• Ce mercredi est trop chaud pour que j’arpente longtemps le trottoir, c’est en métro que je rejoins Saint-Michel pour découvrir ce que j’oublie d’une année sur l’autre. A chaque rentrée scolaire, les livres soldés chez les Gibert sont remplacés par des fournitures scolaires. « Même nous, ça nous ennuie », me dit l’un des libraires. J’ai donc tôt fait de prendre le bus Vingt-Sept qui mène chez le Book Off de l’Opéra où la pêche n’est pas très bonne.

    Je prends un café au comptoir du Bistrot d’Edmond puis vais chercher l’ombre au square le plus proche, le seul banc libre étant malheureusement à proximité de l’enclos où des moutards blancs s’ébrouent dans le sable poussiéreux sous la garde de jeunes femmes noires.

    C’est de là que va venir l’inattendu. Deux enfants se querellant, leurs nourrices s’en mêlent et se jettent l’une sur l’autre, s’empoignant pour régler le différend. Tous les moutards se mettent à hurler. D’autres nourrices ceinturent les combattantes et parviennent à les séparer. Pour un temps seulement, car deux minutes plus tard elles se castagnent à nouveau. Une femme crie qu’elle va appeler la Police. On demande des hommes à la rescousse. Je laisse un jeune père aller au contact. Les bagarreuses sont à nouveau séparées, continuant cependant à s’invectiver de loin.

    Une jeune femme noire vient rechausser une fillette blonde sur le banc prés de moi. « C’est n’importe quoi, me dit-elle. Heureusement Louise n’a rien vu, je l’ai prise dans mes bras et me suis tournée de l’autre côté ».

    Avant de rejoindre la gare, je fais un crochet par Chez Léon où je bois un diabolo menthe. C’est l’heure de l’apéritif mais sur les tables point de bonnes frites comme c’était le cas autrefois, m’a appris l’une de mes lectrices, juste des cacahuètes. La vieille dame qui les faisaient est toujours là, mais bien fatiguée.

    Le train de dix-neuf heures trente me ramène à Rouen où je viens en aide aux occupants d’une luxueuse voiture qui ne parviennent pas à trouver l’Hôtel Mercure en leur indiquant par quel labyrinthe l’atteindre. Ils y parviennent en même temps que moi. « Plus de place au parquigne » me dit la conductrice épuisée. Je lui souhaite bon courage.

    *

    Depuis plusieurs semaines, un piano est à disposition du monde qui passe à Saint-Lazare. Il a beaucoup de succès auprès des marginaux du coin. Un autre est dans la gare de Rouen. Jamais je n’y vois de musicien d’occasion.

    *

    Jeudi matin, j’aperçois deux gars de la ville qui manient le pinceau sur l’un des murs de la venelle où j’habite. C’est la brigade anti-graffitis. J’en chope l’un des membres et lui explique que la priorité, c’est d’enlever les gribouillages sur mon mur. « J’ai le produit chimique qu’il faut dans le camion, me dit-il, je m’en occupe. » Voilà qui est fait.

    *

    « Danger, chutes de pierres », plus moyen de prendre la Cathédrale de Rouen par le transept pour aller à la bouquinerie Thé Majuscule.

    Partager via Gmail Yahoo!

  • C’est aussi la rentrée pour la Société Nationale des Chemins de Fer où la nouvelle saison semble dans le prolongement des précédentes car, alors que je suis à attendre le direct de sept heures vingt-six pour Paris ce mercredi, une voix masculine annonce sa suppression en raison d’une « avarie matérielle ». Il est conseillé de prendre le train de sept heures douze dont le départ sera retardé à sept heures vingt-sept. J’y trouve donc place et découvre qu’il s’arrêtera dans toutes les gares, même celles de Bonnières et de Rosny-sous-Bois, près de deux heures pour aller de Rouen à la capitale.

    J’arrive peu avant dix heures rue du Faubourg Saint-Antoine. Le temps de lire Libération et Le Parisien au comptoir du coin et c’est l’ouverture de Book Off où l’on semble n’avoir guère renouvelé les rayons depuis mon dernier passage. Je ne m’y attarde pas.

    L’un de mes lecteurs m’ayant indiqué la bouquinerie Oxfam, rue Saint-Ambroise, je m’y rends à pied, passant par l’avenue Ledru-Rollin dans laquelle je découvre Betty Books, petite librairie américaine, et Au roi du boudin et du pâté de tête, charcuterie traditionnelle. Je tourne à gauche, boulevard Voltaire, une artère bien moins attrayante, boutiques chinoises de prêt à porter en gros, et arrive devant une église assez laide judicieusement nommée Saint-Ambroise.

    La bouquinerie Oxfam est de couleur verte. Ses prix sont au niveau des petites boutiques de livres d’occasion, bien que les siens lui soient donnés (c’est pour une bonne œuvre). De plus, ce jour, il y fait trop chand. J’en ressors donc sans avoir fait une bonne action.

    Revenant par la diagonale, la rue Popincourt (vêtements en gros et demi-gros itou), je passe au bout de l’impasse du même nom, qui me rappelle quelque chose. Je crois me souvenir qu’il s’y trouvait un haut lieu de la contestation dans les années Soixante-Dix, mais quoi ? Peut-être est-ce que cela avait un rapport avec les Insoumis et les Objecteurs.

    Revenu avenue Ledru-Rollin, je m’installe en terrasse au Petit Bougnat dans le but d’y déjeuner. Près de moi, un homme jeune prend un café, bientôt rejoint par une jeune femme. Je comprends vite que j’ai affaire à la Police (le Commissariat Central du Onzième Arrondissement est presque en face). Tandis que je mange (salade de lentilles au thon, travers de porc grillé purée, tarte au citron meringuée, douze euros cinquante) en buvant un quart de côtes-du-rhône (cinq euros vingt), j’écoute leur conversation.

    Lui est un nouvel arrivant dans la capitale, elle, une sorte d’assistante sociale qui lui donne les bons plans du parfait flic parisien : où il peut s’entraîner au tir « Tu viens avec ton pétard », où il peut faire de la lutte, etc.

    -Tu sais qu’à Paris il y a des piscines gratuites pour les collègues ?

    Il ne le savait pas, Elle lui enverra tout ça par mail. Quand tous deux traversent la rue vers le Commissariat, je constate qu’il le porte à la ceinture, son pétard.

    Partager via Gmail Yahoo!

  • Encore étonné d’avoir été apparemment le seul l’autre soir à l’Omnia à trouver mauvais le film d’Axelle Ropert Tirez la langue Mademoiselle, je cherche, maintenant que le film sort officiellement en salle, des critiques autorisées. Je tombe sur celle de L’Express, signée Christophe Carrière :

    « C'est qu'ici rien n'est laissé au hasard. Sûr que toutes ces portes qui s'ouvrent et se ferment signifient quelque chose. Quant à celles qui coulissent (il y en a !)... Voilà le cas typique du film d'auteur français qui pense mais qui ne réfléchit pas. Qui croit dire des choses mais qui brasse du vide. En deux mots comme en cent, qui ennuie. »

    Ben voilà, me dis-je, mais juste après j’en trouve une autre de L’Express, signée Xavier Leherpeur :

    « Une grâce de mise en scène qui ressemble à son auteur, réservée mais affirmée, où le creux, le délié et l'esquisse (choix d'écriture de quasi-résistance à une époque de surlignement scénaristique) contrastent les ambiguïtés, intensifient les silences et intensifient les troubles de ses personnages. Une ambition complétée et optimisée par sa manière de filmer ses acteurs (sublime trio tout en complémentarité de corps et de tonalité) à la fois frontalement et pourtant légèrement à la dérobée, donnant sans cesse à leur jeu un contrepoint délicat et une opacité supplémentaire. Après La famille Wolberg, Axelle Ropert fait mieux que tenir ses promesses, elle les sublime. »

    Ce complimentage surligné me laisse sur le cul.

    *

    Au Son du Cor, on parle encore des vacances : « En Thaïlande, il y a des pauvres mais tu vois pas la misère comme ici. Ils sont heureux là-bas. C’est un pays tropical. T’as juste à monter dans les arbres pour avoir de la nourriture. »

    Partager via Gmail Yahoo!

  • C’est au Tribunal Administratif de Rouen, à neuf heures trente ce mardi, que je fais ma rentrée à l’appel du Réseau Education Sans Frontières. Il s’agit de soutenir une famille de la ville menacée d'une quatrième Obligation de Quitter le Territoire Français (les trois précédentes ont été annulées par ce même Tribunal).

    En chemin, je croise trois collégiennes se sautant dans les bras « Tu m’as manqué » et deux mères de retour d’école « Monsieur Lheureux, il a dit les Céhemme Deux vous suivez madame Machin, les Céhemme Un vous suivez madame Truc, ça a été vite fait ».

    Nous sommes seulement quatre du Réseau. Des amies des parents pour qui nous sommes là sont également présentes. L’avocate de la famille vient de téléphoner, elle sera un peu en retard. Le Tribunal est en place avant qu’elle n’arrive en courant.

    Les affaires défendues par deux de ses confrères précèdent donc celles de la retardataire : quatre pour l’avocat pugnace à mèche de Tintin, une pour l’avocat confus plaidant courbé. Le ciel bleu remplace le ciel gris et j’espère quand arrive le tour de l’avocate qu’on va vite passer à la famille pour laquelle je me suis déplacé. Hélas non, les dossiers succèdent aux dossiers (il y en a seize, a dit la Présidente) et ce n’est jamais le bon. A onze heures et quart, je n’en peux plus et je file, furibard comme à chaque fois que l’on a disposé de mon temps.

    Cela commence mal. Je doute d’avoir cette année une bonne note en assiduité.

    *

    Deux lycéennes rue de l’Hôpital ; l’une à l’autre : « Mais je comprends pas pourquoi il faudrait changer de vêtements parce que c’est la rentrée. »

    *

    Une mère réjouie au Son du Cor : « Il est dans une classe pilote, classe sans notes, acquis, non acquis, en cours d’acquisition. »

    Partager via Gmail Yahoo!

  • Beau temps assuré ce dimanche, je prends la route de Villequier, longeant la Seine sur laquelle le bouillard remplace l’obscurité, et me gare à ma place habituelle, avant l’embouteillage. Par le chemin piétonnier du bord de fleuve, j’atteins le vaste déballage. Il y règne l’ambiance sereine des lieux où l’on ne manque pas d’argent. Je ne suis pas surpris que le premier vendeur à qui je demande le prix de ses livres de poche me réponde « Vingt centimes ».

    -Et ceux en grand format ?

    -Oh bah, ce s’ra aussi vingt centimes.

    Cela vaut la peine de se pencher sur ses cartons et d’en mettre une pile dans un sac qu’il me gardera jusqu’à mon départ.

    Il fait frais, l’air est humide, la Seine invisible. Parfois, on entend passer un bateau qu’on devine de bonne taille. J’arrive aux premières maisons qui marquent la fin de ce vide grenier. Une dame m’y propose des poches à cinquante centimes, ce qui peut sembler cher à qui vient de payer vingt centimes un livre de trente-huit euros. C’est une enseignante, pour qui la rentrée de demain ne va pas sans angoisse.

    D’autres dames sont plus détendues, que je croise en rebroussant, deux vieilles femmes qui font connaître Georges Ulmer à un vendeur de disques.

    -Ah, Georges Ulmer, dit l'une, je l’ai soigné quand il était malade. C’est lui qui chantait Pigalle, Un p'tit jet d'eau Un' station de métro Entourée de bistrots, Pigalle.

    Le trentenaire sourit poliment.

    -Belmondo aussi je l’ai soigné, ajoute la dame, Il était gentil.

    Je m’en mêle :

    -Il est mort Belmondo ?

    -Mais non, me dit-elle.

    -Alors pourquoi en parlez-vous au passé ?

    -C’est parce que c’est fini tout ça. J’étais infirmière à Paris et je suis revenue dans ma province à la retraite. Belmondo, il était gentil, il nous apportait des gâteaux le dimanche.

    Je laisse cette charmante personne à ses rêveries nostalgiques et arrive sur le monticule d’où la statue de Victor Hugo contemple la Seine, demandant à la vendeuse la plus proche un papier pour noter ce qui figure sur son socle.

    Au dos : « Il faut que l’herbe pousse et que les enfants meurent. Je le sais ô mon Dieu, Villequier, 4 septembre 1847 ».

    Sur le côté : « En souvenir de Léopoldine Hugo et de son mari Charles Vacquerie noyés en Seine ici le 4 septembre 1843 ».

    Devant la statue, dans l’herbe, une flèche de béton pointe l’endroit exact du drame. Aujourd’hui, une voiture est garée dessus.

    Je rentre en écoutant C’est déjà ça, l’album plein de chansons d’amour conjuguées au passé d’Alain Souchon. Sa durée est exactement celle du trajet Villequier Rouen.

    *

    Georges Ulmer, de son vrai nom Jørgen Frederik Ulmer, est né le seize février mil neuf cent dix-neuf à Copenhague et est mort le vingt-neuf septembre mil neuf cent quatre-vingt-neuf à Marseille, m’apprend Ouiquipédia. Né le même jour que moi, mort le jour de ma fête, bravo Georges !

    *

    Septembre : rentrez dans le rang, très dans le rang, très dans le rang, très...

    Partager via Gmail Yahoo!