• Ce samedi après-midi, le Cent Six sort de son hangar et se répand dans le triangle d’or Martainville-Damiette-Eau de Robec sur le thème Mythomania en une odyssée de huit concerts, une performance et une projection de film en plein air. A peine ai-je mis le pied dans la rue que j’y croise l’ami Masson avec son chapeau mais sans ses lunettes. « J’allons écouter le Gros Horloge faire du rock’n’roll », lui dis-je. Lui aussi évidemment.

    En effet, à trois heures, c’est le carillon du Gros, accompagné d’un guitariste local, qui donne le coup d’envoi de l’odyssée, une prestation qui laisse imperturbable la masse des passant(e)s, touristes ou adeptes de la braderie de printemps, et dont j’attendais mieux.

    Une heure plus tard, je suis à l’ombre, en retrait, dans le jardin de l’aître Saint-Maclou pour le premier concert. Sur le plateau protégé du soleil par une structure gonflable blanche en arc de cercle se produit Mustang, musiciens à gomina, chantant en français dans le style Golf Drouot des années cinquante.

    -C’est quel groupe ? me demande un quidam.

    -Les Forbans.

    Je crois qu’il me croit.

    Je vais ensuite au Son du Cor, rue Eau de Robec, où ce n’est pas la peine d’espérer trouver une place assise en terrasse. Appuyé contre l’un des faux ponts enjambant le faux ruisseau, j’écoute AA&You, duo de garçons qui grouvent en anglais sur le terrain de boules, une autre forme de pastiche de musique américaine, mais non vintage.

    Ce sera tout pour moi côté concerts mais je ne veux pas manquer la performance à l’orgue de Charlemagne Palestine. Vingt minutes avant dix-neuf heures, j’entre donc dans l’église Saint-Maclou. Une messe y est en cours. Plutôt que de ressortir, je choisis d’y assister debout près d’un pilier (Dieu n’en profite pas pour m’envoyer la foi). Un organiste accompagne l’office. A un moment, le public essentiellement composé de vieilles et de vieux (mais sont présents aussi un jeune seul et un jeune couple façon « Manif pour tous » ainsi que trois fillettes amenées là par leurs grand-mères) se lève. Toutes et tous se serrent chaleureusement la main en signe de fraternité. Une quête est faite. Quelques chants encore, l’évocation par le vieux curé des problèmes du monde (combats en Syrie, Ukraine et Centrafrique, mineurs morts en Turquie) et c’est fini.

    A peine les catholiques dehors qu’entrent les mythomaniaques, beaucoup plus nombreux. Les chaises sont prises d’assaut et, dans un bel ensemble, tournées vers l’orgue où il n’y aura rien à voir. Je résiste, ayant repéré les écrans sur les piliers, vers lesquels, dès que ceux-ci sont allumés, se retourne le gros des troupes où l’on compte pas mal de couples avec moutard(e)s en bas âge. Le dos de Charlemagne Palestine apparaît sur l’image, longs cheveux blancs en catogan, corpulence enveloppée dans des vêtements archi colorés, casquette de baise-baule, complètement Américain de Brooklyn bien que vivant à Bruxelles.

    La marmaille se tient tranquille, captée par les écrans. L’artiste accroche ses fétiches à l’orgue (des peluches diverses), se livre à un rituel magique avec son verre de vin rouge, puis actionne un premier tirant de jeux. C’est ensuite la longue montée en puissance créant une musique minimale assez envoûtante mais qui ne convainc pas la quatre ans assise devant moi. Elle se tourne vers son père :

    -Il sait pas jouer de l’orgue, le monsieur.

    -Je t’expliquerai plus tard, répond le père de cette enfant d’Andersen.

    De temps en temps, Charlemagne Palestine boit un petit coup de vin et se jette de manière branlatoire sur le clavier. Dans l’église, quelqu’un(e)s semblent en méditation, d’autres déambulent dans la vague sonore. Je vois passer un gobelet de bière mais il fait vite le chemin inverse. Régulièrement, certain(e)s se lèvent pour quitter les lieux. Au bout d’une heure, plus un enfant n’est présent. Des touristes attiré(e)s par le bruit et les portes ouvertes font le tour de l’église sans se soucier de ce qui s’y passe. Un peu avant vingt et une heures, le son finit par atteindre une puissance à casser les vitraux laissés intacts par la Deuxième Guerre Mondiale.

    L’artiste repousse alors un premier tirant. La descente se fait par palier, assez rapidement. Le silence surprend. Les quelques dizaines de spectatrices et spectateurs qui sont allées au bout, se tournent vers l’orgue et applaudissent.

    Charlemagne Palestine apparaît à la tribune. Il salue, dans une main son verre de rouge, dans l’autre sa peluche de Babar.

    *

    Un simulacre, cette fraternité catholique pendant la messe : pas question que l’un(e) dise à l’autre « Vous êtes seul(e), moi aussi, venez donc prendre le thé dimanche ».

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  • Une longue file de voitures avance au pas près du Super U de Oissel vers six heures samedi matin, ce sont celles d’exposant(e)s pas encore installé(e)s dans les prés jouxtant le supermarché, au lieu-dit La Plaine des Landaus. Par une manœuvre hardie, doublant tout le monde en roulant à contresens, j’atteins une entrée de parquigne du supermarché et m’y gare.

    Il fait beau, soleil et ciel bleu. Je fais le tour des déjà installé(e)s, guère optimiste. Est-ce en raison de ce nom de Landaus, on trouve ici encore plus de vêtements de bébés qu’ailleurs, souvent stockés dans des cartons de la marque Pampers.

    Grâce à une bonne organisation, tou(te)s les vendeuses et vendeurs ont bientôt trouvé place. Certains boivent déjà un coup (comme ils disent) dans des gobelets en plastique :

    -Eh dis donc, t’en as un paquet de gobelets, Robert !

    -Ça vient du boulot, c’est plus facile d’en sortir un carton que quelques-uns.

    Je vais et viens dans ces prés à l’herbe couverte de rosée sans trouver quoi que ce soit, jusqu’à ce que j’en ai marre.

    Je rentre avec rien dans mon panier et les pieds mouillés.

    *

    La crainte du vendeur de cochons d’Inde de vide grenier : que celui qui les achète les donne à boulotter à son serpent.

    *

     Pas encore de cochons d’Inde, ni de serpents, mais après la multiplication des chats, maintenant ce sont les chiens : il y aura bientôt davantage d’animaux visibles dans le jardin de la copropriété abandonné à lui-même qu’au nouveau zoo de Vincennes.

    *

    Un client du Son du Cor après deux pastis, samedi midi, parlant de je ne sais qui : « Il a acheté un garage. Hey, c’est pas une mauvaise affaire. Parce que tu fais un étage au-dessus. Et après, tu mets un jardin sur le toit. »

    *

    La veille, même heure même endroit, une cliente énervée à la patronne : « Putain, merde, chiasse, couille, je suis désolée madame, j’ai des problèmes mentaux, je viens de prendre un médicament, je vais me calmer. » (première fois que je me trouve en présence du syndrome de Gilles de la Tourette)

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  • -Qu’est-ce ça veut dire déjà oxymore ? J’ai oublié.

    Celle qui s’adresse ainsi à moi est assise à ma gauche au premier rang des chaises du dessus de la fosse à l’Opéra de Rouen ce vendredi soir, sexagénaire que je ne connais pas, étudiant comme moi le livret programme du concert donné par accentus sous le titre Voix intérieures. Je rafraîchis la mémoire de cette voix extérieure, puis me replonge dans ma lecture, pas excité du tout par les notes d’intention évoquant le sacré, la vie spirituelle, le cours du temps et la mort au bout. Un film vidéo de Julien Crépieux, tourné dans le désert américain, est chargé d’illustrer le propos chanté. Sa première image, fixe, est en fond de plateau.

    -Ça fait mal aux pieds, me dit ma voisine.

    Je lui demande de quoi elle parle. Des cailloux du désert de l’image.

    La salle n’est qu’à moitié occupée. Un jeune homme à micro explique comment regarder la vidéo Sans titre (Spaceship Earth) : surtout sur les bords si l’on veut se rendre compte du mouvement de la caméra filmant l’ombre porté d’un poteau électrique sur un sol caillouteux pendant une heure.

    Dans une semi pénombre, le chœur chante des extraits de Répons pour le vendredi saint et Répons pour le samedi saint de Carlo Gesualdo. D’où je suis, je ne peux lire les surtitres et c’est heureux. Derrière les interprètes, l’image fait toujours mal aux pieds. A l’issue de ce premier tiers, elles et eux quittent la scène. Pieter-Jelle de Boer, qui les dirige, reste seul face au désert jusqu’à leur retour, un peu plus nombreux, pour The Dark Day de la contemporaine Francesca Verunelli, « issue de l’Ircam », composition dans laquelle le chant laisse parfois place au son de petits harmonicas. Enfin, c’est Granum Sinapis de Pascal Dusapin, une œuvre composée pour sa « défunte mère ». A la fin, le paysage ayant lentement basculé sur l’écran, on aperçoit l’horizon.

    Comme toujours avec accentus, je suis content et les autres aussi. Julien Crépieux bénéficie également des applaudissements mais on ne peut pas dire que son film ait plu. Pour celles et ceux qui contrairement à moi (mais jamais jusqu’au bout comme aujourd’hui) n’ont pas déjà vu ce genre d’ennuyeuse vidéo à image quasiment fixe dans des galeries d’art contemporain, l’incompréhension est totale et se traduit comme souvent par de petites plaisanteries. « C’est le monteur du film qui aurait mérité des applaudissements. » entends-je à la sortie.

    *

    S’il est une chose dont j’aimerais être capable en ce moment, c’est de ne pas entendre ma voix intérieure.

    *

    Gesualdo, coupable du double assassinat de sa femme et de l’amant de celle-ci. Le Caravage également auteur d’un crime mortel en mille six cent six. Leur renommée artistique n’en a pas souffert.

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  • Du soleil pour ce jeudi, il brille fort malgré un vent frais, un peu avant midi, lorsque je traverse la rue de la République et la manifestation des fonctionnaires qui la remonte, sono assourdissante et slogans usés. Par la rue Damiette, je rejoins le Son du Cor où l’on s’affaire à installer tables et chaises en terrasse.

    A la meilleure place ensoleillée, je termine la lecture du Journal 1920 d’Isaac Babel puis rejoins l’Ubi avec mon ordinateur sur lequel je tape le récit que fit mon grand-père Jules de sa guerre de Quatorze.

    A dix-sept heures trente, je suis à l’Ecole Supérieure d’Art et Design Le Havre Rouen, que la plupart continuent d’appeler Ecole des Beaux-Arts, pour le vernissage de l’exposition Le moindre geste (deux) et commence par aller chercher un verre au bar installé en extérieur. Connaissant le vin du lieu, j’opte pour le cidre.

    -Pas de jus d’orange aujourd’hui, me dit l’un des présents, récemment fâché par mes écritures.

    -Ce cidre me permettra de voir clair, lui dis-je.

    Je lui demande s’il m’en veut toujours autant. Non, ça va, me répond-il.

    Je vais boire ce cidre dans un triangle de soleil.  Des beauzarteuses et beauzarteux sont occupés avec des professeurs à une performance « en mémoire de la présence de l’Ecole à l’Aître Saint-Maclou, un espace à la charge historique et émotionnelle très puissante ». En effet, l’an prochain c’est le collège Giraudoux à la Grand Mare et, nous sommes, est-il aussi écrit, à la « dernière exposition programmée par l’équipe enseignante de l’Esadhar dans les grandes galeries », mais l’information m’est démentie par un bien renseigné. D’autres expos auront lieu ici au début de la prochaine année scolaire, on n’est pas prêt là-haut.

    J’apprends aussi que désormais c’est le directeur du Havre qui est aussi directeur à Rouen, et qu’en conséquence François Lasgi est redevenu professeur. Pour ce qui est du vernissage cela ne change rien, il est aussi morne que les précédents. Un conseiller municipal d’opposition erre un peu, puis se rabat sur son téléphone. Je fais le tour des deux grandes salles où sont montrées des œuvres d’habitude, faites par des profs au bénéfice des élèves qui feront plus tard les mêmes.

    *

    C’est est fini de l’ex librairie Magne autrefois rue de l’Hôpital devenue boutique de photos vintage (comme on dit) rue Eau-de-Robec, pas pour longtemps.

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  • Le sale temps a cessé ce mercredi matin mais pas ma morosité. En chemin pour Paris, je constate que cette journée ailleurs n’améliorera pas les choses. Mes obsédantes pensées continuent de me tourmenter.

    Après un café bu et Libé lu au comptoir du Café du Faubourg, je me débarrasse de quelques bédés chez Book-Off Bastille et y furète une bonne heure. La récolte n’est pas mauvaise avec notamment Ni père ni mère d’Attila József (Edition Sillage) et Bréviaire du chaos d’Albert Caraco (L’Age d’Homme). Je mange une cuisse de canard au Péhemmu chinois puis rejoins le Marais à pied où m’attire une exposition Juergen Muller à la galerie Suzanne Tarasieve, rue Pastourelle.

    Cette rue n’est pas aussi gaie (du moins au sens propre) que son nom le fait espérer. En vitrine de la galerie, je reconnais le style de Juergen Muller, photographe peu connu, mais de moi oui, grâce à un livre acheté je ne sais où il y a longtemps. J’entre, fais le tour de ce qui est montré de l’univers un peu déglingué de l’artiste, monte à l’étage pour la suite, trouve là une jeune femme qui me dit bonjour, redescends et ressors, direction Beaubourg.

    Je passe chez Gilda, annexe de la librairie Parallèles, et dans ses bacs de trottoir trouve « Mon grand petit homme… » (Mille et une lettres d’amour à Victor Hugo) de Juliette Drouet (L’Imaginaire/Gallimard). Ce lourd livre a été offert le trois décembre deux mille dix par une certaine Anthéa à Elisa et Julien : « Que vous souhaiter de plus qu’un si grand amour ? Aimer, c’est plus que vivre. ». Celui de Toto et Juju a duré cinquante ans.

    Je vais en lire un peu dans le jardin de la tour Saint-Jacques puis traverse la Seine et me rends compte que j’ai oublié d’aller chez Templon, tant pis, où je voulais voir les expositions Jean-Michel Alberola et Pierre et Gilles. Après Gilbert Joseph, le bus Vingt et Un m’emmène chez Book Off Opéra où l’on écoute Il n’y a pas d’amour heureux chanté par Nina Simone. La récolte n’y est pas mauvaise, dans laquelle Le Professeur de Christian Prigent (Al Dante).

    J’attends le train du retour Chez Léon, retrouvant Juliette Drouet et ses lettres dégoulinantes d’amour romantique. À l’autre bout de la salle, une étudiante à lunettes me donne à cruellement rêver.

    *

    Le Professeur de Christian Prigent, un livre en courts chapitres non ponctués qui n’est pas passé entre les mains de l’avocat qui édulcore la littérature française contemporaine. Il commence ainsi : Le professeur est assis dans son fauteuil derrière son bureau la jeune élève est debout de dos contre les étagères perchée sur ses talons le professeur est habillé la jeune élève est toute nue…

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  • Sachant désormais pourquoi je n’ai pas reçu de mail de Paris ce ouiquennede et donc pas au mieux de ma forme, j’écoute ce lundi en fin d’après-midi, sur France Culture, un documentaire de Jean-François Marquet et François Teste intitulé Ma vasectomie (opération n’étant devenue légale en France qu’en deux mille un).

    Cela me rappelle le jour lointain, il y a environ quarante ans, où après avoir pris rendez-vous, je me présentais un après-midi au Planning Familial de Rouen, déjà situé rue d’Elbeuf, certain de ne pas vouloir d’enfant, bien décidé à bénéficier de cette vasectomie interdite en France.

    Ce jour-là, la femme qui me reçoit m’avoue qu’elle ne voit pas souvent d’homme en ce lieu. Je lui explique mon refus d’engendrer, mon peu de goût pour l’usage du préservatif, mon désir de ne pas mettre une fille dans la situation d’avoir à avorter, ma crainte que quelqu’une faisant fi de mon choix fasse un jour de moi un géniteur contre mon gré.

    Elle me fournit les renseignements nécessaires. Le plus simple est d’aller à Londres dans un hôpital dont elle me donne les coordonnées et où une infirmière prénommée Nicole et parlant français me prendra en charge.

    Je n’y suis pas allé. A cause d’une petite phrase qu’elle m’a dite :

    -Peut-être que le risque d’avoir un enfant dont vous ne voulez pas joue un rôle important dans votre inconscient érotique.

    *

    Heureusement, grâce à la pilule, il n’est jamais arrivé qu’une fille doive subir un avortement de mon fait. Et désormais, il est peu probable que cela se produise, étant arrivé à l’âge où, comme me le font comprendre chaque jour celles que je croise et qui ne me jettent pas un regard, ma cote sur le marché de la séduction frôle le zéro.

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  • Me réjouissant à l’avance de l’abondance des vide greniers ce onze mai, envisageant le périple Bonsecours, Le Mesnil-Esnard, Saint-Jacques-de-Darnétal, Heudebouville, Igoville, Rouen (île Lacroix), je déchante au réveil (cinq heures) et encore plus quand je mets le pied dehors (six heures). Le ciel est gris. Le vent souffle encore comme un diable. Adieu longue tournée si bienvenue pour occuper un dimanche synonyme de néant.

    Je prends quand même la route de Bonsecours. Sur la place, les numéros tracés à la peinture blanche permettent d’évaluer le nombre des absents. C’est un quasi désert. Chacun des présents s’efforce d’empêcher la marchandise de s’envoler. Les organisateurs se battent un moment contre le vent dans le but d’installer une grande tente verte puis renoncent. Moi aussi, qui reprends la voiture sans être allé dire bonjour à la famille de Heredia au cimetière.

    Je me gare un peu plus loin, au Mesnil-Esnard où la Mairie a partagé en quatre quarts ses cinq panneaux électoraux afin que la vingtaine de listes de candidats aux Européennes y trouve place avec une demi affiche. Côté vide grenier, il règne la même désolation et le même pessimisme qu’à Bonsecours. Quelques exposants comptent sur l’avancée en béton de l’école pour se protéger de la drache qui menace. Je fais le tour des quelques installés sans trouver quoi que ce soit. L’averse se déclenche, dont m’abrite bientôt ma voiture.

    Garé dans l’île Lacroix, la pluie ayant provisoirement cessé, je fais deux fois le tour du vide grenier local où se trouvent davantage de vendeurs que dans les deux autres réunis mais rien non plus pour moi. Je rentre à pied sous une nouvelle averse (huit heures).

    *

    Pour me consoler, le livre rouge acheté trois euros cinquante samedi matin à Joseph Trotta sur le marché du Clos Saint-Marc : Carnets, Les Années Jules et Jim (première partie 1920-1921) d’Henri-Pierre Roché (André Dimanche Editeur), ouvrage paru en mil neuf cent quatre-vingt-dix, quatre cent quatre-vingt-huit pages ; la deuxième partie n’ayant jamais été publiée.

    *

    La vente de livres ne suffit plus. Dans un bel ensemble, La Fnaque et la librairie L’Armitière ont ouvert une papeterie.

    *

    Cette semaine, une voisine est devenue la dame aux petits chiens.

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  • J’affronte, ce samedi soir, un vent de tous les diables (comme on dit) pour aller à l’Opéra de Rouen où sous la direction de Vincent Dumestre se donne Dido and Æneas d’Henry Purcell. Ma place est en corbeille, entre un couple d’hommes dont l’un porte une bague brillant de mille feux (dit-il) et une femme seule à bouteille d’eau (remède pour la toux). Je lis l’argument de cet opéra baroque en trois actes en anglais surtitré et n’y comprends rien. C’est toujours avec de l’amour compliqué et contrarié que les musiciens composent.

    Contrarié, je le suis aussi dès le premier effet de mise en scène. Il montre, devant le rideau fermé, un Cupidon emplumé lançant sa flèche, laquelle est sommairement hissée par une ficelle jusqu’aux cintres. La vue des décors confirme ma première impression. Nous sommes au royaume du kitch avec des rochers en toc façon Buttes-Chaumont et des bandes de tissu bleu secouées à la main depuis les coulisses pour faire la mer. Dans celle-ci s’ébrouent de façon ridicule de jolies naïades. La suite est à l’avenant, avec interventions répétées d’acrobates au sol ou au trapèze et présence de monstres marins vaguement inspirés de Philippe Druillet.

    Tout cela (mise en scène, chorégraphie, décors et costumes) est dû au duo Cécile Roussat et Julien Lubek et je ne suis pas étonné d’entendre à la fin moult applaudissements et des bravos, lesquels se complètent d’une partielle ovation debout après que l’un des circassiens a donné un petit supplément de cabrioles arrière.

    Un spectacle pour enfants, quoi de plus approprié aux adultes de ce début de vingt et unième siècle, me dis-je, affrontant le vent de tous les diables dans l’autre sens.

    *

    Certes Purcell, certes l’orchestre du Poème Harmonique et le chœur accentus dans la fosse (on ne voit que les têtes), certes de bons interprètes, notamment Vivica Genaux (Didon) et Henk Neven  (Enée), mais tout ce cirque.

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  • En janvier mil neuf cent quarante-trois, Robert Desnos qui jugeait atroces les conditions dans lesquelles le poète était enfermé à Ville-Evrard, obtient le transfert d’Antonin Artaud de zone occupée en zone dite libre à l’Hôpital de Rodez.

    La lecture des Lettres écrites de Rodez en quarante-trois et quarante-quatre, publiées chez Gallimard en mil neuf cent soixante-quatorze (tome dix des Œuvres complètes), me fait découvrir un Artaud que je ne soupçonnais pas :

    (…) parce que j’ignore et que je méprise comme avilissants pour l’homme tous rapports sexuels quels qu’ils soient et que c’est m’offenser gravement que de croire que le corps que je porte a pu s’y livrer à aucun moment de sa vie.

    Toute sexualité et tout érotisme, Dr Latrémolière, sont un péché et un crime pour Jésus-christ… (au docteur Jacques Latrémolière, le quinze février mil neuf cent quarante-trois)

    La Religion, la Famille, la Patrie sont les trois seules choses que je respecte mais c’est probablement parce que voilà des années qu’elles ont cessé de se respecter et de se considérer elles-mêmes qu’il leur est arrivé tant de malheurs.

    J’ai toujours été royaliste et patriote, vous le savez. (à Jean Paulhan, le cinq octobre mil neuf cent quarante-trois)

    Beaucoup de chansons destinées aux enfants sont basées ainsi sur des mythes érotiques plus ou moins dissimulés et notre devoir quand nous en rencontrons un est de le détruire au lieu de l’accuser… (au docteur Gaston Ferdière, le dix-huit octobre neuf cent quarante-trois)

    *

    Avant Ville-Evrard, il y avait eu le terrible passage par l’Hôpital Psychiatrique de Quatre-Mares à Sotteville-lès-Rouen :

    Si j’ai aujourd’hui une hypertrophie du foie, des troubles vaso-moteurs constants, un gonflement et un désaxement de la pointe du cœur, des états douloureux et anxieux qui font de ma vie un martyre et un drame de tous les instants, cela est dû aux cinq mois d’emprisonnement que j’ai subis à l’Asile de Quatre-Mares et d’ordre de la police française à Sotteville-lès-Rouen, ce que toute la police et toute la médecine connaît. (au docteur Jacques Latrémolière, le quinze février mil neuf cent quarante-trois)

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  • Ce sept mai, c’est l’anniversaire de celle qui arrive de Paris avec le train de dix-sept heures cinq et une grosse valise destinée à transporter une partie de ses livres de chez ses parents jusqu’à son précaire chez elle.

    Un peu plus tard, je lui fais visiter l’Ubi du grenier au sous-sol puis nous y prenons un kir, après avoir discuté avec Sylvain Wavrant, le garçon de la grotte, taxidermiste disagneur.

    Le cadeau offert à la maison, nous prenons le chemin qui mène à la rue Cauchoise. Elle a réservé une table chez Alyio Nouchka, le restaurant russe de Rouen, où nous accueille l’aimable maîtresse du lieu. Si nous sommes assez vite d’accord sur le choix du menu (le traditionnel), nous sommes fort hésitants pour le vin.

    Divers sont proposés, élaborés en Moldavie, en Arménie, en Géorgie et en Ukraine. Il en est même un venant de Crimée. Une parenthèse indique que cette région se trouve en Ukraine. Poutine et ses affidés vont obliger à refaire la carte du restaurant après celle du monde. Il est question de vin doux et de vin sec, et comme nous n’arrivons pas à nous décider, notre hôtesse nous fait goûter. Nous optons pour une bouteille de Saperavi, vin sec de Géorgie. « On attribue à sa teneur élevée en potassium la vertu d’assouplir les parois des vaisseaux sanguins. », est-il précisé sur la carte.

    Nous débutons par un cocktail vodka café nommé « Les yeux noirs » qui nous met dans un bel état, puis arrive le borchtch, « soupe rouge au bouillon de bœuf et sa viande accompagnée de plusieurs légumes », que nous apprécions tous les deux.

                Une femme seule fait la troisième convive. En fond sonore, la musique est évidemment russe, au sens large. On y entend jusqu’à Charles Aznavour et Dalida. Le Saperavi nous ravit mais nous trouvons le plat principal peu copieux, que ce soit son goloubtzi (feuilles de choux farcies à la viande) ou mon goulasch (ragoût épicé de noix de veau) dont, d’une précédente visite, je gardais un meilleur souvenir. Qu’importe, nous nous sentons bien et même un peu plus que ça grâce au médicament pour les artères, ce qui fait que je ne me souviens plus de son dessert (le mien étant une sorte de gâteau de pain d’épice), ni de comment nous faisons pour rentrer.

    *

    Ce huit mai au soir, pas le courage d’affronter la pluie, ni l’attente dans la rue Sainte-Croix-des-Pelletiers, ni les badgées du Printemps de Rouen, ni de courir le risque de ne rien voir d’autre que la nuque du spectateur de devant, je manque donc l’annuel concert que consacrent Hélios Azoulay et l’Ensemble de Musique Incidentale aux musiques composées dans les camps de la Deuxième Guerre Mondiale.

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