (dit le cartel) suffisamment répandu pour que l’éducation des filles soit réservée aux religieuses. Je prends note de sa poétique légende :

                O ciel sur ce Cul quelle ardeur

                est-ce d’amour ou de colère

                est-ce un Maître d’Ecole ou bien une fureur

                qui n’en veuille que par derrière

                point du tout ce n’est qu’un semblant

                il veut la mettre par devant.

    *

                Pendant que j’écris, celle qui m’accompagne regarde de plus près Une classe, gravure de Pieter van Der Heyden dit Merica, datant de mil cinq cent cinquante-sept. Elle donne d’une salle de classe une représentation onirique inspirée de Bruegel et de Bosch. Le texte rappelle que d’un âne, on ne fera pas un cheval.

    *

                Une autre maxime morale d’école catholique notée au Musée National de l’Education : « Fais le bien sur-le-champ, tu n’es pas sûr de vivre longtemps. »

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  •             Le Melville de Rouen est toujours là et ce samedi, après l’expo Ben à Louviers, c’est notre objectif. On y donne Tous au Larzac, le documentaire de Christian Rouaud dont l’affiche est ridicule (une brebis avec un casque de militaire sur la tête). « Je ne veux pas aller voir ce film seul dans une salle où il n’y aura que des vieux », lui ai-je dit. Avec elle assise à ma droite, je me sens mieux.

                Trois femmes et un homme font le reste du public, assis en solitaire et de mon âge, des anciens combattants. Le documentaire de Christian Rouaud donne la parole aux paysan(ne)s du Larzac. Elles et eux racontent leurs dix ans de lutte contre l’extension du camp militaire, propos illustrés d’images d’archives. Le montage est serré, permettant à la tension de ne pas décroître.

                Je révise avec plaisir l’enchaînement de ces évènements vécus à travers la presse d’alors ou sur place lors du grand rassemblement où j’étais, mais était-ce celui de soixante-treize ou de soixante-quatorze, je ne sais plus vraiment. Cela fait du bien de revoir la construction illégale de la bergerie de La Blaquière, les flics tentant vainement de faire remonter dans un camion les brebis courant sous la Tour Eiffel, une poignée d’enfants faisant face à un char qui finit par reculer, les militaires prisonniers des objecteurs de conscience qui font paître les brebis autour des barbelés cernant une des fermes achetées par l’armée, l’installation d’une ligne téléphonique sauvage, le portail de la sous-préfecture pulvérisé par un tracteur, et cætera, mais comment avais-je pu oublier le plasticage jamais élucidé de la ferme d’un de ces paysans rebelles alors qu'y dormaient ses sept enfants, lui-même, sa femme et son berger, tous miraculeusement indemnes ?

                Tous au Larzac montre bien comment ces gens de droite allant à la messe chaque dimanche se marièrent avec ceux qu’on appelait les gauchistes, comment ils changèrent tout en restant les maîtres à bord.

                Il y aurait de la graine à prendre pour les jours de maintenant, dis-je à celle qui me tient la main alors que nous rentrons à la maison afin d’y fêter Noël avec une semaine d’avance, mais celles et ceux qui pourraient la prendre ne semblent pas aller voir ce film.

    *

                «Toute sa vie, Aimé Césaire a été un inlassable combattant de la liberté et de l’émancipation humaine. Son arme était la langue française, poussée avec poésie jusqu’à son plus sublime raffinement. L’œuvre conçue par Laurent Saksik, Gyro, lui rend hommage. Je suis fière que la Ville de Rouen, grâce à l’appui citoyen de Ferrero, fasse sienne cet engagement contre les discriminations que Césaire a incarné», ainsi parla Valérie Fourneyron, la Députée Maire socialiste de Rouen, lors de la présentation de l’œuvre d’art mécénée qu’on peut voir avenue Pasteur. Je n’étais point là.

                Ferrero est partout, au Palais des Sports, dans le Gyro et sur la table du réveillon des démunis (comme on dit à la Mairie de Rouen). Cette générosité tire les larmes.

                Et Césaire ? Sûr qu’il aurait été ravi de voir son nom accolé à celui de Ferrero, grand utilisateur d’huile de palme et de cacao récoltés on sait où et dans quelles conditions Aucun contact humain, mais des rapports de domination, et de soumission qui transforment ... l'homme indigène en instrument de production. (Discours sur le Colonialisme)

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  •             C’est avec celle qui me rejoint le ouiquennede que je patiente samedi en début d’après-midi devant les portes du Musée de Louviers. En attendant quatorze heures, je lui raconte la place Thorel, comment elle est devenue de plus en plus laide, le peu qu’il en reste de mon enfance, cette Caisse d’Epargne où j’allais avec grand-mère Eugénie.

                A l’heure précise, la clé tourne dans la serrure. Nul besoin de payer et même pas de ticket, nous sommes les seuls visiteurs de Et après ça ?, exposition des œuvres de Benjamin Vautier, dit Ben.

                Ben, c’était bien parfois et ça ne l’est plus. Ses écritures tournent en rond. Comme c’est un malin, il s’arrange pour déjouer par avance toute critique. « Fallait pas vous déranger pour ça », ben non. « Il n’y a aucun courage à faire tout cela aujourd’hui, 50 ans après le portebouteille de M. Duchamp », ben oui.

                -Il est devenu stérile, dis-je à celle qui me tient la main. Elle trouve que c’est exactement ça.

    *

                Louviers, ville natale, hors norme au temps où Martin père en était maire, tristement ordinaire maintenant que Martin fils occupe la fonction. Té Effe Un l’a choisie comme lieu de villégiature pour la Présidentielle de deux mille douze. Le soir du vingt-deux avril, Jean-Pierre Pernaut y mènera le débat. C’est la désigner comme trou perdu.

    *

                Avant Louviers, arrêt à Igoville chez U pour prendre de l’essence. A la pompe voisine, un groupe de motards habillés en Père Noël

                -Ce sont les Motards de Noël, lui dis-je, ceux dont j’ai parlé une fois dans mon Journal quand ils faisaient leur cirque dans les rues de Rouen. Ils n’avaient pas aimé ça.

                -Ne leur dis pas que ce sont des gros cons, me dit-elle quand je descends de la voiture.

                Je m’en garde bien, me concentrant sur le remplissage du réservoir.

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  •             On ne peut pas dire que Luciano Acocella, nouveau directeur musical de l’Opéra de Rouen, en encombre la scène aussi suis-je content de l’y revoir ce vendredi soir où il est à l’affiche, non pour le concert de charité prévu (je n’y serais pas venu), lequel a été annulé « pour une raison indépendante de notre volonté » (point d’Inva Mula chantant les grands airs d’opéra, déçus doivent être les bourgeois locaux privés d’une belle soirée entre soi à faire le bien) mais pour un concert ordinaire supplémentaire en lieu et place.

                Le programme est sans risque Rossini Mozart Beethoven. Je suis à l’orchestre au rang Gé et, à la fermeture des portes, peux reculer d’une case bénéficiant ainsi de la hauteur du rang Hache d’où l’on a belle vue sur l’ensemble de l’orchestre.

                On commence par l’ouverture de L’Italienne à Alger de Gioacchino Rossini puis c’est la Symphonie numéro vingt-neuf de Wolfgang Amadeus Mozart et, après l’entracte, la Symphonie numéro un de Ludwig van Beethoven, l’ensemble dirigé sans partition par le Maestro qui, à la fin, salue la main sur la cœur.

                Il peut revenir quand il veut.

    *

                Du sage chinois Su Dongpo, tiré de La Terrasse de la Tranquillité au dessus des contingences : En tous lieux je trouve du plaisir sans doute parce que je reste à l’extérieur des choses.

    *

                Cela fait un moment que sont de retour à Rouen ces tricycles officiellement affectés au transport d’êtres humains n’ayant pas le courage de marcher (à l’image de ce qui se fait couramment dans certains pays d’Asie). Cette fois pas de faux-semblant, ils ne sont utilisés que comme panneaux publicitaires. Régulièrement, l’un d’eux est attaché avec un antivol, rue de la Jeanne, devant le Palais de Justice, gênant le passage des piétons.

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