• Depuis le troisième rang du premier balcon, j’observe les musicien(ne)s qui s’accordent dans la fosse. L’Opéra de Rouen donne ce mercredi soir Pelléas et Mélisande, trois heures et quart entracte compris, musique de Claude Debussy, livret tiré de la pièce de Maurice Maeterlinck. Pas loin de moi, on dit du mal de ce dernier « La musique de Debussy m’enchante mais alors… le texte de Maeterlinck.  Debussy a fait des coupes, mais il aurait mieux fait de prendre autre chose. » La salle n’est pas comble, le troisième balcon n’est occupé qu’en son centre.

    Une histoire de demi-frères qui aiment la même femme, l’un qui assassine l’autre et elle qui meurt de chagrin après son accouchement, l’argument convient parfaitement à un opéra et je m’en fiche un peu de cette histoire poussiéreuse (comme l’est le Symbolisme en son entier). Ce qui me plaît, c’est la musique, la manière de chanter des interprètes, « sorte de récitatif mélodique infini, souple et infiniment nuancé », comme l’écrit Antoine Mignon dans le livret programme.

    A l’entracte, une femme chute dans les marches manquant d’ajouter un peu de drame réel à la soirée dramatique. Ses voisins la relèvent, rien de grave, un peu sonnée néanmoins.

    Deux actes encore, qui me semblent un peu longs, et puis nous applaudissons les interprètes, dont l’enfant chanteur de la Maîtrise des Hauts-de-Seine (un Timothée ou un Théophile) qui met de la fraîcheur (dit une spectatrice) et le chef d’orchestre Jean Deroyer et le metteur en scène Alain Ganichot. Ce n’est pas l’enthousiasme fou. Personnellement, j’ai trouvé ça bien chanté (je ne suis pas un spécialiste) et j’ai aimé les décors minimaux.

    Tout le monde quitte la salle dans le calme et sans chute dans les escaliers. On est loin de l’accueil fait à cet opéra le soir de sa première en mil neuf cent deux, que Ouiquipédia raconte ainsi : « … le chahut est tel que la police est obligée d'intervenir. A la réplique de Mélisande "Je ne suis pas heureuse", toute la salle hurle "Nous non plus". Debussy, barricadé dans le bureau du directeur, ne veut voir personne. Le chef d'orchestre André Messager s'effondre en larmes à la fin de la représentation. Vincent d'Indy écrit : "Cette musique ne vivra pas car elle n'a pas de formes." »

    Dehors, il pleut et je n’ai pas mon parapluie. J’essaie de tenir le haut du pavé.

    *

    Jeudi matin, je rentre du marché des Emmurées, Libération à la main. Une péniche amarrée près du pont Corneille attire mon attention. Son nom : Debussy.

    *

    Rentré chez moi, je constate que Libération promet ce jour un supplément gratuit de quatre-vingt-quatre pages sur le Familistère de Guise. Je retraverse la Seine pour le réclamer à la Maison de Presse de la rue Saint-Sever. Le vendeur de journaux ne l’a pas. Il me dit que ce n’est pas la première fois qu’un supplément promis n’est pas distribué en province, qu’il n’est disponible qu’à Paris.

    -C’est malhonnête, lui dis-je.

    -Oui, ce n’est pas normal, me dit-il, Vous devriez leur téléphoner et leur demander qu’on vous l’envoie.

    Avant de suivre son conseil, je passe voir à la Maison de la Presse principale, rue de la Jeanne, si le supplément y est ou non. Il n’y est pas.

    -Ce n’est pas normal, dis-je à la patronne de la boutique.

    Elle s’emporte, me dit que c’est comme ça et qu’elle n’y est pour rien.

    -Je sais bien que vous n’y êtes pour rien, lui dis-je, mais je vois aussi que vous vous en fichez.

    Je téléphone à Libération. Un jeune homme me dit qu’effectivement ce supplément n’est pas distribué en province. Il s’apprête à raccrocher. « Attendez, lui dis-je, je veux le recevoir ». Il me passe une jeune femme qui prend mes coordonnées.

    *

    Mort d’Arthur Penn dont j’ai vu Bonnie and Clyde (en soixante-sept) et Little Big Man (en soixante-dix). C’était le temps où j’allais au cinéma mais pas au théâtre ni au concert.

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  • Je trouve, samedi dernier, un article en lecture gratuite sur le site du seul quotidien régional de Haute-Normandie. Pauline Lefrançois y narre le Grand Bal Impressionniste du Hangar Vingt-Trois qui achève le festival Normandie Impressionniste.

    L’article raconte que cette manifestation « est organisée par Serge Hureau et Olivier Hussenet de la Compagnie pluridisciplinaire euroise Hu = Mus. Pour cette soirée, les deux artistes ont mis les petits plats dans les grands. « Nous invitons les gens à venir danser habillés tout en blanc. Durant la soirée, ils seront éclairés puis filmés et pourront se regarder sur un grand écran », explique Serge Hureau. »

    « Les organisateurs souhaitent retranscrire les techniques impressionnistes lors de cette soirée en travaillant sur le pointillisme, les couleurs et les flous. Ainsi, les danseurs formeront un grand tableau impressionniste vivant. Car ce grand bal « raconte quelque chose. C’est un voyage qui part de la salle des pas perdus à la gare parisienne Saint-Lazare et qui va jusqu’à la mer, avec des danses campagnardes de l’époque 1860-1906 », souligne Serge Hureau. Ces danses, ce seront la polka, la valse, le chahut (l’ancêtre du french-cancan) et le galop (une danse hongroise à deux temps). Inutile de s’initier ou réviser les pas et les enchaînements avant de venir au bal puisque le chorégraphe David Drouard sera présent pour enseigner les danses. «Cinq minutes avant chaque danse, le chorégraphe racontera l’histoire des mouvements et montrera au public les pas à adopter », détaille l’organisateur. »

    « Côté musique, cinq musiciens dont Cyrille Lehn, professeur au Conservatoire national supérieur de musique de Paris, et François Marillier, interpréteront des morceaux arrangés pour l’occasion. « Ils ont transposé des airs de l’époque impressionniste en slow à la Elvis Presley et en romance. Ce sera une soirée très électro et actuelle avec une ambiance de bal et de boîte de nuit d’aujourd’hui. » La Compagnie Hu = Mus a été très inspirée pour ce projet : « Ce qui nous a touchés dans l’impressionnisme, c’est le fait d’introduire le peuple dans les tableaux et moins les bourgeois », confie Serge Hureau qui promet un grand show populaire, ouvert à tous, même à ceux qui ne connaissent rien à la danse. »

    Avec cette bouffonnerie (qui vaut celle du plus grand tableau impressionniste vivant qui l’a ouverte) se termine le navrant Fabiusland dont Monet a fait les frais (à Rouen, nous vivons bien à l’ère de l’Homo festivus dénoncée par Philippe Murray).

    Paris maintenant s’empare du nom et de la peinture de Monet. Nul doute qu’au Grand Palais aussi on saura en faire le plus d’argent possible, en évitant toutefois les ridicules de la province.

    *

    Pendant plusieurs mois, sous les triples auspices du quotidien Paris Normandie, de la Communauté de l’Agglomération de Rouen-Elbeuf-Austreberthe, et de la chambre de commerce normando-normande, ballets, concerts, défilés de mannequins, semaines commerciales et gastronomiques, foires industrielles, démonstrations gymniques, expositions artistiques, pièces de théâtre, opéras, opérettes, revues à grand spectacle, conférences, grands bals et banquets se succédèrent sans interruption, offrant aux impressionnistophiles accourus tout exprès des quatre coins du continent européen la primeur de spectacles plus ambitieux les uns que les autres, dont les trois clous furent sans conteste la reconstitution géante en plein air d’une Cathédrale (que la pluie vint malheureusement interrompre au bout de sept heures et demie), la création mondiale de Danses et masques, concert symphonique de l’Opéra de Rouen dont l’interprétation exigeait deux cent vingt-cinq musiciens, onze solistes et huit cents choristes, et la première à Tonneville d’un concours de peinture « Levers et couchers de Soleil en Normandie » au Planétarium Ludiver.

    Au milieu de ces productions colossales dont les publicités fracassantes couvraient des pages entières de magazines, l’exposition de peintures, qui se tint de juin à septembre dans les salles du Musée des Beaux-Arts de Rouen, faillit bien passer inaperçue.

    *

    Pendant plusieurs mois, sous les triples auspices du quotidien Das Vaterland, de l’Amerikanische Kunst Gesellschaft, et de la chambre de commerce germano-américaine, ballets, concerts, défilés de mannequins, semaines commerciales et gastronomiques, foires industrielles, démonstrations gymniques, expositions artistiques, pièces de théâtre, opéras, opérettes, revues à grand spectacle, conférences, grands bals et banquets se succédèrent sans interruption, offrant aux germanophiles accourus tout exprès des quatre coins du continent américain la primeur de spectacles plus ambitieux les uns que les autres, dont les trois clous furent sans conteste une intégrale en plein air du Second Faust (que la pluie vint malheureusement interrompre au bout de sept heures et demie), la création mondiale de l’oratorio de Manfred B. Gottlieb, Amerika, dont l’interprétation exigeait deux cent vingt-cinq musiciens, onze solistes et huit cents choristes, et la première à Pittsburgh de Das Gelingen, une opérette étourdissante spécialement importée de Munich avec ses deux célèbres créateurs, Theo Schuppen et Maritza Schellenbube.

    Au milieu de ces productions colossales dont les publicités fracassantes couvraient des pages entières de magazines, l’exposition de peintures, qui se tint d’avril à octobre dans les salons de l’hôtel Bavaria, faillit bien passer inaperçue.

    (Georges Perec, Un cabinet d’amateur)

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  • Pas une bonne idée de prendre la voiture pour rejoindre le quartier de la Madeleine, impossible de se garer dans le secteur, où, me fait remarquer celle qui est assise à ma droite, les immeubles n’ont ni garages ni parquigne. Après quelques tours, je déniche une petite place pas loin de la rue Achille-Flaubert.

    On déballe sous un ciel plutôt bleu dans les rues près de la Préfecture. Nous les parcourons les unes après les autres. Règle d’or : toujours tourner à droite, ce qui ne nous empêche pas de nous perdre.

    Elle me retrouve alors que j’entame un deuxième tour. Un vendeur lui a donné une petite radio qu’elle espère utiliser dans sa salle de bains parisienne. Je n’ai trouvé qu’un livre qui me plaise, la Correspondance d’Ernst Jünger et de Martin Heidegger parue chez Bourgois en janvier deux mille dix.

    Un gros nuage gris apparaît à l’horizon et au moment où l’on retrouve la voiture les premières gouttes s’abattent sur le pare-brise. Je prends quand même le chemin qui mène au quartier Jouvenet, l’enclave des bourgeux et bourgesses rouennais. Là encore, j’ai des difficultés à me garer, et comme l’objectif était de moins marcher pour économiser mon pied, c’est raté.

    Sous le parapluie, nous montons la pente qui mène chez les riches. Une éclaircie nous permet de constater qu’aucun livre intéressant n’est vendu dans le coin. La pluie reprend, transformant le déballage des privilégié(e)s en camp de sinistré(e)s. Nous quittons les lieux sans avoir acheté quoi que ce soit.

    Il est des dimanches comme ça.

    *

    Dans ma venelle une jeune couple, lui s’affaire à décrocher une paire de menottes de la grille de la maison voisine.

    -C’est louche, leur disons-nous en chœur.

    Elle rit, mais lui, gêné et rougissant :

    -C’était juste pour une photo.

    *

    Désormais un métro toutes les vingt minutes au lieu d’un métro toutes les vingt-trois minutes le dimanche à Rouen, c’est une révolution signée Laurent le Fabuleux.

                *

     Lecture de l’opuscule Hospitalisation à la demande d’un tiers de Tristan Cabral, publié au Cherche Midi. Tristan Cabral, poète maudit (comme on disait autrefois), y raconte en diverses notes comment, à la demande d’un membre de sa famille, il est enfermé de deux mille trois à deux mille six dans diverses cliniques psychiatriques et ce qu’il y voit.

    Echantillon : Il y a même des vieux très vieux que personne ne visite jamais. Ils passent leur temps sur des chaises percées. Certains sont attachés. Beaucoup, dès qu’ils le peuvent, se jettent dans le vide… Ici, on dit qu’ils ont « fait l’avion »… (Grand Hôpital Psychiatrique de Quissac. Gard).

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  • Samedi, un peu avant quinze heures, j’attends à la fenêtre celle qui me rejoint le ouiquennede. Dans la ruelle se succèdent des humains vêtus de rouge et munis d’un appareil photo. Ce sont les participant(e)s du « Marathon photo numérique » de la Fnaque dont le thème semble être : coins et recoins de Rouen.

    Elles et eux font le même genre de photo, à mon avis sans intérêt. Toutes et tous portent un ticheurte Fnaque, une gibecière Fnaque, un écriteau Fnaque, transformé(e)s pour l’après-midi en panneau publicitaire ambulant.

    La voilà, nous nous disposons à partir pour l’Omnia République, le nouveau cinéma plus ou moins municipal dédié aux films plus ou moins d’art et d’essai, avec en poche une double entrée gratuite pour The Housemaid de Im Sang-soo offerte par le distributeur Pretty Pictures, que j’ai gagnée l’autre semaine en envoyant un mail à France Culture.

    Première fois que nous allons à l’Omnia où rien n’a changé depuis la fermeture du Gaumont (les travaux prévus, c’est pour plus tard, paraît-il). Dans le haule réduit de moitié, les caissières attendent le client et la cliente. Notre invitation est transformée en deux billets et un jeune homme nous précède jusqu’à la salle Cinq au bout d’un long escalier. Nous envisageons de nous asseoir au centre de la dernière rangée. L’un des sièges est défoncé, un autre où elle pose ses fesses manque de l’avaler. Nous choisissons finalement deux sièges dans la rangée où débouche l’escalier. Il fait froid, nous devons remettre nos vestes. Tandis qu’arrivent quelques intéressé(e)s, nous discutons de nos semaines respectives. Quand le film commence, nous sommes sept ou huit.

    The Housemaid n’est pas un bon film, qui hésite entre la chronique sociale, l’histoire à suspens et la chronique érotique (ce dernier aspect bien mis en valeur sur l’affiche, raison pour laquelle nous avons eu envie de le voir). C’est ce que nous nous disons en descendant le long escalier.

    Dans le haule, personne, hormis le jeune personnel. L’Omnia ne semble pas plus fréquenté que le moribond Melville, l’autre cinéma d’art et d’essai abandonné par les socialistes municipaux, ce que résume celle qui me tient la main en ces termes :

    -Maintenant, il y a à Rouen deux cinémas qui ne marchent pas.

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  • Pas envie de marcher avec les manifestant(e)s ce jeudi matin dans les rues de Rouen, j’ai un peu mal au pied gauche suite à mon escapade parisienne et puis je crains que les syndicats n’aient pas les moyens de faire reculer le Tout Puissant de la République, que cela soit inutile.

    Ils répètent à l’envie que pour le Cépéheu ils ont gagné, oubliant qu’ils ont sous-traité l’affaire aux étudiant(e)s qui à leur tour l’ont sous-traitée aux lycéen(ne)s indiscipliné(e)s ne respectant aucun parcours de manifestation, cassant un peu ici ou là et se frottant aux Céhéresses. C’est de cela que le gouvernement d’alors a eu peur et c’est pourquoi il a reculé.

    Cette fois, la jeunesse n’est pas là, qui n’a pas envie de se penser en vieillard(e)s.

    Donc, je décide de regarder passer le défilé et à cette fin me poste à l’extrémité du pont Boieldieu, côté rive gauche, là où sont massés les gros bataillons de la Cégété, notamment les ouvriers de Renault Cléon. L’un est au micro et donne les consignes :

    -Les petites sonos doivent être réparties dans le cortège, une devant et une derrière le camion bleu. Ça fait deux et y en a trois.

    J’entends que le cortège doit se diviser en deux vers la fin pour enserrer la Préfecture. Trois branlotins arrivent avec une banderole « Vive le printemps ». On se cherche avec les téléphones :

    -J’suis au bout du pont à côté de la poubelle.

    C’est là que je suis aussi et je ne cherche personne. La manifestation démarre. Un couple me salue de loin et je ne sais pas qui c’est.

    Au bout d’un moment, je longe le quai haut en contresens vers le pont Corneille, croisant l’Hôpital qui danse derrière un cercueil. Viennent ensuite quelques étudiant(e)s de l’Unef puis une petite bande de lycéen(ne)s excité(e)s de Marcel Sembat. La Céheffedété leur colle aux fesses et les tient à l’œil :

    -Les jeunes, on évite de faire des trous dans la manif pour la sécurité. Ça vous empêche pas de vous défouler.

    Quelques cadres de la Cégécé sont là, puis en petit nombre également les membres de la Céheffetécé « le syndicat constructif », puis les choristes de la Haie Fessue et leur troupe d’enseignant(e)s.

    Sur le trottoir, se faisant voir et attendant la fin du cortège, les Ecolos et les Socialistes se tiennent à bonne distance les uns des autres. Il y a bisbille entre eux à la Mairie de Rouen (un Vert privé de délégation passe beaucoup de temps au Son du Cor à raconter ses malheurs par téléphone).

    Des policiers évacuent une partie du flot automobile en obligeant les voitures à prendre un sens interdit. Une conductrice ne peut s’y résoudre.

    Vers la fin passe avec des ballons multicolores l’Oeuvre Normande des Mères. Qu’est-ce c’est que ce truc là ? Le Parti Communiste marche derrière. Il s’est mis au rap : « Honneur à toi la jeunesse de France » (c’est consternant). Les Ecolos et les Socialistes entrent dans le cortège. Quatre Ford banalisées de couleur bleu marine suivent les manifestant(e)s, dans chacune deux fonctionnaires en civil. L’un est proche de la retraite si j’en juge à ses cheveux blancs.

    Je rentre par le pont Corneille. Sur le quai rive droite, deux filles inquiètes considèrent le cortège qui défile sur l’autre pont. Elles ont peur de passer à travers les manifestants.

     Je leur dis qu’elles peuvent y aller, ils ne sont pas méchants.

    *

    Plus tôt, avant la manifestation, j’achète le Libération du jeudi pour ses pages littéraires et un peu plus tard dans la rue découvre qu’il n’y en a point, remplacées qu’elles sont par un cahier central consacré à un forum Planète durable (de lapin) à Lyon, bavardages et délayages soutenus par Coca Cola, General Electric, Suez et Renault Camions

    *

    La Camille d’Arne Quinze qui coûte deux cent mille euros et à cause de ça les impôts locaux de Rouen qui augmentent de huit pour cent, voilà ce qu’on peut entendre ou lire ici et là. L’art contemporain incite le contemporain à la bêtise : « On n’y comprend rien » « A quoi ça sert » « C’est de l’argent foutu en l’air » et autres lieux communs qui auraient fait la joie de Flaubert pour son Dictionnaire des idées reçues.

    *

    Coût de la reconduite à la frontière (comme ils disent) d’un(e) immigré(e) sans papiers : vingt mille euros, soit pour l’ensemble des expulsé(e)s de deux mille neuf : plus de quatre cent dix-neuf millions d’euros.

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  • Sortant de la maison Lambert, je prends la direction du Centre Pompidou où c’est le premier jour de la rétrospective consacrée à Arman. En chemin, je me laisse séduire par Mona Lisait. Sur le trottoir de la rue Saint-Martin, l’une des tables est consacrée à des piles de livres de chez Anatolia (époque collaboration avec les Editions du Rocher). Anatolia publie de la littérature étrangère et de la bonne. Ces invendus sont proposés à cinq euros. Je suis raisonnable, je n’achète que Vies de Fernando Pessoa d’Angel Crespo et Le Livre des adieux, journal de l’écrivain russe (soviétique) Iouri Olecha, totalement inconnu de moi.

    Il fait tant beau que je renonce à m’enfermer si vite à Beaubourg. Je vais m’y délester de ma charge à la consigne, après que le vigile a bien vérifié que mes livres sont des livres et non des bombes, et je file dehors faire un peu le badaud à la fontaine des Innocents. Tout autour sont assis d’autres fainéant(e)s surtout des jeunes. Une femme brune habillée en noir interroge chacun(e) avec l’espoir que cette personne accepte de faire le public dans une nouvelle émission de télévision consacrée essentiellement au foute. Beaucoup refusent, quelques-un(e)s acceptent. Quand elle arrive à moi, elle passe au suivant. Trois Céhéresses rencontrent un autre trio de Céhéresses. Ils se tapent dans les mains comme une bande de chouettes copains puis continuent à vaquer à leurs occupations. Je vais prendre un Sundae au caramel chez Mac Do.

    En fin d’après-midi, je retourne à Beaubourg et grimpe tout en haut. Peu de monde pour Arman en ce premier jour d’exposition, c’est parfait.

    Je passe rapidement dans la première salle, laquelle est consacrée aux peintures de jeunesse de l’artiste, autant dire à ses erreurs de jeunesse.

    Heureusement pour lui, vers mil neuf cent cinquante-neuf, Arman commence à s’intéresser au contenu des poubelles et à en faire l’objet d’œuvres : Déchets bourgeois, Poubelle de Jim Dine, etc. Est évoqué bien sûr octobre mil neuf cent soixante, quand, avec Le Plein, Arman emplit du sol au plafond la galerie d'Iris Clert d'objets de rebut et du contenu de poubelles sélectionnées, cela en contrepoint de l'exposition Le Vide organisée deux ans plus tôt dans la même galerie par Yves Klein, son ami.

    S’ensuivent les Accumulations d’objets divers : masques à gaz, manomètres, fers à repasser, escarpins, ressorts, poupées, rasoirs électriques, scies égoïne, la liste n’est pas exhaustive (comme on dit). J’aime particulièrement La vie à pleines dents, accumulation de dentiers.

    Viennent les Colères : destructions de meubles ou d’instruments de musique (filmées ou non) jusqu’à la performance Conscious Vandalism présentée ici avec le film où l’on voit Arman pulvériser un appartement new-yorkais de deux pièces le cinq avril mil neuf cent soixante-quinze sous les yeux des propriétaires et de leurs enfants, et les Coupes : sciage de meubles, instruments de musique ou autres objets en nombreuses pièces ensuite rapprochées pour constituer par exemple un Hommage au cubisme (guitares sciées et accumulées). Me plaît bien Solex ici et là (coupe de cinq Solex).

    J’arrive dans la salle des Combustions avec notamment Black is black de mil neuf cent soixante-quatre (combustion de prie-dieu et résine), puis me voici dans celle qui montre la collaboration d’Arman et de Renault où est montrée Renault pièces en bois (coupe de prototype en bois dans plexiglas), œuvre de mil neuf cent soixante-huit.

    Enfin la salle « J’ai refait de la peinture » montre les coulures et autres giclures du dernier Arman, avec, entre autres, Vélo du désert (bicyclette découpée, brosses et acrylique sur panneau) et une Nuit étoilée en tubes de peinture coulant, un hommage à Van Gogh qui n’est pas du goût de tout le monde. Une femme s’en ouvre à son dadais de fils :

    -C’est une horreur, on n’a pas le droit de faire une chose pareille.

    En appendice, dans la pénombre, on devine The Day After, installation de meubles calcinés en bronze.

    L’œuvre d’Arman est facile à interpréter. Ce qui m’intéresse chez lui, c’est le côté esthétique et puis sa démarche, visible ici par des vidéos où on le voit en plein saccage ou peignant avec ses pieds. Pendant que je repose les miens, assis sur un banc, je l’entends dire « je ne suis pas un révolutionnaire mais je suis un révolté ».  Je suis pareil.

    Arman est mort en deux mille cinq ayant eu de trois femmes six enfants. A l’entrée de l’exposition, un panneau indique qu’il est impossible de préciser qui est propriétaire des œuvres montrées « en raison d’un litige opposant actuellement les héritiers d’Arman ». Voilà ce qui arrive quand on accumule aussi les enfants, me dis-je, en quittant les lieux. À l’extérieur, une ultime œuvre, La Victoire de Salemotrice (accumulation Renault numéro cent), met de la couleur dans la nuit tombée.

    Dans le train qui me ramène sain et sauf à Rouen, une fille lit Sexus d’Henry Miller, ce qui lui vaut d’être entreprise par son voisin. Bientôt tous deux partagent un jeu d’ordinateur. Je termine la lecture des Chroniques de l’An 18 d’Isaac Babel, sans quiconque à mes côtés.

    Ce soir, le train ne va pas plus loin que Rouen pour une raison inconnue n’ayant rien à voir avec la grève du lendemain. Les voyageurs et les voyageuses pour Le Havre continuent donc en bus. On n’a pas idée non plus d’habiter au Havre.

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  • Malgré la menace terroriste décrétée par Briseur de Feu, Ministre de l’Intérieur, je maintiens courageusement mon escapade à Paris ce mercredi.

    Cette menace terroriste est une diversion à point nommé, et qui sait, à force de crier au loup, le loup peut venir, me dis-je dans le petit matin rouennais silencieux (les laveuses et balayeuses étant étrangement absentes des rues piétonnières), quoi de mieux qu’un attentat sanglant pour réconcilier une partie du bon peuple avec son roitelet.

    A la gare, quai numéro deux, c’est bruyant. La faute aux Bidochon, un couple à l’hygiène douteuse dont la vie semble être une constante scène de ménage. Je les évitais autrefois quand je faisais le festivalier du Cinéma Nordique (ils étaient, sont sans doute encore, de toutes les séances). En ville, je les croise sporadiquement, toujours à s’engueuler. Je choisis une voiture loin d’eux et lit Chroniques de l’An 18 d’Isaac Babel, recueil d’articles de journaux, paru chez Babel, qui montre que le communisme en Russie, ça a été l’horreur dès le début.

    Sorti de terre, place Sainte-Opportune, la première personne que je vois est une femme qui photographie les rats piégés dans la vitrine du magasin Aurouze.

    Je passe la Seine et arrive à la fontaine Saint-Michel où les Sans-Papiers sont déjà en manifestation sous l’œil des policiers à bâton. Je passe chez Boulinier et chez les Gibert où je me charge des Dix Japonais de Léone Guerre (Joëlle Losfeld), réédition préfacée par Arrabal du roman érotique censuré quand il parut en mil neuf cent soixante-dix au Terrain Vague, de Terra erotica du géographe Luc Bureau (Fides), de Vibrations, roman traduit du japonais d’Akasaka Mari (Philippe Picquier) et de Moments donnés (1965-1995), recueil de notations de Gil Jouanard (Phébus).

    J’achète aussi, pour celle avec qui j’ai rendez-vous à midi, Façadisme et identité urbaine, les actes du colloque international organisé par la direction de l’Architecture et du Patrimoine et Icomos International en janvier mil neuf cent quatre-vingt-dix neuf à Paris, publiés par les Editions du Patrimoine.

    Un peu avant midi, j’entre dans son Ecole. La gardienne me demande ce que je viens faire. Je lui réponds que j’attends une élève.

    -Vous êtes un parent d’élève ?

    -En quelque sorte, lui dis-je en m’asseyant dans l’un des fauteuils rotatifs disagne.

    L’élève arrive et m’entraîne dans une salle de cours où sont en vente à son initiative des gâteaux pour faire un peu d’argent avant une arrivée prochaine de Letton(e)s. Nous en achetons quatre et bientôt nous sommes en plein pique-nique dans un jardin voisin au soleil de la plus belle journée d’automne, rosette, fromage frais, mini tomates avec pavé de Nation (un pain local). Sur le banc voisin, deux filles s’embrassent.

    Elle doit retourner travailler. Je prends le métro jusqu’à Saint-Paul et, à pied, passant par la rue des Rosiers où l’on vend les citrons de Souccoth, je vais jusqu’à la galerie Yvan Lambert, rue Vieille-du-Temple, où s’expose Roman Opalka.

    J’attends quatorze heures trente, l’ouverture, rejoint par des employés qui n’ont pas la clé et qui se demandent pourquoi ça n’ouvre pas « Ils sont partis jouer au golf ou quoi ? ». D’autres visiteurs et visiteuses potentiel(le)s s’impatientent et repartent. A trois heures moins le quart, la porte s’ouvre. Pas un mot d’excuse, pas un bonjour, on est bien chez Lambert.

    Depuis mil neuf cent soixante-cinq, Opalka matérialise par la peinture le passage du temps. Attendant sa femme dans un café de Varsovie, il eut l’idée de tracer le chiffre 1 en haut à gauche d'une toile, en blanc sur noir, et de continuer. Il peint ainsi des séries de nombres du haut à gauche au bas à droite de ses toiles, avec une moyenne de trois cent quatre-vingts nombres par jour. En mil neuf cent soixante-douze, il atteint le nombre 1 000 000 et décide de changer de règle en éclaircissant progressivement par un pour cent de blanc chaque toile, qu'il nomme Détail. Lors de ses réalisations, Opalka énumère les nombres à voix haute, qu'il enregistre au magnétophone, et se photographie face à l'œuvre, habillé d'une chemise blanche et dans un éclairage très clair.

    J’aime Opalka parce que j’aime les obsessionnels et suis hanté par la tragique vieillesse qui arrive. Chez Lambert sont visibles dans la petite salle les photos de l’artiste prenant de l’âge au fil des années et dans la grande salle ses Détails, jusqu’aux derniers où l’on ne voit plus rien, nombres blancs sur fond blanc. Manquent les enregistrements sonores.

    Comme j’ai déjà vu ça au Centre Pompidou à l’étage de l’art contemporain quand il n’était pas réservé aux femmes artistes, je me dis qu’Opalka fait partie de ces artistes dont on peut se contenter de voir l’œuvre une seule fois et je quitte la galerie Yvan Lambert sans dire au revoir.

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  • Dimanche, après avoir le matin fait en duo moult allées et venues sur le quai aux livres de Rouen, c’est en solo que je parcours l’après-midi le gigantesque vide grenier de Bihorel à la recherche d’un livre ou d’un cédé qui jusqu’ici m’aurait manqué.

    Tant de vendeuses et de vendeurs ne proposent que de la layette et des jouets pour la marmaille. Si j’étais dictateur de vide grenier, je les caserais à part sur une place où je n’aurais pas à mettre les pieds. De quoi être moins fatigué que je ne le suis lorsque je reprends ma voiture.

    Je rapporte deux livres intéressants de Bihorel. Pour celle qui s’apprête à rejoindre Paris : L’espèce humaine de Robert Antelme (Tel Gallimard) et pour moi Parloir (une vie régulière au Bec-Hellouin) (Seghers).

    Parloir date de mil neuf cent quatre-vingt-neuf et reprend les entretiens de Jean-Paul Cayeux, cinéaste, avec certains moines de l’Abbaye Notre-Dame-du-Bec, entretiens réalisés pour le film du même nom que j’ai vu en son temps à la télévision.

    Parmi les interrogés, le Père Abbé (dont je tais le nom), moine élu pour diriger la communauté, vingt-sept ans de vie monastique. Jean-Paul Cayeux le questionne sur la chasteté, à quoi il répond :

    « Il est vrai que, pour un homme ou pour une femme, faire l’expérience ou de la virginité ou de la chasteté, c’est-à-dire un propos de vie chaste, sans rapport sexuel avec un homme ou une femme, cela se ressent dans le corps, dans l’esprit, dans le cœur ; dans la mesure où dans cette expression sexuelle, érotique au bon sens du terme, de l’amour humain, il y a de fait toute une gratification, il y a toute une expérience de plaisir, de joie, de communion,… il y a toute une symbolique très riche et très dense, tout un langage extrêmement beau et fort quand il est bien vécu… A tout cela nous renonçons. »

    Peu après, on découvrit que le Père Abbé avait des relations sexuelles avec la Mère Supérieure du Monastère Sainte-Françoise-Romaine, qui duraient depuis longtemps et firent scandale jusqu’au journal télévisé de vingt heures.

    Séparés et démis de leurs fonctions, les deux amants furent envoyés dans de lointaines maisons religieuses où ils eurent le loisir d’expier.

    Ce qui m’intéresse surtout dans cette histoire, c’est le mensonge.

    *

    L’exposition à laquelle on a échappé en septembre à Rouen, celle consacrée à Hara-Kiri, le défunt journal bête et méchant, qui devait avoir lieu à la bibliothèque Saint-Sever, annulée pour d’obscures raisons de droits . Cette exposition aurait été interdite aux moins de seize ans selon la déplorable manie actuelle alors même qu’elle prétendait s’intéresser au problème de la censure. On aurait pu l’appeler « La censure par l’exemple ».

    *

    Le ridicule titre de Texto, le journal municipal des bibliothèques de quartier de la ville de Rouen, pour l’inauguration prochaine de la petite dernière nommée Simone de Beauvoir : « En voiture Simone ! ».

    Pourquoi pas « Simone, celle qui rit quand on la ramone ! »

    *

    « Dans ma première jeunesse ne me séduisaient que les bibliothèques et les bordels », écrivait Cioran à l’un de ses amis. Je suis né trop tard pour les bordels mais j’ai bien profité de la bibliothèque municipale de Louviers.

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  • Elle est avec moi dimanche matin quand je vais chercher ma voiture. Rue de la République, une banderole annonce la Semaine de la Mobilité.

    -C’est pour les Roms, me dit-elle.

    Nous sommes en pleine forme et avides de bonnes découvertes.

    Je me gare sur le quai haut, rive droite, pas loin de l’Opéra. En contrebas, c’est le grand vidage de bibliothèques nommé le quai aux livres. Si les sacs sont trop lourds, la voiture fera office de lieu de stockage comme ce fut le cas l’année dernière.

    Il fait froid et beau à l’heure où le jour se lève. Bientôt, le soleil apparaît du côté de Bihorel, ce qui donne de jolies images mais nous ne sommes pas là pour ça, surtout moi.

    On peut classer l’exposant en trois catégories : le professionnel (souvent un peu cher), le particulier (aux prix variables) et l’associatif (le moins intéressé par l’argent). Nous naviguons de l’un à l’autre.

    Je refuse de faire une bonne action comme on me le demande aux Restos du Cœur, n’accepte pas un peu plus loin de payer trop cher un livre que je retrouverai ailleurs, tout cela en restant équanime, ce que remarque celle qui me tient la main. « Tu ne t’embrouilles avec personne, ce matin », me dit-elle. C’est vrai, à peine est-ce que j’énerve un jeune homme vendeur de Lénine et de Trotski en le qualifiant d’ancien communiste et en vain fais-je remarquer à des dames d’association qu’elles sont nombreuses derrière leur stand et qu’elles font finir par se chamailler.

    Mon premier achat est l’épaisse biographie Donatien Alphonse François, marquis de Sade de Maurice Lever (Fayard) puis je me charge du non moins lourd Livre du cannabis de Tigrane Hadengue, Hugo Verlomme et Michka (Georg Editeur). Lassés de nous entendre demander ce que nous cherchons, ce livre nous donne l’idée de répondre « Des livres sur le cannabis ». Hélas, cela ne choque personne. Même les dames du Rotary fouillent dans leur stock pour tenter de nous satisfaire.

    -La prochaine fois, je réponds « Des livres sur la sodomie », me dit-elle.

    Un vendeur a disposé sur le quai des citations qu’il croit propices à la vente de ses livres. A côté d’une subtile formule de Jules Renard, on trouve « Si le mot nu ment, vêtu, le mot dit : « fi » » de l’humoriste contemporain Sébastien Bailly.

    J’achète encore On a marché sur la Lande d’Arno Schmidt (Tristram), Minutes d’un testament d’Eduardo Arroyo (Grasset) et Fabliaux érotiques (Le Livre de Poche), aussi pour elle le Journal de Marie Bashkirtseff (Collection Capitale) et Sombre printemps d’Unica Zürn (Le Serpent à Plumes) et enfin, ce qui me fait le plus plaisir, Noir comme l’humour, « sentences, maximes et autres propos mortels rassemblés par Joseph Vebret », un livre objet en forme de cercueil, « mis en bière en Espagne », publié par les Editions L’Archipel et pendant tout ce temps plus personne pour nous demander ce qu’on cherche et c’est bien dommage.

    Aucun délestage dans la voiture n’est nécessaire, c’est les sacs à la main que nous rentrons à la maison. Je prépare l’apéritif tandis qu’elle va acheter du pain.

    Elle revient de la boulangerie avec deux baguettes extra plates, résultat d’une erreur de fabrication et vendues dix centimes chacune, guère moins bonnes que des réussies bien gonflées.

    « Ce vil pain, c’est tassé », constatons-nous en déjeunant dans le jardin (c’est presque aussi drôle que du Sébastien Bailly).

    *

    Epitaphe de l’écrivaine Dorothy Parker, incinérée en mil neuf cent soixante-sept : « Excusez-moi pour la poussière ».

    *

    Commencé à lire le testament d’Eduardo Arroyo, lequel cite Schopenhauer qui écrivait Exiger l’immortalité de l’individu, c’est vouloir perpétuer une erreur jusqu’à l’infini.

    *

    Censure, c’est au tour du socialiste Delanoë de s’y mettre, ainsi que l’explique Le Journal du dimanche : « L'exposition sur le thème de l'adolescence, qui doit s'ouvrir le 8 octobre prochain au Musée d'art moderne de la ville de Paris, sera interdite aux mineurs. Cette rétrospective du photographe américain Larry Clark laisse une large part à la sexualité et à la violence, avec des images crues. Les risques d'accusations de pédophilie ont incité la mairie à prendre les devants. Des procédures avaient été engagées pour une autre exposition de l'artiste à Bordeaux en 2000. Le catalogue de la rétrospective sera quant à lui édité outre Manche pour plus de liberté dans le choix des images. »

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  • Je n’ai pu me résoudre à aller à Yvetot dimanche dernier pour le premier concert de la saison, c’est donc ce samedi que je retrouve l’Opéra de Rouen où Marie-Nicole Lemieux donne un récital estampillé Normandie Impressionniste. Celle qui m’accompagne entend bien obtenir un billet du dernier quart d’heure à cinq euros, ce pourquoi nous sommes là un peu avant l’ouverture des portes. Un abonné grincheux occupe l’attente en choutant dans les détritus.

    Les portes s’écartent. Elle est la seule dans la file étudiante. Je monte et m’installe en corbeille, attendant de ses nouvelles. J’en ai bientôt. Un spectateur lui a revendu cinq euros une place à dix-huit et cette place est à côté de la mienne, ce qui nous réjouit fort, une chance sur huit cents (ou cinq cents si la salle n’est pas comble comme cela semble être le cas).

    L’aimable vendeur de place au rabais s’installe à sa gauche. Un homme à lunettes et cheveux en brosse fait de même à ma droite. Bientôt, Daniel Blumenthal, l’Américain aux quatre-vingts cédés, s’installe au piano devant le rideau noir avec son tourneur de page et Marie-Nicole Lemieux, la Québécoise aux multiples engagements et à la voix imposante.

    Très cantatrice, la contralto commence par Funf Gesänge für eine tiefe Stimme de Franz Schreker, sur un texte des Mille et une nuits et quatre poèmes d’Edith Ronsperger. C’est quelque peu sinistre (Edith s’est suicidée à Florence pour fuir une difformité physique, Franz est mort à la suite de son éviction de la direction du Conservatoire de Berlin par les Nazis). Elle poursuit avec Ernest Chausson (mort d’être tombé de son vélo). Bizarrement, la chaussure de mon voisin s’appuie contre mon pied. Je le repousse mais quelques minutes plus tard il revient à la charge, comme on dit. Je lui file un coup de latte en le fusillant du regard et il se tient coi.

    A l’entracte, nous partageons nos impressions sur ce récital « impressionniste » un peu ennuyeux, puis elle demande pourquoi j’ai fait une ruade à un certain moment. Je lui explique et la voilà qui se moque de mon succès.

    -Il est moche en plus, me dit-elle quand nous nous rasseyons à nos places.

    Son voisin entre alors dans la danse en lui disant qu’il ne voit pas d’inconvénient à ce qu’elle laisse son bras sur l’accoudoir près du sien. Ce soir, l’Opéra est le lieu de drague le plus couru de Rouen.

    La cantatrice statique et le pianiste gris reprennent avec Gabriel Fauré (mort d’une pneumonie), Claude Debussy (mort d’un cancer) et Guillaume Lekeu (mort d’une typhoïde le lendemain de son vingt-quatrième anniversaire).

    C’est l’heure des rappels. Marie-Nicole Lemieux, très québécoise tout à coup, raconte qu’elle est particulièrement contente d’être à Rouen car c’est la ville de ses ancêtres. Les Lemieux sont partis d’ici au treizième siècle et elle nous propose de Duparc, compositeur qu’elle aime beaucoup, L’Invitation au voyage.

    Celui lui vaut un deuxième rappel non anticipé par les membres d’une famille du troisième rang. Debout, prêts à quitter la salle, ils sont tétanisés par l’entrée en scène de la cantatrice qui en tressaute de  rire.

    -Mais allez-y partez, partez, leur conseille-t-elle avant de nous chanter L’Heure exquise de Reynaldo Hahn puis de revenir, encore plus guillerette, pour La Truite de Schubert

    - C’était drôlement bien les rappels, me dit celle qui me tient la main dans la rue alors que nous rentrons.

    Je suis de son avis. On aurait dû lui laisser chanter ce qu’elle avait envie plutôt que lui imposer un foutu programme « impressionniste » à Marie-Nicole.

    Lemieux, c’est quand elle fait ce qu’elle veut.

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