• Notre dernière journée à Pittsburgh commence par une mauvaise nouvelle. Au réveil, celle qui s’est occupée de tout apprend que la chambre réservée à Columbus est inaccessible par bus. Après le petit-déjeuner, elle passe donc un certain temps à en chercher une autre, mettant des options sur plusieurs. En conséquence, quand nous quittons la maison de Wilkinsburg elle doit se charger de son ordinateur pour connaître les réponses. C’est notre seul moyen de communication avec l’extérieur lointain, ce qui surprend toujours nos interlocuteurs américains :

    -We have no car and no cell phone.

    -Really?

    Un bus va à Oakland University, lieu remarquable. On le prend et on se retrouve bientôt au pied de la Cathédrale du Savoir (Cathedral of Learning), building de quarante-deux étages de style néogothique datant de mil neuf cent trente-cinq. Nous y pénétrons et grimpons d’un coup d’ascenseur rapide au 36th floor d’où l’on a une vue superbe sur la ville de Pitt et les lointains.

    Redescendus, nous visitons les salles de cours non occupées des étages inférieurs. Chacune est meublée et décorée à l’image d’un pays du monde. Nous terminons la visite par l’immense salle de lecture du 1st floor aux hautes voûtes gothiques où travaillent sous les lustres à de petites tables rondes de studieux étudiants et d’appliquées étudiantes.

    Nous nous installons à l’une de ces tables. Tandis que je parcours le journal quotidien de l’Université, elle tente de se connecter à Internet mais pas moyen de le faire sans code d’accès personnel. Je passe par les restrooms pour hommes où l’on pourrait faire pipi à cinquante mais j’y suis seul.

    Face au gratte-ciel de la Cathédrale du Savoir se trouve la Heinz Chapel, réplique de la Sainte Chapelle parisienne. Après l’avoir parcourue, nous retournons vers le bâtiment universitaire et avisant un professeur sur un banc occupé à manger des sushis, celle qui me tient la main lui demande où il les a eus. Tous simplement au sous-sol du bâtiment géant. S’y cache la cafétéria des étudiants chanceux où tout un chacun est autorisé à se restaurer. Diverses cuisines du monde y sont proposées. Nous achetons makis et sushis que l’on mange dans le parc, assis sur un banc à l’ombre. L’étudiant du banc voisin nous demande d’où l’on vient. Il étudie le français et le parle à peu près bien.

    Puis, comme notre Guide Bleu de l’an quatre-vingt-quatorze nous dit qu’on est à deux kilomètres de Downtown, on entreprend sous un soleil ardent la descente de Forbes Avenue qui y mène tout droit. Notre but nous apparaît assez vite plus loin qu’indiqué. Un Mc Do nous permet de faire une pause thé et café. Nous sommes un peu tendus, fatigués par la marche et la chaleur. Tandis qu’elle consulte Internet, je vais attendre dehors, photographiant le Pamela's Diner dont les vitres à l’étage sont ornées d’une inscription de soutien à Obama 2012. Elle me rejoint avec une bonne nouvelle : on aura une chambre à Columbus chez un jeune couple sympa. Ils viendront même nous chercher en voiture à la gare Greyhound.

    Nous reprenons la descente de Forbes Avenue, interminable et épuisante, côtoyant des voies rapides, traversant une bretelle à la course. Nous arrivons enfin dans une vague zone commerciale, rincés par la chaleur et la trop longue marche, et entrons dans un bar quelconque pour y prendre café et thé. Le comptoir circulaire où sont accrochés des solitaires me fait penser à Hopper.

    -Hopper, c’est bien, me dit-elle, sauf si on est dedans.

    Nous repartons courageusement et on finit par arriver Downtown. Nous trouvons Smithfield Street, tournons à droite, traversons la Monongahela River par le Smithfield Bridge et prenons le funiculaire (Monongahela Incline, 1870) qui nous conduit au sommet du mont Washington qui fait face au centre ville. Là-haut,  nous allons de belvédère en belvédère d’où nous prenons en photo de haut les buildings de Pitt, ses rivières et ses ponts élégants. On aperçoit très loin la Cathédrale du Savoir d’Oakland. C’est fou ce qu’on a marché.

    Redescendus et repassés sur l’autre rive, nous faisons quelques courses, salade de tomates, salade de fruits et vermouth.

    Dans le bus P71 qui nous ramène à Wilkinsburg, on retrouve l’une des dames inquiètes de l’autre jour et rentrés à la chambre, on en boit un peu trop de vermouth.

    *

    A Pittsburgh : les casques à petit rétroviseur de certains cyclistes.

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  • Première galette à la frangipane ce samedi midi avec celle qui est arrivée deux heures plus tôt à Rouen, un modèle pour quatre dont on devait garder la moitié pour le lendemain mais nous ne sommes pas raisonnables, une part en entraîne une autre et c’est elle qui a la fève. Oh ma Lou/ Oh ma Lou/ Oh Marilou/ J'aim' tes deux/ Seins, tes yeux/ Et ta fève, chante Bashung sur le cédé qu’elle m’a offert pour le Nouvel An et qui tourne en boucle pendant le repas.

    Le lendemain matin, nous passons par le marché et allons prendre une boisson chaude au café Le Clos Saint-Marc. Tandis qu’elle dessine quelques clients, je feuillette Liberté Dimanche qui parle en photos de la visite de Hollande à Val-de-Reuil et à Louviers, difficile de saisir une lueur dans l’œil du Président falot.

    L’après-midi, nous profitons de la gratuité de premier dimanche du mois en allant visiter le Musée des Beaux-Arts. Ce ne sera que les trois quarts du Musée, apprenons-nous en arrivant, le quart supérieur droit étant fermé pour des raisons techniques.

    Je demande à la guichetière quelle est cette raison technique. Un manque de personnel, me dit-elle, dû à la maladie. Point de personnel non plus au vestiaire, la préposée est maintenant remplacée par des casiers à clé. Nous laissons nos sacs dans l’un d’eux et visitons ce qui est visitable, notamment l’exposition Nicolas Colombel qui ne nous excite guère. Quant aux salles relouquées par Christian Lacroix, dont elle trouve comme moi la moquette intéressante et l’essaie même en s’y couchant salle Zao Wou Ki, nous n’y passons que rapidement. La salle Buraglio se trouvant dans la partie non visitable, nous ne saurons pas si elle en valait la peine.

    Nous rentrons par des rues vides à en donner le cafard.

    *

                Les portraits de Jacques-Emile Blanche, décrochés pour laisser place à l’expo de Lacroix sur ce peintre et le décor, ne sont pas perdus pour tout le monde. Pierre Bergé, ami de Laurent le Fabuleux, les a récupérés pour les exposer en sa Fondation Bergé Saint-Laurent.

    *

    Au programme de Hollande à Val-de-Reuil, un passage par mon ancienne adresse, à l’angle de la rue Septentrion et de la rue du Pas des Heures, en compagnie des architectes chargés de « la réhabilitation de la copropriété dégradée La Garancière ».

    « Copropriété dégradée », j’aime bien cette formulation pour désigner l’endroit où j’ai vécu sept ans avant de revendre à perte mon appartement et de redevenir locataire.

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  • Après la Guerre, les Editions Buchet/Chastel prennent leur essor et publient moult écrivains de talent. Edmond Buchet n’évoque pas qu’eux dans Les auteurs de ma vie, il raconte aussi les personnalités du monde littéraire et artistique qu’il croise ici ou là :

    12 novembre 1950 Eté la semaine dernière à l’enterrement du pauvre Léo Larguier à l’Oratoire. (…/…) j’avais derrière moi Léautaud, la tête serrée dans un foulard noir, sa canne à pommeau d’argent à la main, moitié vieille femme, moitié Voltaire (mais Voltaire aussi ressemblait à une vieille femme), vraie figure de musée Grévin. J’avais eu une longue conversation avec lui au Mercure, il y a quelques années, au sujet des traductions de Nietzsche. Il trouvait celles d’Albert excellentes et je les trouvais exécrables, mais il faut dire qu’il ne sait pas l’allemand.

    1er mars 1952 Léautaud n’est pas seulement le vieil original grincheux, méchant (je l’imaginais tel après la lecture de quelques extraits de son Journal littéraire), et quelque peu dandy. Avant tout, il est un homme, je dirai même que, malgré ses soixante-dix-neuf ans, il est un jeune homme. Comme il a préservé ses facultés d’indignation ! Il s’exprime enfin avec une sincérité admirable (on comprend qu’il méprisait celle de Gide) et sans jamais s’interpréter. Oui, un homme, un caractère.

    22 mars 1952 Nous sortons cette semaine Le Monde du Sexe d’Henry Miller. C’est un beau livre qui, sans valoir les Tropiques, est sincère, émouvant, avec de grandes envolées lyriques. Cependant les libraires ne prêtent guère attention à ces qualités littéraires. Ils connaissent leur clientèle. « Si c’est très cochon, disent-ils à nos représentants, mettez-en douze, si c’est moyennement cochon, mettez-en six, si ce n’est pas cochon, mettez-en un. »

    10 janvier 1953 Rentrant d’un bref séjour en Suisse, j’ai trouvé ici Henry Miller et une jeune femme d’une trentaine d’années qui s’appelle véritablement Eve ; il a l’intention de l’épouser dès qu’il sera divorcé de sa femme précédente.

    Certes Miller ressemble à ses photographies, mais il est cependant plus fin, plus délicat, plus faible aussi sans doute.

    12 avril 1953 Eté avec Miller et les Schatz voir Vlaminck, ses toiles et ses sculptures nègres, à Rueil-la-Gadelière.

    Miller a été enchanté de Vlaminck qui n’a pas cessé de raconter des histoires à sa façon. (…/…)

    Il faut dire que ce dernier est vraiment bon diable. Il ne me garde aucune rancune de ne pas être allé le voir depuis la guerre et de lui avoir refusé un manuscrit il n’y a pas un mois.

    22 mai 1954 Réception au Cercle Interallié, en l’honneur de Steinbeck, dont le nouveau roman paraît chez Del Duca. Il est environné de microphones, on ne peut l’approcher. Physique très américain, figure rougeaude, peu intellectuelle. Marie-Laure Bataille, qui est son agente, m’assure qu’il est capable de boire vingt-cinq cocktails de suite. Et Max-Pol Fouchet : « C’est pourquoi il fait des romans de huit cents pages. »

    29 juin 1954 Bertolt Brecht à Paris. J’aurais voulu organiser une réception en son honneur, puisque nous avons édité son Roman de Quat’ Sous, mais, comme Miller, Brecht déteste ce genre de cérémonie. (…/…)

    Roger Vailland qui lui a rendu visite à Berlin me racontait les mœurs curieuses de Brecht qui dispose d’un harem de trois ou quatre femmes qu’il loge dans une tour au fond de son jardin.

    15 décembre 1957 J’apprends par Clarisse Francillon avec beaucoup de retard, la mort au Canada de Malcom Lowry. Mort passée inaperçue. Son chef-d’œuvre Au-dessous du volcan dont nous avons eu l’honneur de publier la version française est un livre unique, un livre extraordinaire. Il semble que tout se soit conjugué d’une façon miraculeuse pour sa création : l’âge de la maturité, l’isolement, l’expérience, le juste degré d’alcoolisme et puis aussi la perte du manuscrit au Mexique et l’obligation de le récrire, digéré, décanté, sublimé peut-être.

    Le juste degré d’alcoolisme, il y avait longtemps, hélas, que Lowry l’avait dépassé. Clarisse, chez qui il habitait lorsqu’elle traduisait son livre me racontait qu’il possédait une sorte d’instinct pour sentir l’alcool à distance. Il buvait tout, même de l’eau de Cologne.

    7 mai 1960 De commerce difficile, susceptible et méfiant, Durrell commence cependant à devenir plus amical. Il m’assure même, dans sa dédicace, de son affection.

    Il me confirme que Miller a abandonné Eve pour une étudiante de vingt-quatre ans qui l‘accompagne. Il va en avoir soixante-dix.

    24 janvier 1961 Long tête à tête avec Robbe-Grillet. Je le vois chez lui, avenue Maillot. Il vit dans un bel appartement, à la fois moderne et bourgeois, mais il est seul, il m’ouvre la porte lui-même, en pantoufles et non rasé, comme s’il sortait du lit. Il vient de se faire du thé, il m’en offre. Il est possible que cela représente son petit-déjeuner, bien qu’il soit dix-huit heures.

    31 mai 1961 Ionesco doit avoir une soixantaine d’années, mais, malgré quelques bajoues il fait plus jeune, son regard est vif, ses gestes et ses paroles simples et spontanées. C’est un homme heureux…

    23 avril 1962 Hier, dimanche de Pâques, les Ionesco et Miller sont venus passer la journée au Vésinet. Ping-pong avec Miller. Quant à Ionesco, il se plaint : il ne peut plus rien écrire, il se sent vidé, incapable de se renouveler.

    30 juin 1962 Après le film, nous avons passé quelques instants avec Godard et la très gracieuse Anna Karina. Peu de couples me semblent plus mal assortis.

    Godard n’a-t-il pas la vocation du malheur ? J’ai bien connu sa mère et son grand-père, Julien Monod, le factotum et le tyran de Valéry et son père aussi qui était médecin à Nyon. Le petit Godard se plaisait à répéter : « Je suis un enfant malheureux. »

    22 août 1967 Michèle Bernstein vient de m’apporter un manuscrit très remarquable sous l’angle de l’intelligence et de la rigueur de son mari Guy Debord. Ces situationnistes ont une pureté que j’admire, une pureté et une intransigeance qui les brouillent avec tout le monde et d’abord, bien entendu, avec les communistes. (…/…)

    Je lui demande toutefois de changer le titre, moins public que celui de Vaneigem. La Société du Spectacle prête à confusion. (…/…) Mais Debord est aussi entêté que Robespierre et Saint-Just additionnés. (…/…)

    J’estime beaucoup le livre, mais je pense qu’il s’agit essentiellement de théorie et de spéculations intellectuelles. Michèle Bernstein me détrompe et m’assure que nous verrons prochainement de grands bouleversements dans plusieurs pays d’Europe et en France même.

    En mil neuf cent soixante-neuf, Edmond passe le relais à son fils Guy et en deux mille Buchet/Chastel est repris par les Editions Noir et Blanc qui contrôlent aussi Phébus.

    *

    Edmond Buchet est mort en mil neuf quatre-vingt-sept à l’âge de quatre-vingt-dix ans, lui qui écrivait le six septembre mil neuf cent quarante-deux : Je comprends Stendhal qui, le jour de ses cinquante ans, marquait ce chiffre sur sa ceinture. Au milieu des angoisses et des souffrances du monde actuel, on ne devrait plus pouvoir penser à soi ; cependant, vieillir est important et plus grave que d’être fusillé.

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  • Que de rencontres intéressantes a fait Edmond Buchet, citoyen suisse et moitié des Editions Buchet/Chastel fondées en mil neuf cent trente-six sur les ruines des Editions Corrêa, dont je viens de lire le journal publié sous le titre Les auteurs de ma vie (Jean Chastel s’occupait de l’intendance).

    Les débuts sont difficiles, pendant lesquels Buchet et Chastel ne se paient pas (comment vivaient-ils, je ne sais pas), puis leur tombe dessus la Deuxième Guerre Mondiale qu’ils traversent sans se compromettre avec l’occupant. La première partie du journal d’Edmond Buchet est donc également une histoire en creux de la Guerre. J’en note quelques pépites :

    10 juin 1938 Déjeuné dimanche chez Vlaminck à Rueil-la-Gadelière, non loin de Dreux. Il habite une maison de campagne, La Tourillière, à moitié ferme, bordée d’un grand enclos où poules, canards, lapins, cochons s’ébattent en liberté. (…/…) Avec ses bottes qui lui montent jusqu’au ventre, il paraît plus fauve que jamais. (…/…) Au milieu du repas il va chercher son manuscrit et nous en lit des passages en s’étonnant bruyamment de son propre génie. Il m’interpelle en se tapant sur les cuisses : « Dites donc, Buchet, est-ce que ce n’est pas formidable ? Et celle-ci, écoutez donc ! »

    10 juin 1939 Ainsi que beaucoup de pédérastes, Sachs est très gentil avec les femmes. Il a charmé M. lors d’un cocktail rue de l’Abbé-Grégoire. Elle l’a invité à dîner. Je l’avertis de faire attention aux couverts.

    16 novembre 1939 Maurice Sachs est revenu. Il avait été mobilisé et affecté comme interprète auprès d’un régiment d’Ecossais qui tenait garnison à Cherbourg. (…/…) Il me raconte que sa tâche consistait à se tenir sur un petit tabouret à l’entrée d’un bordel et à traduire les demandes des Ecossais. Entre-temps, il lisait les quatre livres qu’il avait pu emporter : Villon, Walt Whitman, Coleridge et une Histoire de la peinture en Italie. Pour le récompenser de ses services, la sous-maîtresse lui offrait parfois « une de ces dames ». « Vous pouvez vous imaginer que je refusais », me dit-il d’un air encore horrifié.

    27 avril 1940 Visite de Blaise Cendrars, vêtu de battle-dress, de plus en plus enthousiaste de la guerre et des Anglais.  Il vient de faire un reportage à bord d’un sous-marin patrouilleur. Il nous raconte son duel au whisky avec l’aumônier d’un régiment écossais, la nuit de Noël. Il a été vainqueur, mais l’adversaire, qui a fini par rouler sous la table, était, paraît-il, de taille.

    17 décembre 1940 Rencontré Robert Brasillach. Je le croyais encore prisonnier. Je n’ai pu m’empêcher de lui dire : « Tiens, vous êtes rentré ? » Il a paru assez gêné ; sans doute, il va falloir qu’il paye sa libération…

    24 juillet 1941 Hier chez Valéry. J’ai trouvé un vieil enfant ne pouvant plus travailler faute de cigarettes et de café. Il se plaint aussi d’une baisse de ses facultés parce qu’il ne mange pas assez de viande. Il me demande comme une grâce de bien vouloir lui rapporter de Genève une boîte de Nescafé. Il se préoccupe enfin de ce que les Allemands pensent de lui et il est inquiet. Curieux mélange de grandeur et de petitesse.

    3 septembre 1942 Un Maurice Sachs ne pourrait faire un héros de roman, car il ne paraîtrait pas réel. La vérité, que j’apprends par brides, dépasse de beaucoup ce qu’il a raconté dans Le Sabbat. Il n’a pas avoué, par exemple, qu’après avoir fait son mariage blanc avec la fille d’un brave clergyman américain, il avait enlevé son petit beau-frère et l’avait ramené à Paris. Il m’a rapporté certaines de ses aventures alors qu’il se trouvait mobilisé à Cherbourg, mais ne m’a pas avoué qu’il avait fait renvoyer un jeune professeur du lycée, après la découverte d’une affaire de détournement de mineurs. Réformé, rentré à Paris, il s’est introduit dans l’appartement du décorateur Franck qui vient de se suicider et a vendu tous les meubles qui s’y trouvaient.

    7 avril 1943 Henri Mondor aux éditions. Il a fait le service de presse de ses Grands Médecins avec une vélocité d’autant plus remarquable que, pendant qu’il écrivait de la main droite, il n’a pas cessé, de la gauche, de s’occuper de ma petite secrétaire.

    19 mars 1945 Drieu La Rochelle s’est suicidé pour de bon, cette fois.

    4 juin 1945 Roger Vailland et sa femme sont venus nous voir, après avoir déposé une plainte au Commissariat du Vésinet, leur maison ayant été pillée. Cependant, comme j’admirais sa voiture grand sport : « Oui, me dit-il, je l’ai prise en Allemagne. »

    3 décembre 1945 Robert Denoël a été assassiné hier soir, rue de Grenelle. On ne sait par qui. (…/…) Reste qu’il a lancé Céline. Il figure encore à la première page des journaux du soir. Même sa mort aura été publicitaire.

    20 janvier 1947 Qu’est devenu Sachs ? On m’avait assuré qu’il était mort à Hambourg ; mais on me dit aussi qu’on l’aurait reconnu, pas plus tard que la semaine dernière, sous les traits d’un mendiant, boulevard Saint-Germain. Je ne puis le croire. Il est impossible que, flairant quelque argent à empocher, il ne se soit pas signalé à nous.

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  • Début d’année à Paris, après un trajet sans histoire en train et en métro, j’arrive du côté de la Bastille une heure avant l’ouverture de Book-Off. Il fait beau et frais. Je me balade au hasard et arrive au viaduc des Arts, découvrant qu’on y grimpe pour accéder à la Promenade Plantée, dite aussi Coulée Verte, ancêtre de la High Line new-yorkaise.

    J’y marche pendant une demi-heure puis fais demi-tour et suis dans la librairie à l’ouverture. Ce n’est pas là que je trouve de quoi me plaire mais plus tard chez Mona Lisait rue Pavée d’où je repars avec Alfred Jarry, le surmâle des lettres de Rachilde (Editions Arléa) et L'érotisme de la femme: de la pudeur à la perversion (Tchou Editeur).

    Toujours à pied je rejoins Beaubourg. Jamais encore je n’avais vu une telle file d’attente pour entrer à la Bibliothèque. Jouxtant deux côtés du bâtiment, elle en dit long sur le sort que l’on fait aux étudiant(e)s en France. Autre file d’attente, celle de l’exposition Dali, aussi longue que celle de la Bibliothèque, et donc encore pire que lorsque je m’y suis risqué. Je passe chez Gilda dont les bacs n’ont rien à m’offrir puis la Seine.

    Vers treize heures j’arrive place Fürstenberg, petit carré orné de quatre arbres d’âge divers. Balthus y eut son atelier. Dans un angle est sis le Musée Delacroix. A l’angle opposé, c’est la galerie Art Cube qui expose David Hamilton, le photographe à la mode des années soixante-dix devenu non grata avec le retour de l’ordre moral. Le galeriste est à la porte, clé en main, mais il me laisse entrer, demandant à la jeune femme qui est avec lui quel genre de restaurant elle préfère. J’ai à peine le temps de voir quelques photos qu’il me dit qu’il ferme pour aller déjeuner. Je lui explique que je suis déjà venu trois fois pour rien, sa galerie étant fermée à chaque fois et sans explication. Du coup il s’excuse, me disant qu’il va attendre et m’expliquant qu’au rez-de-chaussée ce sont des photos faites à Ramatuelle en deux mille douze et au sous-sol des photos vintage. Je savais déjà tout ça, ayant écouté David Hamilton parler de cette expo au RenDez-Vous de Laurent Goumare sur France Cul.

    Evidemment, ce qui est enterré, rebaptisé vintage donc, c’est ce qu’on ne peut plus montrer ou regarder sans courir le risque de se voir qualifier de pédophile, photos que je connais presque toutes, ayant tous les livres d’Hamilton parus dans les années soixante-dix. J’entends la jeune femme demander au galeriste avec qui vit Hamilton aujourd’hui. Il vit tout seul à Ramatuelle.

    -Par contre, lui dit-il, Hugh Hefner, tu sais le fondateur de Playboy, vient d’épouser une fille de vingt-six ans, Il en a quatre-vingt-six.

    -Ah oui, soixante ans de différence d’âge, calcule-t-elle.

    Je remonte. Les photos récentes, aux modèles évidemment majeures, sont d’un kitch repoussant. Je ne m’attarde pas davantage, permettant au duo d’aller déjeuner. Les éventuels visiteurs se casseront le nez sur une porte fermée à une heure où elle devrait être ouverte, comme je l’ai fait trois fois.

    Dans l’après-midi un bus Vingt-Sept me reconduit à Saint-Lazare. S’y trouvent des parents qui n’en peuvent déjà plus de leurs enfants dont les vacances se prolongent cette année. On compte sur la grand-mère pour les emmener voir un film de Oual Disné. En attendant l’heure de mon train, je prends un café Chez Léon, routier de Paris. J’y lis l’ouvrage de Rachilde sur Jarry. Quel style épouvantable avait la femme de Vallette.

    *

    Les photos d’Hamilton aujourd’hui cachées en sous-sol étaient affichées dans la chambre de tant de filles. Je me souviens de celle croisée trop brièvement à l’école des Taisnières à Lyons-la-Forêt. J’ai déjà raconté ça, le lundi vingt et un juin deux mille dix.

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  • Boire un verre à Rouen en attendant qu’il soit l’heure de réveillonner à deux, c’est l’envie que nous avons, celle venue de Paris en début d’après-midi et moi, arpentant les rues vers dix-huit heures, ce trente et un décembre. Tous les cafés de jour rentrent leur terrasse. Quant aux bars du soir, le Morrison fermé, le Percière fermé, le Vicomté fermé, indiquent qu’aucun ne sera ouvert. La province profonde, nous disons-nous rentrés plus tôt que prévu.

    Notre fête privée nous fait vite oublier cette déception et à minuit nous nous embrassons sous le gui. Que sera deux mille treize pour nous ? Une année pleine d’incertitude. Que sera-t-elle en général ? Porte-malheur comme celle d’il y a un siècle, précédant d’un an la Première Guerre Mondiale ? On verra. Pour l’instant, 2013 me sourit depuis que je sais que par effet miroir elle devient Eros.

    Nous nous levons tard ce premier janvier. Le soleil nous incite à une balade sur les quais de la Seine jusqu’au pont Flaubert. Au retour une drache grêlée nous rattrape. Alors que nous sommes à l’angle de l’Office du Tourisme, un raclement sur le macadam annonce un accident. Un scouteur vient de se vautrer rue Grand-Pont. Son conducteur essaie de se relever mais n’y arrive pas. Des piétons proches se portent à son secours. Pour lui l’année nouvelle commence mal.

    Après un nouveau repas de fête à la maison, il est temps pour elle de regagner Paris.

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