•             Mercredi après-midi, je passe une heure quarante à l’Opéra de Rouen dans une ambiance juvénile à regarder Europa Danse (troupe regroupant des dix-huit/vingt ans de nationalités diverses) interpréter une série de courtes chorégraphies banalement nommée Drôle de danse et relevant de l’insolite, de l’humour et de la poésie. C’est frais, c’est vif, et ça me met de belle humeur pour affronter le soir venu le petit Chapiteau Cent-Six où chante Miossec.

                Je rejoins la tente à pied avec toutes les difficultés dues à la présence des manèges de la Saint-Romain, ensuite je stationne jusqu’à presque vingt heures le long du grillage un projecteur dans les yeux, puis je subis le pelotage du vigile, puis je supporte les deux premières parties (un duo russe qui fait la musique que l’on s’attend à entendre de la part de Russes du début du vingt et unième siècle suivi d’un chanteur dont on ne comprend pas les paroles mais que les filles présentes trouvent pas mal), enfin j’attends que la dernière mise en place se fasse, il est vingt-deux heures vingt, le Christophe entre en scène.

                Toujours le même, chantant autant accroupi que debout, se servant du pied de micro comme béquille, envoyant des vannes timides au public, il mêle les chansons de son dernier cédé avec d’anciennes mieux connues de moi et je me dis que c’est bien dommage que la musique (une vraie déferlante comme il s’en trouve là où finit la terre) couvre sa voix, qu’on ne comprenne qu’à moitié ce qu’il raconte.

                Ça se passe debout pourtant le public ne bouge pas, à peine s’il tape dans ses mains, il est vrai que la bière est sans alcool. Certain(e)s partent avant la fin, je ne sais si c’est la déception ou si c’est le travail aux aurores (à cause des foutues premières parties, il est plus de minuit quand s’achève la prestation).

                C’était bien mais frustrant, voilà ce que je pense en expérimentant le bus de nuit. Nous sommes sept à faire un grand détour, car il faut d’abord partir dans la direction opposée quand on quitte le Cent-Six pour rejoindre le centre de Rouen.

    Je tombe dans mon lit vers une heure moins le quart, tôt levé quand même le jeudi. J’ai beaucoup à faire (dont une valise et un tour à l’Ecole des Beaux-Arts pour un vernissage) avant de gagner le Hangar Vingt-Trois le soir venu pour y voir et entendre Dominique A (sans être fouillé, sans première partie, sans être obligé de rester debout). Et le Dominique, contrairement au Christophe (ils ont commencé ensemble dans un numéro des Inrockuptibles), on comprend ce qu’il chante, le bras droit comme une aile quand il ne joue pas de la guitare. C’est bien et pas frustrant. Je rentre à pied, courageux comme un oiseau, une courte nuit et je file à Marseille où doit me rejoindre celle qui n’y est plus.

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  •             Sans aucun doute, la bouquinerie de Rouen qui fonctionne la mieux c’est Le Rêve de l’Escalier. J’y passe presque chaque jour car le bon livre n’y traîne pas, à peine mis en vitrine, le voilà vendu au tiers de son prix neuf. C’est dire si j’achète, finançant ma dépense par la vente d’autres livres.

    Ainsi récemment j’y trouve, qui aurait fait le bonheur de plus d’un, le Petit traité à l’usage de ceux qui veulent toujours avoir raison de Georges Picard, ouvrage paru aux Editions José Corti en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf : Ce qu’il importe de retenir, c’est qu’un bon cerveau n’est rien sans une bonne technique, et que l’on peut apprendre à avoir raison sur un sujet donné comme on apprend l’anglais ou la chimie organique.

    Un autre jour, je m’y procure le manuel d’instructions aux soldats britanniques pour le débarquement de juin quarante-quatre, réédité aux Quatre Chemins en deux mille six sous le titre Quand vous serez en France. On y trouve des perles comme celles-ci :

    S’il vous arrive de croire que la première jolie fille française qui vous sourit se propose de danser le french cancan ou de vous inviter dans son lit, vous risquez de vous attirer de gros ennuis et vous compromettrez les relations franco-britanniques.

    Un uniforme ou un règlement provoquent chez eux une même réaction indéfectible : plutôt que d’obéir aveuglement, ils mettent la loi en doute et ne manquent pas de la critiquer s’ils l’estiment inutile.

                Une autre fois, ce sont les Ecrits érotiques de Stendhal et Mérimée qui font ma joie. Le bouquiniste en second, au moment où je paie, me dit qu’il était certain que ce serait moi l’acheteur.

                -Alors, il ne fallait pas mettre ce livre en vitrine, lui dis-je, il fallait me le mettre de côté.

                Cet ouvrage sulfureux a été publié aux Editions Blanche en deux mille deux dans une collection baptisée L’Enfer, dirigée par Emmanuel Pierrat, une édition où hélas aucun appareil critique ne permet d’en savoir un peu sur les textes. J’apprends juste en quatrième de couverture qu’on y trouve des extraits du Journal et des lettres de Stendhal ainsi que des lettres adressées à celui-ci par Mérimée. Du premier : Les demoiselles Rhédon autorisent beaucoup la familiarité. Coïc m’a dit souvent qu’on leur prenait les mains, voire la gorge et le cul, sans qu’elles s’en formalisassent, du second en voyage en Espagne : Une piastre vous procure une fille de quinze ans très jolie. Les temps changent, me dis-je, aujourd’hui il n’est pas davantage recommandé d’employer l’imparfait du subjonctif que de pratiquer le tourisme sexuel.

                Un autre jour encore, je croise dans cette sympathique bouquinerie de la rue Cauchoise le sémillant Hélios Azoulay. Il s’inquiète que je n’aie toujours pas acheté son excellent livre paru chez Jean-Claude Lattès en deux mille huit Scandales ! Scandales ! Scandales !

                -C’est que j’attends qu’il arrive au Rêve de l’Escalier, lui dis-je.

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  •             Dimanche matin, après un tour rapide au marché du Clos, je mets le cap avec celle qui me tient la main sur le cinéma Pathé des Docks Soixante-Seize où le Secours Populaire en est à son troisième jour de vente de livres d’occasion.

                Sur le quai de la rive droite s’agitent les sportives et sportifs d’habitude tandis que sous un pont dort un clochard gardé par un beau chien blanc. De l’autre côté de la Seine, les forains poursuivent l’installation de leurs manèges et loteries et sur celle-ci l’Amoco Cadiz remplace le Titanic. Je lui raconte le naufrage sur la côte bretonne et le pétrole partout à Portsall (bien avant sa naissance) et nous glosons sur l’humour des mariniers.

                Bientôt nous voici fouillant dans les bacs et pas pour rien, je trouve là Aventures d’un gourmand vagabond de Jim Harrison (publié chez Bourgois), ouvrage regroupant essais et lettres consacrés à l’une des passions de l’écrivain, et, toujours chez Bourgois, L’œil du vieux de Tiziano Scarpa, roman à la narration déstructurée racontant les amours de Carolina, étudiante à l’Académie des Beaux-Arts de Venise, qui gagne sa vie en restaurant les parties génitales censurées des mangas érotiques et de Fabrizio qui paye son loyer en fournissant du sperme matin et soir, dans des pots de yaourt, à sa logeuse qui s’en sert de crème de jouvence.

                Plusieurs fois (la dernière cet été lorsque nous étions coincés à Rouen par ma clave cassée), j’ai proposé à celle que se réjouit avec moi de ces trouvailles de restaurer ainsi ma collection de mangas érotiques sans que jamais elle s’y mette. La question est de savoir si ces dessins où l’on voit par exemple comme l’écrit l’auteur une jeune fille baisée par un corps transparent, un pur contour vide sont plus excitants tels qu’ils sont ou le contraire.

                Ce livre est en très bon état, comme s’il n’avait jamais été lu, pourtant il appartenait à la Médiathèque du Grand-Quevilly. Un coup de tampon reporté en plusieurs endroits à l’intérieur indique « Pilon le vingt et un mai deux mille neuf ». De nombreux livres en vente au Secours Populaire proviennent de cette bibliothèque. On y pratique, semble-t-il, à grande échelle le désherbage.

                Je paie quatre euros mes deux livres à la dame qui m’informe de la prochaine vente, ajoutant que l’on me voit à chacune, et au moment de partir j’ai l’œil attiré par un opuscule de Maurice Blanchot L’instant de ma mort, publié en mil neuf cent quatre-vingt-quatorze chez Fata Morgana, vingt pages sur beau papier, non coupées, jamais lues, où l’auteur raconte comment il fut pendant la deuxième guerre mondiale presque fusillé.

                Avec l’aide de celle qui m’accompagne, j’obtiens de le payer trente centimes et, rentré à la maison et elle repartie, quelle n’est pas ma surprise (comme on dit) d’en découvrir un exemplaire en vente sur un site marchand au prix de vingt-cinq euros.

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  • C’est après avoir dû supporter tout l’après-midi, m’empêchant d’écouter tranquillement la radio, l’hélicoptère d’Hortefeux surveillant les tracteurs des paysans de droite fâchés par celui qu’ils ont contribué à élire, que je prends le soir venu et le calme revenu le chemin de l’Opéra de Rouen où Laurence Equilbey et son chœur accentus donnent leur premier concert de la saison.

    Je suis encore une fois au premier balcon, pas très bien placé, toutefois je vois la quasi totalité de la scène hérissée d’une quinzaine de perches porteuses de micro. Il y a de l’enregistrement dans l’air ce que confirme une voix venue d’outre scène qui demande au public d’éviter les bruits parasites, autrement dit : allez tousser ailleurs, un conseil ou un ordre que pour ma part je donnerais bien à chaque concert et qui ce soir ne sera pas suivi.

    Ce n’est pas de tousser que je risque, oyant les Motets pour choeur a capella d’Anton Bruckner puis les Trois motets et les Maximes festives et commémoratives de Johannes Brahms, mais de ronfler car malgré la prise d’une bonne dose de caféine en intraveineuse, je me sens on ne peut plus fatigué.

    Après l’entracte, accentus chante Philippe Manoury, d’abord Trakl Gedichte, une commande du mécénat musical d’une banque que je préfère ne pas nommer, et cela m’énerve au plus haut point que les poèmes de Georg Trakl soient ainsi vendus à un banquier par un musicien, du coup je n’ai plus du tout envie de dormir, et sans crainte de faire un bruit inopportun j’écoute la suite du programme, Inharmonies et enfin Slovà, une musique contemporaine qui n’est pas du goût de tout le monde, une femme devant moi prend la fuite, le couple à ma droite refuse ostensiblement d’applaudir.

    Pas de bis ce vendredi soir, nous indique Laurence Equilbey à la fin du concert, la faute à des enregistrements complémentaires qui ne peuvent attendre, mais nous en aurons deux la prochaine fois.

    Georg Trakl est connu tout autant pour ses amours incestueuses avec sa sœur Margarethe que pour ses poèmes. Il est mort à vingt-sept ans, dans la nuit du deux au trois novembre mil neuf cent quatorze à Cracovie, d’une overdose sans doute volontaire de cocaïne.

    Georg Trakl succomba à la guerre, frappé par sa propre main.
    Et ce fut tant de solitude dans le monde. Je l'aimais.

    écrivit alors son amie Else Lasker-Schüler.

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  • Vendredi matin, par le quai de la rive droite, je me dirige pédestrement vers les Docks Soixante-Seize où, à dix heures, le Secours Populaire ouvre une vente de livres au profit de ses bonnes œuvres. De l’autre côté de la Seine, on monte les manèges de la Saint-Romain et on construit la future salle Cent Six. Au loin, le pont Flaubert sort de la brume. Une péniche baptisée Titanic cherche à se garer. Tout est calme, mais pour bientôt sont annoncés mille tracteurs venus des campagnes de Haute-Normandie pour envahir la ville à la demande de la Fédération Nationale des Syndicats d’Exploitants Agricoles dont les adhérent(e)s votent toujours à droite. Des affiches jaunes non signées sont collées un peu partout « Les agriculteurs souffrent/ Le gouvernement ne fait rien/ Bruno Lemaire démission ».

    Arrivé aux Docks, je me laisse porter par l’escalier mécanique jusqu’au deuxième étage. Cela se passe au cinéma Pathé et visiblement à l’intérieur on est loin d’être prêt.

    Dix heures sont déjà passées depuis longtemps qu’on en est encore à vider les cartons. Pendant ce temps, à la limite du rideau levé s’agglutinent des acheteurs et des acheteuses de plus en plus agacé(e)s. Certain(e)s tentent d’attirer l’attention mais ces dames tournent le dos aux clients comme au bon temps des démocraties populaires. Je ne suis pas le moins furieux, trouvant insupportable que l’on dispose de mon temps.

    Il est presque dix heures et demie lorsqu’un acheteur prend la tête de la révolte : « Messieurs dames, je vous propose qu’on y aille ». Tout le monde le suit et s’engouffre dans le cinéma. Une vendeuse s’insurge : « Mais qui vous a dit d’entrer ? ». Je laisse à d’autres le soin de répondre et cherche mon bonheur parmi les livres à vendre, mais il n’est pas au rendez-vous, rien ici qui puisse m’intéresser, ou alors c’est qu’il y a trop de monde et qu’il fait trop sombre dans le coin où est confiné le Secours Pop.

    Je quitte vite les lieux, bredouille et fort énervé, ayant envie de chercher noise au premier qui passe, me gardant cependant de m’en prendre aux fiers Céhéresses en tenue que je croise devant le Musée Flaubert, embusqués là pour défendre la Préfecture si jamais la manifestation paysanne tourne à la jacquerie.

    Poussant jusqu’à la place Saint-Marc, je découvre à l’étalage d’un sympathique vendeur du marché du vendredi Pierre Louÿs, une vie secrète, biographie due à Jean-Paul Goujon, parue en mil neuf cent quatre-vingt-huit chez Seghers/Pauvert. Il ne m’en faut pas plus pour retrouver ma bonne humeur.

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  • Jeudi soir, je suis au premier balcon de l’Opéra de Rouen pour la dernière représentation de Lakmé, l’opéra de Léo Delibes dont le livret a été écrit par Edmond Gondinet et Philippe Gille d’après Le Mariage de Loti de Pierre Loti. Le risque d’une mise en scène orientaliste dégoulinante est heureusement exclu car la mise en espace est de Richard Brunel dont j’ai apprécié l’an dernier celle faite pour Albert Herring de Britten, la scénographie d’Anouk Dell’Alera (architecte) et les lumières de Laurent Castaingt.

    Cependant que dans la fosse les musicien(ne)s se chauffent, je me plonge dans le livret programme. Yannick Simon, qui est maître de conférence à l’Université de Rouen et qui écrit des livres qui pourraient m’intéresser (Composer sous Vichy aux Editions Symétrie, La Sacem et les droits des auteurs et compositeurs juifs sous l’Occupation à La Documentation française), y indique que Léo Delibes était à Rouen pour la représentation de Lakmé au Théâtre des Arts en mil huit cent quatre-vingt-sept. Il tire cette information de la lecture de l’article du critique musical du Journal de Rouen (l’ancêtre de Paris Normandie) présent ce soir-là et racontant tout ça dans le journal du lendemain. Bien longtemps qu’un journaliste local ne fréquente plus l’Opéra lors des représentations, il y a tant à faire maintenant avec le foute et le hoquet.

    L’orchestre est prêt, le chef d’orchestre se fait applaudir. C’est Roberto Fores Veses. Il est perché de manière à avoir un œil sur l’orchestre et un œil sur la scène. Il lance l’affaire avec fougue. Bientôt le rideau se lève sur une mer de tissu bleu ciel et Lakmé apparaît, surgie du sous-sol. Cette histoire de père possessif et de fille voulant s’émanciper est sobrement mise en scène et fort bien chantée, notamment par le ténor Jean-François Borras (Gérald, le séducteur) et par la soprano Petya Ivanova (Lakmé), qui est applaudie comme il se doit après l’air des clochettes. Tout le monde sur scène est vêtu de noir.

    Je sors de là content et descendant l’escalier, j’entends sans surprise que la mise en scène a déplu à certain(e)s de la bourgeoisie bourgeoisante : « La peinture bleue sur le visage de Lakmé, ah non, ça ce n’est pas possible ! »

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  • Il y a deux semaines, je vends via Internet une revue de bandes dessinées achetée dans les années soixante-dix, à l’époque de ma folle jeunesse, quand je me passionnais pour les petits miquets et ne manquait pas un numéro de L’Echo des Savanes, Fluide Glacial, Mormoil, Tousse Bourrin, Métal Hurlant, Charlie, Zinc et j’en oublie, qui dorment dans mes placards. Je ne m'intéresse plus guère à la bédé aujourd’hui (c’est un euphémisme) mais le nom de mon acheteur ne m’est pas inconnu : un certain Charles Berberian.

    Mercredi dernier, j’achète à Paris, chez Boulinier, Notre folle jeunesse, cédé de Rezvani/Bassiak que j’écoute ce jeudi en feuilletant le petit livre des paroles qui l’accompagne Nous vivions deux/ si seuls dans la vie/ Nous nous aimions/ le reste/ le reste importait peu.  J’y découvre en dernière page un tampon ex-libris représentant un petit homme à lunettes vêtu de noir jouxté d’une adresse, d’un numéro de téléphone et d’un nom : Charles Berberian.

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  • Je monte au sixième étage du Centre Pompidou où s’ouvre ce mercredi quatorze octobre l’exposition organisée pour les quatre-vingt-dix ans de Pierre Soulages, laisse celles et ceux qui ont envie de s’instruire lire le texte de présentation, entre directement dans la salle numéro un, je ne connais pas bien les tableaux de Soulages. Chaque fois que j’en ai vu un, il m’a retenu.

    Les premières œuvres montrées sont de mil neuf cent quarante-sept, réalisées au brou de noix, à l’encre ou à la gouache, allant du quasi noir à l’ocre clair, des tracés qui rappellent les calligraphies chinoises (également des goudrons sur verre). « C’est ce que je fais qui m’apprend ce que je cherche » déclare-t-il en mil neuf cent cinquante-trois (bien avant qu’apparaisse la notion et le mot de sérendipité), un propos qu’il reprend bien plus tard, devenu, selon la formule consacrée, le peintre du noir et de la lumière : « Le noir a des possibilités insoupçonnées et, attentif à ce que j’ignore, je vais à leur rencontre. »

    Dans les tableaux des décennies suivantes, le noir prend de plus en plus de place jusqu’à ce qu’il occupe tout l’espace, ce que Soulages met en scène dans la salle numéro cinq, qu’il a voulu entièrement noire murs sol plafond à l’exception d’un mur blanc violemment éclairé ; lui font face trois tableaux entièrement noirs réfléchissant la lumière, outrenoirs « et comme Outre-Rhin et Outre-Manche désignent un autre pays, outrenoir, un autre champ mental que celui du simple noir ». Nous sommes en mil neuf cent soixante-dix-neuf. « J’aime l’autorité du noir, sa gravité, son évidence, sa radicalité. » écrit Soulages en deux mille cinq.

    Suivent les grands polyptyques outrenoirs à l’huile plus ou moins mélangée de résine, puis à la pâte acrylique, striés, sillonnés, creusés, certains dans la dernière salle (numéro dix) suspendus dos à dos. Les tableaux de Soulages ne portent pas de nom, juste leurs dimensions et la date de réalisation. Les deux plus récents sont du dix-neuf février et du deux mars deux mille neuf (« Le polyptique a été pour moi un moyen d’introduire une rupture dans la continuité d’une surface »). J’ai envie de toucher mais évidemment on ne peut pas. Je me contente de regarder longuement, bien assis dans les canapés blancs (même les chaises des gardien(ne)s sont recouverts de tissu blanc).

    J’aime le noir également, en suis vêtu ce mercredi comme très souvent, pas mal de visiteurs et visiteuses aussi. Néanmoins, du fond de mon canapé blanc, je repère un pull rose, une chemise mauve, un collant jaune d’or et une petite culotte rouge sous un djine bleu troué, tout cela surveillé par un gardien à chemise orange.

    -Je passerais bien des heures ici, dit la dame du canapé voisin à son mari, comment postule-t-on pour être gardien ?

    -Oh tu sais, lui répond-il, tu finirais par t’emmerder.

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  • Retour à Paris pour un mercredi merveilleusement ensoleillé, je commence comme souvent par les libraires dont les livres font le trottoir (Boulinier, Silly Melody, Joseph Gibert, Gibert Jeune, Mona Lisait). J’y trouve à bas prix quelques ouvrages dans mes domaines de prédilection : Dans les pas de Byron et Tolstoï (du lac Léman à l’Oberland bernois) de Mikhaïl Chichkine (Noir sur Blanc), ouvrage qui évoque également d’autres immigrés suisses (Goethe, Rilke, Balthus, Nabokov, etc.), Ecrire les camps d’Alain Parrau (Belin) où l’on croise entres autres Primo Levi, David Rousset, Robert Antelme, Varlam Chalomov et Alexandre Soljenitsyne, A l’ombre des pêchers en fleur, roman libre du dix-septième siècle chinois (Picquier), Quart-monde de Diamela Eltit, roman de mauvaises mœurs chilien (Christian Bourgois) et Les Secrets de Florence Nightingale, roman orgiaque, baroque et cruel anglais d’Alice W. Payne, née au début du vingtième siècle et dont on sait peu de chose. J’achète aussi chez Boulinier Notre folle jeunesse, livre/cédé de dix-sept chansons jouées et chantées par Rezvani dans les années soixante quand il se faisait appeler Bassiak (Deyrolle).

    Je cherche la rue Quincampoix et entre au numéro trente-huit dans la galerie Issue pour y voir les dessins de Craoman (que j’aime bien) et ceux de Dav Guedin (que je découvre). Le lieu est vaste, un jeune homme et une jeune fille séparés par un ordinateur y sont occupés à des taches mystérieuses. Malheureusement, on y entend de la musique râpeuse française, idées simples et dictionnaire de rimes. Je fais le tour et on se dit au revoir.

    Je passe davantage de temps avec les employés originaires d’Afrique Noire du restaurant Kentucky Fried Chicken. Ils occupent les lieux à l’initiative de la Cégété qui doit se faire pardonner l’évacuation brutale des Sans Papiers de la Bourse du Travail. Je leur explique que la pétition qu’ils font signer n’a pas de valeur légale car le texte à approuver n’est pas sur la même feuille que les signatures, mais de toute façon je ne crois pas qu’elle serve à quelque chose. Je leur dis bon courage et me dirige vers le Centre Pompidou. C’est le premier jour de l’exposition Soulages.

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  • Mardi fin d’après-midi, décidé à en savoir un peu plus sur mon oreille gauche bouchée, j’entre chez mon médecin (mal)traitant et y trouve deux jeunes femmes, l’une masque sur le nez. Je m’assois le plus loin possible puis comprends que j’en ai pour un moment et attendre je ne veux pas surtout en côtoyant le virus de la grippe Hache Un Haine Un.

    Je quitte les lieux, rejoins ma voiture et pars pour Saint-Etienne-du-Rouvray. Au célèbre rond-point des vaches, je tourne à gauche et me gare devant Electro Dépôt où j’achète un rasoir électrique et un chargeur de piles en remplacement des miens en panne puis traverse la rue. A la solderie Babou, je file droit au bac à chaussettes et, pour ne pas avoir à y revenir de sitôt, j’en prends trente paires, noires évidemment.

    En attendant qu’il soit l’heure du spectacle des Puppini Sisters au Rive Gauche, j’achète une plaque de chocolat au Mutant et la mange dans ma voiture en écoutant sur France Cul l’hommage rendu à Alain Crombecque, directeur du Festival d’Automne, mort le matin même d’un arrêt cardiaque, peut-être (laisse entendre l’un des invités) d’avoir mal vécu l’audit (comme ils disent) demandé par le pouvoir.

    Bien longtemps que je ne suis pas venu au Rive Gauche, impossible de m’y abonner les années précédentes, maintenant les choses se font par courrier et donc m’y revoilà, bien placé en Heu Deux, attendant que se pointent les sœurs Puppini.

    C’est Prince Charles qui m’a amené là. Il les aime bien, ces trois sœurs  Encore que je me demande si je peux lui faire confiance car quand il a appris que Valéry Giscard dans un roman racontait sa liaison (c’est comme ça qu’on dit) avec Princesse Diana (mais il n’a pas eu à passer un oral chez Téheffun pour avouer que c’est faux), il a dit, Prince Charles, comment cela aurait-il pu être possible à cette époque elle avait vingt-trois ans et lui cinquante-huit, j’en connais une que ça a fait rire aussi.

    Trois musiciens se mettent en place en fond de scène, guitare, batterie, contrebasse, puis les trois filles entrent en scène, robes rouges à jupe fendue et chaussures assorties à talon haut. Le numéro de musicaule inspiré des Andrews Sisters peut commencer et il a raison, Charles, ça vaut le coup. Elles chantent bien les trois filles, des vieilleries revisitées mais aussi des chansons de Kate Bush, Gloria Gaynor, Blondie et autres, s’aventurant même, après l’entracte et un changement de tenue, chez Plastic Bertrand.

    Je passe donc une bonne soirée avec ces Puppini Sisters pulpeuses comme Betty Boop (surtout l’une). Oh, Stefanie, you’re so sexy !

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