• Notre deuxième nuit à Indianapolis est perturbée, d’abord pour elle victime de nausées, puis pour moi victime de maux de ventre et de tête, une sorte d’intoxication alimentaire due à la salade de fruits et compliquée par le vermouth. Après la douche et le petit-déjeuner (succinct pour moi), nous nous recouchons et dormons plus ou moins jusqu’à 11 a.m.

    Un peu remis, on se balade dans une rue du quartier faisant angle droit avec la partie de Washington Street où nous résidons. Elle est très policée, comme l’indique une pancarte  « Crime Watch, Good Neighbors Make Great Neighborhoods »

    Je photographie le jardin d’une maison où trônent deux Napoléon en tenue séparés par un mât en haut duquel flotte un drapeau du pays, après en avoir prudemment demandé la permission à l’occupante. Un autre drapeau est planté sur la pelouse d’un voisin qui fait de la publicité pour le Vote Pro-Life. Nous atteignons une avenue parallèle à notre rue de départ. Elle mène donc aussi Downtown. Un bus 10 nous y conduit.

    Nous descendons près d’un parc, pas loin du Kurt Vonnegut Memorial, petit musée consacré à l’écrivain né à Indy. J’en fus un lecteur assidu lorsque j’étais jeune. Nous le visitons, découvrant ses lunettes, sa machine à écrire, sa bibliothèque.

    En face se trouve un restaurant à terrasses dont l’une à l’étage : le Bourbon Street Distillery. Comme nous ne sommes plus malades, nous décidons d’y déjeuner. Une gentille serveuse nous installe à la terrasse de l’étage. L’établissement vendant des alcools forts, elle vérifie que celle que j’accompagne a plus de vingt et un ans, ce qui la réjouit. Elle choisit une énorme Chicken Salad and Fruits Platters. Pour moi, ce sera un Grilled Pork Burger (la spécialité de l’Indiana) avec des French Fries et du Coke à volonté. On passe là un bon moment.

    Le thé et le café bus, nous allons nous asseoir au bord de l’Indiana Central Canal dans sa partie encore inexplorée. Cependant qu’elle dessine, je prépare un texte pour mon Journal abandonné depuis plus d’un mois afin d’être exempté de la publicité punissant qui reste trop longtemps sans écrire.

    Nous marchons ensuite jusqu’au bout de ce canal tracé au tire-ligne et y découvrons naviguant deux gondoles vénitiennes. Indy est un bon exemple de la disneylandisation du monde.

    Le bus qui nous ramène à la maison est bondé. L’atmosphère est y survoltée. On s’y invective, on y crie. Rien de grave, nous dit l’un des voyageurs, c’est juste qu’il y a trop de monde. Chad est toujours absent en journée, ce qui nous laisse la liberté d’utiliser la table de sa cuisine pour y poser l’ordinateur ou le papier et y boire son thé. On ne touche pas à ses pots de vitamines.

    *

    La lecture du moment de notre hôte : Gluten-Free Cooking for Dummies, ouvrage non encore traduit en français pour les Nuls.

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  • S’il en est une qui se lève aussi tôt que moi, c’est mon ophtalmologiste. Elle m’ouvre elle-même la porte à sept heures quarante-cinq ce mardi en l’absence de sa secrétaire. La visite est de routine dans un premier temps puis, la secrétaire arrivée et sous l’autorité de celle-ci, on passe à la vérification de l’étendue de mon champ visuel. Un appareil envoie des petites lumières étoilées dans tous les azimuts. Je dois cliquer à chacune. Tout est normal, me dit la spécialiste à l’issue, ce qui ne signifie pas que tout aille bien mais que je n’ai que les problèmes normaux d’un homme de mon âge.

    Un peu après midi, je conduis ma voiture à proximité du Trianon Transatlantique à Sotteville-lès-Rouen puis reviens en métro, précaution utile au regard de la destruction du pont Mathilde si je veux être à l’heure le soir venu pour le concert de Barbara Carlotti.

    J’arrive donc dix minutes avant l’ouverture des portes d’un nouveau coup de métro, bientôt rejoint par l’homme au chapeau, lequel connaît mieux que moi cette artiste. Je ne l’ai découverte que récemment par une chanson troublante.

    Je m’installe en bonne place dans la partie basse de la salle et attends patiemment jusqu’à ce qu’arrivent les cinq musiciens et la blonde chanteuse vêtue d’une robe noire à cape, collants noirs, manchon doré au bras droit, chaussures rouges. Des petites étoiles s’allument un peu partout sur le mur de fond de scène, ce qui me ramène à mon examen oculaire du matin.

    La voix de Barbara Carlotti me rappelle un peu celle d’Arielle. Elle enchaîne ses chansonnettes aux textes mélancoliques sur musiques guillerettes, évoquant l’amour et la vie quotidienne souvent au passé. Son univers est le nôtre et je pense à celle qui n’est pas avec moi.

    J’aime particulièrement ses Quatorze ans

                   On marchait longtemps super excitées,

                   On faisait du stop sous l'ciel étoilé,

                   On était heureuses et très maquillées,

                   J'avais quatorze ans et c'était l'été,

                   Je sortais la nuit quand tout le monde dormait

                   mais ma préférée reste la perverse Ouais ouais ouais ouais

                   Laisse-moi encore te mettre une claque,

                   Mais sans te laisser de marque,

                   T'es si jolie quand t'as mal ça me rend folle,

                   De voir ce noir sous tes beaux yeux qui coule

                Un Message Personnel repris de Françoise Hardy, la participation d’une spectatrice comme danseuse et de l’ensemble de celles et ceux qui savent chanter pour des chœurs, même quand elle demande au public de voter pour elle aux Victoires de la Musique, Barbara Carlotti n’en fait pas trop et donne d’elle une image sympathique. L’ultime chanson de rappel se passe dans la salle.

                  C’est donc une bonne soirée, l’homme au chapeau en est d’accord, que je reconduis jusqu’à l’île Lacroix.

    *

                Ce mardi, le Conseil Général de Seine-Maritime dévoile son choix pour remettre en état le pont Mathilde détruit par l’imprudence d’un camionneur roulant trop vite et celle d’une Mairie ayant autorisé le stationnement de camions et caravanes de forains sous l’ouvrage.

               Sont prévues « la dépose puis la repose de la travée après remplacement de la section endommagée ». La remise en service du pont est envisagée pour l’été deux mille quatorze. Je n’ai donc pas fini d’en baver pour aller aux concerts du Trianon Transatlantique.

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  • Samedi, un peu avant onze heures, à peine retardée par la neige, arrive celle qui me rejoint le ouiquennede quand elle est en France et qui va bientôt repartir à New York pour deux mois. Nous avons réservé une table à La Petite Auberge, rue Martainville, la demandant tranquille. Aussi n’est-ce pas ravis que nous voyons s’installer une famille à bébé à proximité après le pliage de la poussette qui résistait au grand-père par un des serveurs (de père point). Je demande à la nouvelle serveuse froide et efficace qui remplace la femme chaleureuse et gouailleuse que j’appréciais s’il n’est pas possible d’obtenir une autre table dans la deuxième salle. Un groupe de dix-huit dont des enfants y est attendu. Je lui dis qu’on nous avait promis une table tranquille. Elle me répond que quand on n’aime pas les gens on reste chez soi on ne vient pas au restaurant et que l’enfant n’est pas bruyant. « Pour l’instant oui, mais ça ne va pas durer », lui réponds-je.

    On se calme, surtout moi, je ne dis pas à cette serveuse que lorsqu’on aime les gens on ne leur impose pas son braillard au restaurant. Au menu, nous avons escargots, rillettes de saumon et maquereau, confit de canard pommes sarladaises, fromages, salade et crèmes brûlées, tout cela accompagné d’un bordeaux de la cuvée du Père Tranquille. Tranquille, notre déjeuner ne l’est pas jusqu’au bout, le bébé se met à hurler. Sa mère s’en saisit et disparaît avec lui. Les grands-parents et le couple du même âge qui les accompagne continuent à manger en parlant de leur réussite sociale. « Plus je prends cher, plus j’ai de clients », dit l’un. Pour nous, une sieste s’impose.

    Le soir venu, nous passons à la Boulange de la Croix de Pierre afin de nous procurer deux tartelettes au citron et, comme le temps est doux et sec, je lui propose de rejoindre Saint-Sever à pied pour y voir à l’Ugécé Alceste à bicyclette de Philippe Le Guay. Nous passons la Seine et arrivons dans un grand déploiement de véhicules de pompiers. Il nous faut marcher dans l’eau pour atteindre le cinéma. Le guichetier nous apprend qu’une explosion suivie d’un incendie vient d’avoir lieu chez le serrurier de la galerie marchande.

    Il est trop tôt pour le film. On ressort par une porte de secours. Le cordial patron du Palais de la Bière nous accueille bien qu’il soit en train de fermer. On y boit un thé derrière les rideaux baissés pendant que les employées nettoient les lieux. J’entends l’une d’elles dire « On va finir par y arriver à la fin du monde, petit à petit, morceau par morceau ».

    Pour rejoindre le cinéma, il nous faut passer par la Mairie de Quartier car les pompiers s’affairent à réparer les dégâts de l’eau. Il y a beaucoup de monde dans la salle Quatre. « Que des vieux », se plaint un quadragénaire qui doit se sentir jeune. Il y aussi quelques vrais jeunes, à commencer par celle qui me tient la main. Nous passons un bon moment sur l’île de Ré avec ces deux comédiens qui s’écharpent, autant pour jouer Alceste que dans la vie. Cela fait du bien d’entendre le texte de Molière, et c’est dommage d’être obligé pour cela d’aller au cinéma, dans cette ville de Rouen où les théâtres préfèrent programmer des spectacles de clounes plutôt que des textes d’auteurs dramatiques.

    Le Samu Social est à la sortie du centre commercial, s’occupant d’un groupe de jeunes dont l’un demande à celle qui m’accompagne un petit bout de carton qu’elle n’a pas et dont on devine l’usage. Par les rues vides, nous regagnons la maison et le lendemain matin, pour notre dernier dimanche ensemble avant longtemps, malgré la pluie, nous partons en voiture pour La Bouille.

    La pluie s’arrête à notre arrivée. Je me gare devant la maison natale d’Hector Malot. Nous nous promenons au bord de la Seine et dans les rues du bourg aux belles maisons dont un certain nombre sont à vendre. Tous les restaurants sont ouverts mais pas un café. Nous reprenons la voiture et trouvons, sitôt après avoir franchi la frontière avec l’Eure, un restaurant qui fait également bar, La Batelière, sis à Caumont

    Elle y prend un thé pas très bon et moi un café à l’ancienne cependant qu’en cuisine on s’affaire gaiement :

    -Chef, je l’ai dit à ma mère que vous la trouvez mignonne.

    -C’est que la femme, moi, je l’aime coquette.

    Nous parlons de nous, de notre présent compliqué.

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  • Quand j’arrive ce vendredi soir au Conservatoire où je ne suis pas venu depuis longtemps, je découvre qu’on y a installé une double porte semi-circulaire automatisée. Je franchis la première, la seconde refuse de s’ouvrir. Je fais marche arrière, demande à un grand gaillard appuyé contre le mur extérieur si c’est bien par là qu’on entre. Oui, me dit-il, ajoutant qu’il me connaît.

    Il se présente, me parle d’un texte que j’ai écrit sur son père. Effectivement, c’est le fils de quelqu’un dont j’ai raconté il y a longtemps la messe d’enterrement à la Cathédrale de Rouen, un texte qui fut publié dans la revue littéraire Décharge. J’avais osé en donner une copie à sa mère au café Le Saint-Amand (devenu L’Espiguette) où elle l’avait lu, un peu décontenancée. Je lui demande :

    -Vous l’avez lu ce texte ?

    -Je l’ai, me répond-il.

    Il n’ajoute rien et je ne lui pose pas de question supplémentaire. Il me dit qu’il est au Conservatoire depuis trois ans. Je lui dis que je viens écouter des lieder de Schubert et de Schumann.

    Un peu plus tard, installé dans l’auditorium, je pense à ça, qu’écrivant ce texte, je ne songeais pas que l’enfant aux longs cheveux blonds le lirait un jour.

    Il fait un froid inhabituel dans cette salle (problème technique ou de budget, je ne sais) où l’Opéra de Rouen trouve refuge pour un récital Chiara Skerath, jeune soprano suisse. Devant moi, les dames gardent les manteaux de fourrure. Chiara Skerath arrive en robe noire sans manches un peu décolletée. Elle annonce que l’un des lieder de Schubert sera remplacé par un air de Mendelssohn. Au piano, c’est Martin Surot.

    Après Schubert (et Mendelssohn), la talentueuse soprane interprète les Liederkreis de Schumann (sur des poèmes d’Eichendorff). Je remets ma veste à l’entracte. Chiara Skerath réapparaît avec un pull.

    -Je suis désolée, j’avais trop froid et je n’avais que ça à mettre, mais ce n’est pas grave, ce qui compte c’est la musique.

    Dans la salle, on est d’accord avec elle et on la trouve sympathique et spontanée. Elle nous chante des extraits de l’Italienisches Liederbuch d’Hugo Wolf, œuvre composée sur des poèmes populaires italiens traduits en allemand, et reçoit en échange beaucoup d’applaudissements.

    En bonus, elle nous offre Le Papillon et la Fleur de Gabriel Fauré puis L’Ode à la Lune de Dvorak, deux compostions qui permettent à Martin Surot de briller au piano.

    Après ce bon concert, je rentre par les rues froides et désertes, la neige annoncée n’est pas encore là.

    *

    Propos de café :

    -Et toi comment tu vas alors ?

    -Ecoute, moi ça va.

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  •             Ce vendredi, un peu avant dix heures, j’arrive à la Halle aux Toiles afin de profiter au mieux du premier jour de la vente de livres du Secours Pop, retrouvant devant la porte les habituels bouquinistes officiels ou clandestins, tous prêt à bondir. A l’intérieur, les membres de l’œuvre de charité s’emploient aux derniers préparatifs. L’un d’eux ouvre à l’heure dite.

                La difficulté n’est pas seulement d’avoir des concurrents, c’est aussi de ne pouvoir être partout en même temps. Je me débrouille au mieux, ayant bientôt dans mon sac plusieurs livres à mon goût dont la Correspondance de Cézanne (Grasset) et Ma vie avec Gertrude Stein d’Alice B. Toklas (Anatolia/Le Rocher).

                Certains se chargent comme des bœufs, portant à bout de bras un cageot en plastique prêté par l’association. Cela ne les empêche pas de râler, l’un disant qu’il y a là trop de livres venant de bibliothèques et donc défigurés par différentes étiquettes et un code barre rajouté, un autre soupçonnant que certains ayant des connaissances ici se soient servis avant l’ouverture des portes.

                Je suis d’un calme étonnant, ne me chamaillant ni avec les autres acheteurs, ni avec les dames qui me donnent un ticket en échange de mes livres que je dois aller payer ailleurs avant de pourvoir les récupérer.

                J’y repasse en début d’après-midi, arrivant avec un sac de livres dont je veux me débarrasser. Je les donne à l’un des hommes à la caisse. Il me remercie chaleureusement, mais je ne le mérite pas, ce sont des livres qu’aucun bouquiniste n’a voulu me racheter.

                Je fais une nouvelle fois le tour des tables, repart avec quelques livres, passe par La Poste où j’ai à faire et y fais sonner le portique, sans doute l’un des livres en est-il la cause, mais personne ne me demande rien.

    *

                Suite à l’affaire du mercaptan échappé, Air Normand communique : « Air Normand a souhaité renforcer sa surveillance vis-à-vis des émanations à caractère exceptionnel de l’entreprise Lubrizol qui poursuit ses opérations de neutralisation durant encore quelques jours. Ne  possédant pas de matériel adapté, Air Normand a sollicité ses collègues d’Air Rhône Alpes pour le prêt d’un analyseur en continu « TRS ». »

                Air Normand est ensuite fier d’annoncer que l’air est désormais respirable sans danger. Ce qui s’appelle se réveiller après la bataille.

    *

                Titre des affiches de rue de Paris Normandie ce matin « Les étudiants des Beaux-Arts ne veulent pas quitter l’Aître ». Je m’en doutais bien. Quand j’ai appris l’autre semaine que la Mairie de Rouen avait décidé de les installer à la rentrée deux mille quatorze dans un collège désaffecté de la Grand-Mare, la première chose que je me suis dite, c’est « Ils vont faire la gueule ». Comme j’en parlais à celle qui était là samedi dernier et qui y a passé une année, elle a ajouté : « Les profs aussi doivent être dégoûtés ».

                On va maintenant voir s’ils sont aussi doués que les forains de la Saint-Romain qu’aucun Maire n’a pu faire partir des quais du centre ville.

    *

    Au Socrate, hier jeudi, panique de fin de repas pour trois commerçantes : elles viennent de découvrir qu’on peut mettre des commentaires sur Les Pages Jaunes. Plutôt que prendre un café, elles sortent leurs téléphones et s’empressent de s’écrire des compliments réciproques.

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  • Réveillé à cinq heures moins cinq par la voix de Paul Léautaud dont France Culture rediffuse nuitamment les Entretiens avec Robert Mallet et laissant derrière moi une ville où l’on ne parle que du mercaptan échappé dès lundi après-midi de l’usine Lubrizol (usine située près du futur éco quartier Flaubert, bonne chance à ses dix mille habitants), je prends le train pour Paris, ville touchée par le gaz mardi matin.

    Ce matin, l’air est aussi pur ou impur que d’habitude. Je prends un café près du Book-Off de la Bastille, lisant dans Le Parisien ce que la capitale pense de la ville normande qui pue. La librairie ouverte, le premier livre qui me tombe sous la main (comme on dit) est logiquement L’art de péter de Pierre-Thomas-Nicolas Hurtaut (chez Payot), ouvrage publié pour la première fois en mil sept cent cinquante et un et sous-titré « Essai théori-physique et méthodique à l’usage des personnes graves et austères, des dames mélancoliques et de tous ceux qui restent esclaves du préjugé. »

    Après avoir déjeuné au Rallye, le Péhemmu chinois d’à côté, je rejoins le Marais à pied et m’attarde rue Pavée chez Mona Lisait d’où je repars avec le volumineux Dictionnaire Flaubert de Jean-Benoît Guimot (CNRS Editions) et un exemplaire dépenaillé d'Amoralités familières de Maurice Chapelan (publié chez Grasset en mil neuf cent soixante-quatre).

    On me voit dans l’après-midi à Châtelet chez Gilda et au Quartier Latin chez Boulinier et les Gibert. La nuit tombée me ramène chez Book-Off, celui de l’Opéra, d’où je repars avec Nous aurons encore de mauvais moments de Rafael Sánchez Ferlosio (Rivages Poche), auteur italo-espagnol comparé en quatrième de couverture à Cioran et Leopardi. C’est ce livre que je lis dans le train du retour, attendu très longtemps dans la froidure de Saint Lazare par la faute d’un autre train ayant un peu brûlé et bloquant la ligne je ne sais où.

    Ce recueil de poèmes, aphorismes et notes me déçoit, trop de lieux communs et de certitudes. Pourtant il commençait bien, par Ce qu’il y a de louche, dans les solutions, c’est qu’on en trouve dès qu’on en cherche. Peu avant l’arrivée à Rouen, le contrôleur annonce qu’il a la solution pour les quelques voyageurs ayant raté la correspondance vers Dieppe en raison des quarante minutes de retard, ils y seront conduits en taxi.

    *

    L’un des côtés amusants de cette histoire de mercaptan, c’est de lire les commentaires des Rois Nés vexés comme des poux que cette histoire n’ait commencé à faire du bruit que lorsque Paris a été touchée, avec notamment la venue en urgence de la Ministre de l’Ecologie Delphine Batho (le nom qu’il faut pour nous y mener).

    Eh oui, il faut t’y faire, tu vis dans un trou, au sens propre (si je puis dire) et au figuré.

    *

    Autre réjouissance : les diatribes anti marseillaises quand l’équipe de foute de là-bas a vu son match contre l’équipe des Rois Nés reporté, alors même que ces Marseillais n’y étaient pour rien, la Préfecture ayant interdit la rencontre.

    Rouen a gagné là quelques places dans le classement des villes où ce sont Monsieur et Madame Michu qui font l’opinion.

    *

    Et voici les mêmes qui veulent sauver Petroplus de la fermeture prêt(e)s à exiger la fermeture de Lubrizol.

    *

    Rien senti de ce mercaptan « non toxique » qui en a fait vomir, tousser et pleurer plus d’un(e), l’avantage d’habiter au centre ville peut-être. Reste que je la connais bien cette odeur méphitique, l’ayant humée plus d’une fois quand j’habitais à Val-de-Reuil, en provenance de la papeterie d’Alizay dont le département de l’Eure s’occupe en ce moment de sauvegarder l’emploi. Je l’ai évoquée dans un texte intitulé Sérénité, paru en deux mille six dans la revue Diérèse et écrit bien plus tôt quand je vivais là-bas. Ça commence ainsi :

                Le soleil est sur le point de se lever. Marie et moi partons dans la brume vivifiante pour Lyons-la-Forêt où nous attendent Marylène et Marité, suaves enseignantes amantes, qui ont quitté Horlaville hier et sa papeterie voisine dont les vapeurs délétères leur étaient insupportables. Pour elles, un déménagement de plus. Un peu de vie perdue. Beaucoup d’espoirs à vivre. Et fini le mercaptan.

                Je ne savais pas à cette époque que le mercaptan pouvait aller loin.

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  • Après une nuit moyenne, Chad, notre logeur, étant rentré vers deux heures du matin, nous descendons déjeuner au rez-de-chaussée de l’énorme maison dans une cuisine typiquement américaine, cuisinière démesurée, frigo idem empli de nourriture et décoré d’aimants de soutien à Obama. Assis sur des sièges de bar à la petite table centrale, nous buvons café et thé, dans lesquels nous trempons des croissants minuscules et mous sortis d’un sac en plastique. Ils semblent provenir d’un magasin de hard discount et ne sont pas raccord avec le luxe apparent de l’endroit, lequel n’est pas du meilleur goût. On y trouve des statues blanches et des miroirs partout. Tout est hyper clean et la porte nous demande de la refermer quand on sort dans le jardin touffu pour qu’elle y fume. On ne peut s’y asseoir, faute de banc.

    Pour aller Downtown il faut attendre vingt minutes le bus 8. Un type un peu louche arrête son pick-up et propose de nous emmener mais on refuse. Le centre ville d’Indianapolis est assez quelconque, des buildings pas excitants et, Market Street, un marché artificiel, copie ratée d’un marché à l’européenne. Nous nous baladons au hasard sans y prendre grand plaisir.

    Quand vient l’heure de déjeuner, nous cherchons longtemps sans trouver de quoi nous plaire et entrons finalement au Winner’s Circle, un établissement de jeux où l’on parie sur les courses de chevaux. Dans une salle seconde, des dizaines de joueurs et joueuses font face à des ordinateurs cependant que des écrans diffusent les courses. On nous installe dans la première. Elle opte pour une salade Home Smoked Chicken et moi pour un burger Patty Melt, (ma viande étant cuite « rare », c'est-à-dire saignante, ce qui n’est pas facile à obtenir dans ce pays) et des French Fries. Nous sommes servis par une blonde sortie des séries télé dont les « You’re welcome » m’énervent. Je prends un café qui n’est pas inscrit sur la « check ».

    Nous trouvons ensuite l’Indiana Central Canal, trop rectiligne et agrémenté de faux ponts de Venise. On se pose au bord en se demandant ce qu’on va bien pouvoir faire les autres jours dans cette ville connue pour sa course automobile.

    Avant de rentrer, elle achète très cher une salade de fruits que nous mangeons dans la cuisine en terminant la bouteille de vermouth.

    *

    Chez Chad, la salle de bain est réputée réservée aux hôtes mais il y a laissé toutes ses affaires, parmi lesquelles le produit pour lustrer son crâne.

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  • C’est l’heure du dernier breakfast copieux chez Tabitha et Danny, nos jeunes hôtes bien comme il faut. Après quoi, je tiens compagnie à celle qui fume sur le trottoir devant la coquette demeure. Notre hôtesse nous dit rapidement au revoir et s’en va avec sa voiture. Au moment de rentrer faire nos bagages, nous constatons qu’elle a fermé la porte à clé. Fichtre, nous avons laissé la nôtre dans la chambre. Danny est-il à l’intérieur ? Nous sonnons en vain. Aucun moyen de passer par une fenêtre à cause des moustiquaires. Nous sommes enfermés dehors, comme on dit, et voyons déjà partir sans nous le car pour Indianapolis, capitale de l’Indiana.

    Apercevant l’un des voisins d’en face, nous lui demandons de l’aide. C’est un jeune homme sale et serviable. A l’aide de son Smartphone, nous retrouvons sur Internet le téléphone de notre logeuse mais il n’arrive pas à lui envoyer le texto l’avertissant de notre mésaventure. Il ouvre la porte et demande le téléphone d’un de ses colocataires. Nous avons le temps d’apercevoir l’intérieur de la maison, incroyablement bordélique et dégoûtant. Un troisième colocataire gît sur un canapé-lit défoncé. Le texto part, nous n’avons plus qu’à espérer que Tabitha réagisse vite.

    Nous nous installons à la table du perron et soudain entendons du bruit à l’intérieur. C’est notre hôte. Nous sommes sauvés. Elle lui fait signe pour qu’il nous ouvre, lui montrant que l’on est coincé dehors mais Danny ne comprend rien, il nous fait coucou avec la main « Hi, how are you ? You’re nice ? ». Quand enfin il réalise qu’on ne peut entrer, il nous ouvre et on lui explique l’histoire. Il envoie un message à sa copine, sans doute moyennement content que l’on ait communiqué son numéro à la colocation crasseuse d’en face.

    C’est donc bon pour le car Greyhound. Auparavant, nous déjeunons dans un restaurant chinois (hot tea, coca, sweet and sour chicken, chicken and végétables). Le car est encore une fois empli de gros qui prennent deux sièges et de décatis qui font vite connaissance aux places du fond. Il fait soleil. Nous faisons escale dans deux villes sinistres de l’Ohio, Springfield et Dayton. Depuis le bus, le paysage est souvent déprimant : galeries marchandes lugubres et champs de maïs desséchés, parfois mignon : jolies fermes isolées et affiches pour des T bones à 10.99.

    Il fait très chaud à l’arrivée à Indianapolis où l’on va loger loin de Downtown, Washington Street, à plus de vingt minutes en bus. Nous marchons quelques blocks pour atteindre l’arrêt de celui-ci. Comme convenu, c’est le jeune ami de Chad, notre nouveau logeur, que l’on trouve dans le jardin. Il nous ouvre la maison par la porte de derrière et débranche l’alarme. Ça a l’air de l’emmerder de rendre ce service. Il s’éclipse vite fait après nous avoir fait une démonstration de lavage de la porte en verre de la douche et dit que Chad rentrerait dans la soirée. On en est à défaire nos bagages dans la belle chambre blanche de l’étage, dont le lit est recouvert de moitié par d’immenses coussins, quand on entend du bruit. Je pense que c’est Chad qui rentre plus tôt que prévu mais celle que j’accompagne a compris ce qui se passe, ayant capté le « Police Department » crié d’en bas.

    On se présente en haut des marches. Une jeune policière blonde est au bout du revolver pointé dans le living room, derrière elle une policière noire et un policier blanc plus âgé. « You have the key ? You have the key ? » nous crie la jeune femme noire quand elle nous aperçoit. La blonde range son arme. Nous leur montrons qu’on a la clé qui ouvre la porte donnant sur le jardin. Tous trois disparaissent comme par enchantement. Nous apercevons alors un groupe de voisins, eux aussi alertés par l’alarme mal désactivée, massés au bout du jardin. Ils attendaient prudemment de voir comment les choses allaient tourner avec la Police. L’une de ces voisines connaît le code pour mettre l’alarme hors service.

    Cette journée est décidément riche en émotions, comme on dit dans les mauvais romans. Pour nous en remettre, nous décidons d’aller dîner quelque part mais pas la queue d’un restaurant à l’horizon. On demande à une voisine dont le mari prépare un barbecue. Elle nous indique le plus proche, qui est assez loin. Quand elle apprend qu’on n’a pas de voiture, elle propose de nous y emmener avec la sienne. C’est plus prudent, nous dit-elle en se présentant : « Nancy ». Dans la voiture, Nancy nous explique que des prostituées traînent le soir sur Washington Street. Ce serait dangereux pour celle qui me tient la main de marcher par là la nuit. Elle nous dépose devant Jockamo Pizza et propose avec insistance de venir nous rechercher. On n’aura qu’à lui téléphoner. Elle aussi est bien étonnée quand on lui dit qu’on n’a pas de cell phone.

    Il y a beaucoup de monde dans cette pizzeria chaleureuse. Nous commandons une Slaughterhouse Five (Abattoir 5), aux cinq viandes, « In honor of Indy’s own Kurt Vonnegut », que nous accompagnons d’une salade et d’un pichet de chardonnay. C’est excellent. Je voudrais en savoir plus sur le lien entre Kurt Vonnegut et Indianapolis mais la serveuse ne sait qu’une chose : il y est né.

    Au moment où l’on s’apprête à rentrer à pied, faisant fi du danger, un grand chauve vient vers nous et s’adresse à celle que j’accompagne en l’appelant par son prénom. C’est Chad, notre logeur. Averti par Nancy que nous étions ici, il est venu nous chercher. Il nous ramène dans son gros 4×4 en nous racontant qu’il est l’arbitre de l’équipe de basket du fils de cette voisine, un travail secondaire.

    Chez lui, il nous montre comment prendre le petit-déjeuner, nous donne le code Internet et nous explique encore une fois qu’il faut passer un coup de raclette sur la porte de la douche, puis il s’en va à toute vitesse.

    *

    « C’est gentil qu’il soit venu nous chercher », me dit-elle un peu plus tard. « Je crois plutôt qu’il avait à faire, que ça l’ennuyait qu’on ne soit pas là à son retour et qu’il n’a pas voulu nous attendre », lui réponds-je.

    *

    Il est temps de se mettre au lit après cette journée mouvementée, ce mardi onzième anniversaire du Onze Septembre.

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  • Celle qui m’a rejoint ce samedi et avec laquelle je me trouve à quatorze heures sur le cours Clemenceau enneigé n’est pas plus enthousiaste que moi. « On aurait dû faire une pancarte : on n’en a rien à foutre du mariage gay, on est juste contre ceux qui sont contre ». Ce qui augmente notre mauvaise humeur, c’est la présence de tous ces politiciens à drapeaux, notamment des Socialistes à écharpe tricolore. Pourquoi sont-ils dans la rue alors que c’est à eux de voter pour que devienne possible ce qu’ils ont promis ? Quant aux Communistes, lui dis-je, quand on songe au sort des homosexuels en Union Soviétique ou à Cuba.

    Arrivent deux Ecolos à petits drapeaux verts. Une adhérente du Front de Gauche veut me donner un tract. C’est elle qui prend pour les autres. Ça fait du bien et même ça réchauffe. Un peu seulement, on a les pieds gelés et on aimerait bien que ça démarre. Il y a du monde mais ce n’est pas énorme. La seule pancarte qui me fait sourire est celle qui dit « Nous aussi on veut le mariage pour le regretter ». Une grande blonde à lunettes passe avec à la main le drapeau rose des Jeunes Socialistes.

    -Comment peut-on être Jeune Socialiste ? dis-je à celle qui m’accompagne.

    -Surtout qu’elle est mignonne, me répond-elle, elle pourrait faire autre chose.

    -J’aime bien son air un peu coincé, ajoute-t-elle.

    -Oui, on dirait une Jeune Catholique.

    Cela finit par démarrer. Nous évitons au maximum les politiques en nous mêlant à la jeunesse qui suit la voiture sono dont la playlist va de Philippe Katerine à Lady Gaga. Malheureusement, ces chansonnettes sont interrompues par des slogans pompés sur ceux d’anciennes manifestations à propos d’autre chose. On touche le fond quand on arrive rue de la Jeanne avec « Si tu veux un beau mariage, tape dans tes mains » puis « Si tu veux un beau bébé, tape dans tes mains ». Cette apologie de la norme m’afflige. Il était même prévu qu’au croisement avec la rue du Gros soit chantée La Marseillaise. Heureusement, il n’en est rien. On tourne dans la rue du Canuet et arrivés devant la Mairie, c’est la fin. Nous rentrons sans tarder prendre une boisson chaude.

    *

    Dans la manifestation, les deux vendeuses habituelles de L’Egalité, feuille trotskiste. En titre : « On n’a rien à lâcher ». Cette expression, « on lâche rien », devient la rengaine de celles et ceux qui luttent (comme ils disent), une sorte de « on ne bouge pas » à professer tout en reculant.

    *

    « Lâchez tout ! », l’un des slogans de l’après Soixante-Huit. Dans ce tout, le mariage.

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  • C’est vraiment l’hiver ce jeudi soir. J’arrive frigorifié à l’Opéra de Rouen où l’on donne concert sur le thème du printemps, me réchauffant en corbeille dès l’ouverture des portes. Sur le plateau, le nombre de pupitres témoigne de la perspective d’un bon gros concert sous la baguette de Jérémie Rhorer.

    Celui-ci semble encore plus juvénile depuis qu’il laisse un peu pousser ses cheveux. Il conduit la grosse machine pour l’Ouverture de Manfred de Robert Schumann, puis, et c’est beaucoup plus à mon goût, le Concerto pour violon du contemporain américain John Adams. Au violon, Jane Peters enchante, portant une robe qu’elle ne pourra certainement pas remettre ailleurs. La question de la robe doit être primordiale pour une soliste. Ne vais-je pas être ridicule, etc. Est-elle louée ? Achetée ? Qui paie ? Autant de questions que je me pose tout en jouissant du fluide concerto dont le dernier mouvement tire vers l’exotisme.

    Après l’entracte, c’est la Symphonie numéro un en si bémol dite Le Printemps de Schumann, quelque chose entre un gâteau bavarois et un roman du genre La Montagne magique de Thomas Mann, lourd et trop long. Même un jour d’hiver, j’ai une autre idée du printemps.

    *

    Entendre une chanson de Maïa Vidal via Internet m’a été suffisant pour avoir envie d’aller la voir en concert ce vendredi soir au Trianon Transatlantique à Sotteville-lès-Rouen. J’ai le billet, acheté depuis longtemps mais voici que la neige se met à tomber d’où le peu d’envie de prendre ma voiture, j’y vois déjà mal pour conduire la nuit par temps ordinaire, de plus elle est garée dans l’île Lacroix d’où il est difficile de sortir à cette heure depuis la destruction du pont Mathilde et enfin ces derniers temps sa batterie me joue des tours (l’autre dimanche, je n’ai pu aller déjeuner chez ma fille que parce qu’un habitant de l’île, costaud et serviable, l’a poussée pour qu’elle démarre), me reste la possibilité du métro, oui mais pour revenir c’est impossible si le concert dure un peu, le dernier est à vingt-deux heures quarante, faire le chemin de Sotteville à Rouen à pied dans la neige, je ne m’en sens pas la force, je reste donc à la maison.

    *

    Le fait que le métro et les principales lignes de bus ne circulent pas jusqu’à minuit prouve que j’habite une sotte ville.

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